Pierre-François Laterre : « je plaide pour un déconfinement immédiat et absolu » (interview)

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Pour le chef soins intensifs des cliniques universitaires Saint-Luc, cosignataire de la lettre ouverte « Il est urgent de revoir totalement la gestion de la crise Covid-19 » publiée dans la presse ce jeudi, il est temps de reprendre une vie sociale et culturelle normale alors que, selon lui, rien de justifie certaines mesures anti-covid qui perturbent la société.

LeVif.be : Dans votre lettre ouverte aux politiques, vous remettez en cause le confinement mis en place par les autorités en mars. Pourquoi ?

Pierre-François Laterre : Nous ne remettons pas le confinement en cause en tant que mesure, mais plutôt la manière dont il a été mis en place en Belgique de façon trop prolongée. Un confinement de deux semaines aurait suffi à interrompre la vague de contaminations et aurait permis aux structures hospitalières d’absorber le nombre de patients.

Au lieu de cela, le confinement a été prolongé de manière importante avec des conséquences collatérales sur la santé des individus : on a observé une chute drastique des affections sévères comme les infarctus, les embolies, les accidents vasculaires cérébraux ou les grosses infections. Mais ces maladies n’ont pas disparu pendant le confinement. Ces gens ont donc exposé leur santé et certains sont décédés à domicile. Ces personnes sont d’ailleurs certainement comptées dans la surmortalité de la période.

Le confinement a duré trop longtemps et personne n’est capable de démontrer de façon scientifique le nombre de vies qui ont potentiellement été sauvées.

La prolongation du confinement a également eu des effets sociaux, économiques et psychologiques. Sans compter la dégradation des liens sociaux pour les enfants privés d’école, les pertes d’emplois et l’augmentation de la pauvreté.

Selon notre collectif de signataires, le confinement a duré trop longtemps et surtout, personne n’est capable de démontrer de façon scientifique le nombre de vies qui ont potentiellement été sauvées.

Selon nous, les modèles mathématiques qui soutiennent que le confinement sauve des vies ne sont pas valables.

De nombreux pays, comme la Belgique, ont pourtant pris la décision de confiner leur population.

Selon les chiffres de l’OMS datant du 13 août, si on compare les pays qui ont confiné de manière stricte et non stricte, il n’y a pas de résultat tangible. Entre la Belgique (qui a confiné strictement) et les Pays-Bas (qui ont confiné de manière plus légère), il y a deux fois plus de mortalité en Belgique sur la même période. Le confinement strict, massif et prolongé n’est pas bénéfique.

Confiner deux semaines, cela aurait-il été suffisant, selon vous ?

Cela aurait effectivement permis de casser la vague et surtout, il aurait fallu tester de manière massive pour confiner uniquement les personnes positives.

Mais à ce moment-là, on manquait de principe actif pour faire ces tests.

J’entends bien. Mais déjà confiner une personne positive avec sa famille, ça n’a pas de sens. Vous risquez de contaminer toute la famille. On a vu d’ailleurs régulièrement des familles entières se présenter pour se faire tester.

Où faut-il mettre les personnes positives selon vous ?

Dans une structure faite pour, mais en dehors du foyer.

En avril, vous avez parlé de la nécessité d’atteindre une certaine immunité collective avant de sortir du confinement. Revenez-vous sur cette affirmation aujourd’hui ?

À l’hôpital de Louvain, nous avons fait des tests de sérologie (d’immunité) sur 4000 membres du personnel (soignants et non soignants). Nous avons obtenu des résultats positifs pour 7.8% des personnes testées. Dans la population belge, on estime le nombre de personnes immunisées à 6%.

On est loin de l’immunité collective.

On a aussi constaté dans nos propres tests que des individus qui avaient été testés positifs, donc qui avaient contracté le virus étaient négatifs lors du test sérologique deux mois plus tard ou que leurs anticorps avaient diminué.

On peut donc penser que plus d’un tiers des gens qui ont eu le coronavirus de façon mineur n’ont pas d’anticorps dosables ou qu’ils n’en ont plus après 2 ou 3 mois. Cela ne veut pas pour autant dire que leur immunité cellulaire est nulle, parce qu’il y a quand même une mémoire dans les lymphocytes. Lorsque ceux-ci sont réexposés au même challenge, ils ripostent à ce moment-là.

Mais il est vrai qu’en termes de réponse positive au test sérologique, on obtient seulement 6 % de la population. On est donc loin de l’immunité collective.

Donc malgré cela, vous pensez que la vie peut reprendre son cours normalement sans craindre un retour massif de l’épidémie ?

Justement oui, car l’objectif de l’immunité collective est que les gens qui ne sont pas à risque se contaminent entre eux. Si les gens de 0 à 40 ans avaient pu s’échanger le virus, il y aurait actuellement un grand réservoir de gens immunisés qui ne vont pas transmettre le virus lors la saison hivernale à venir. Ce que beaucoup craignent actuellement.

Pour comprendre l’intérêt de l’immunité collective, il faut regarder la courbe d’Israël. Ils ont eu une première petite vague au printemps, ils ont confiné de manière importante et puis ils ont relâché. Il y a donc eu très peu de gens exposés au début de l’épidémie et puis c’est seulement maintenant qu’ils ont leur vague.

Si on compare avec la courbe de la Suède qui n’a pas confiné, il y a un gros pic au début et puis plus rien. Et donc si on confine tout le monde, tout de suite et massivement, au moment où on lâche les vannes, c’est à ce moment-là que les gens vont être exposés pour la première fois.

On a également constaté qu’il a une prédisposition génétique à faire des formes sévères de la maladie. Donc on n’est pas égaux devant l’infection.

Et donc vous plaidez pour un déconfinement immédiat et absolu ?

Tout à fait. On a déjà assez de catastrophes sur le plan sociétal avec des conséquences pour les mois et les années à venir.

Nous préconisons de dépister massivement, d’isoler les individus positifs, mais surtout protéger les gens à risque.

Qui sont les gens à risque ?

Le premier critère est l’âge. Les courbes de décès sont évidentes et c’est valable dans toutes les maladies. La corrélation entre âge et mortalité est toujours présente. La réserve physiologique n’est pas la même et le système immunitaire tant à s’atténuer avec l’âge. Donc on peut déjà dire que les gens de plus de 60-65 ans sont à risque.

Ce sont les même que pour la grippe. On vaccine en premier lieu les personnes à risque : les plus de 65 ans, les personnes déficientes immunitaires, les personnes souffrants de maladies cardiovasculaires importantes, etc.

Par contre tous les jeunes, jusqu’à 40-50 ans, ont encore une réserve physiologique importante et à partir du moment où ils n’ont pas de problème de santé, on peut considérer qu’ils sont beaucoup moins à risque de faire des formes sévères du coronavirus.

Vous préconisez donc un retour à la normale de la société, sauf pour les personnes à risque ?

Il faut protéger les personnes à risque plutôt que de les isoler. Il faut par contre isoler les personnes positives symptomatiques en les mettant en quarantaine. Par ailleurs, il faut continuer à laisser vivre la société.

Pour cela, il faut augmenter le nombre de tests. On prévoit une capacité de 50.000 tests en Belgique par jour en septembre. On verra si c’est applicable. En tout cas, il ne faut pas avoir peur d’avoir plus de cas positifs, puisque l’on va tester beaucoup plus.

Il faut protéger les personnes à risque plutôt que de les isoler.

En février, mars et avril, si on avait testé massivement la population, ce n’est pas 50.000 cas positifs que l’on aurait eus, mais plutôt 850.000. C’est certain.

Donc selon vous la vie culturelle et les évènements peuvent reprendre sans restrictions ?

Clairement. Je pense simplement que les gens à risque doivent eux-mêmes avoir la prudence de ne pas participer à des évènements de masse dans lesquelles circulera le virus.

On est en train d’isoler tout le monde et de tuer certains secteurs pour un objectif qui ne sera pas atteint puisqu’on ne se débarrassera pas du virus de cette façon.

Les personnes à risque devraient-elles donc rester isolées de la société jusqu’à la disparition du virus ou l’arrivée d’un vaccin ?

Bien sûr que non. Si nos virologues considèrent que porter un masque protège contre le coronavirus, je ne vois pas pourquoi ces personnes ne pourraient pas être vues avec un masque. Si on dit que porter un masque de chaque côté protège, alors pourquoi continue-t-on à empêcher certaines visites dans les maisons de retraite ?

Si l’on n’est pas sûrs que le port du masque est efficace, alors il ne faut plus mettre de masque !

Parce que si l’on n’est pas sûrs que le port du masque est efficace, alors il ne faut plus mettre de masque !

Moi je suis allé à Aqualibi il y a trois semaines avec mes enfants. On était 500 personnes sans masque dans une piscine. Pourquoi cela est-il autorisé ? Il y a de l’inconsistance complète dans les mesures prises.

Ce sont des décisions politiques.

C’est bien le problème. Il n’y a pas un politicien qui osera prendre des mesures qui l’exposent à des critiques le jour où ça se passe mal. Et donc, on est dans une angoisse collective avec des décisions téléguidées par des virologues qui ont une vision de la transmission du virus, mais qui n’ont peut-être pas assez de vision de la société et des conséquences de leurs mesures.

C’est pourquoi nous demandons de mettre en place des groupes plus larges et pluridisciplinaires sélectionnés de manière plus transparente. Il devrait y avoir une vraie discussion sur des mesures dont les bénéfices sont scientifiquement démontrés. Et surtout, des mesures qui limitent les dommages collatéraux.

Le rôle de Marc Van Ranst dans la prise de décision des politiques est de plus en plus critiqué. Que lui reprochez-vous ?

Avec Marc Van Ranst on est face à quelqu’un qui veut faire la pluie et le beau temps avec des mesures qui sont ingérables. En plus, elles ne sont même pas respectées. Je ne connais actuellement personne qui respecte la bulle des 5, à part des personnes très anxieuses.

Ce que nous lui reprochons, c’est d’avoir une vision virologique pure, visant le risque zéro qu’on n’atteindre jamais. Mais surtout, il annonce ses décisions deux jours avant que les commissions ne se réunissent. Ça ne va pas, car il met d’emblée une pression sur le politique en disant : « Voilà ce qu’il faut faire ». Ce n’est pas scientifique, ni raisonné et encore moins démocratique.

Les 60 cosignataires de la lettre ouverte aux politiques sollicitent le soutien des citoyens sur le site internet Belgiumbeyondcovid.be.

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