Bernard Rentier © BELGA

Bernard Rentier: « Nous devons laisser circuler le coronavirus de manière contrôlée »

Erik Raspoet Journaliste Knack

En Belgique francophone, les critiques concernant les mesures strictes se multiplient. L’un des critiques qui font autorité est Bernard Rentier, virologue et ancien recteur de l’Université de Liège. Il est aussi co-auteur d’une carte blanche qui affirme qu’il est urgent de revoir totalement la gestion de la crise du Covid-19. « Ils sèment la panique », déclare-t-il à notre confrère de Knack.

Les virus ne connaissent pas les frontières linguistiques, pourtant la semaine dernière la pandémie de coronavirus a eu une portée communautaire. Yves Coppieters, épidémiologiste à l’ULB, et Jean-Luc Gala, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Luc de Bruxelles, ont examiné de près la politique de coronavirus stricte qui, selon eux, est définie par un petit club d’experts flamands, dont Marc Van Ranst est la tête de Turc. La mesure la plus critiquée est la bulle de cinq, obstinément défendue par Van Ranst et prolongée la semaine dernière par le Conseil de sécurité nationale. La résonance dans les médias flamands est nouvelle, mais en Belgique francophone, la covid-19 est observée sous un angle différent depuis quelque temps déjà. Tout comme Bernard Rentier (72 ans), professeur émérite de virologie et recteur honoraire de l’Université de Liège, qui, avec son blog très cité, pèse lourdement sur le débat francophone sur le coronavirus.

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Après le Conseil national de sécurité du 20 août, vous avez évoqué sur Twitter de « règles imbéciles », conçues par des « extraterrestres mentalement dérangés ». Êtes-vous si en colère contre le manque d’assouplissements?

Ce tweet était une réaction impulsive lorsque j’ai appris que les couples internationaux doivent démontrer la durabilité de leur relation pour échapper à l’interdiction de voyager. De quoi se mêle le gouvernement, me suis-je dit, les couples devront-ils bientôt soumettre leurs lettres d’amour ? Mais ce n’est qu’un détail. Ma véritable critique porte sur l’essence même de la politique de lutte contre le coronavirus, un amalgame de mesures irréalistes et incohérentes. Si je marche sur la digue d’Ostende, avec un risque zéro de contamination, je dois porter un masque. Je peux l’enlever si je prends un verre sur une terrasse de la même digue, alors que le risque existe bien là, malgré la distance sociale. La bulle des cinq, exclusive au monde, n’est plus respectée par personne. C’est compréhensible, car il s’agit d’une mesure absurde qui détruit la vie sociale. Alors pourquoi prolonger cette règle? C’est contre-productif. Les mesures doivent être proportionnelles au danger qu’elles combattent.

https://twitter.com/bernardrentier/status/1296568437188304901Bernard Rentierhttps://twitter.com/bernardrentier

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Ce danger est réel non? Il y a des semaines que nous flirtons avec une deuxième vague.

C’est absurde, parler d’une deuxième vague, c’est alarmiste. Oui, il y a une légère augmentation du nombre d’infections. Et oui, il y a une hausse des hospitalisations et des décès encore plus faible. Une légère flambée, mais la comparaison avec la véritable vague de mars avril n’a aucun sens. Je suis agacé par cet usage apocalyptique des mots, en parfaite adéquation avec les chiffres terrifiants que Sciensano publie constamment sans aucune explication. Une augmentation de 300 à 500 infections par jour est présentée comme une hausse de 40 %. Mais ces chiffres ne disent rien si on ne les compare pas avec le nombre de tests effectués ! Si vous le faites, il s’avère que seulement 3,5 % des tests sont positifs. Sciensano a récemment corrigé ce rapport trompeur, après que mon blog à ce sujet ait été repris par tous les médias francophones. Néanmoins, la panique continue. Le nombre moyen de décès passe de deux à quatre sur une période de sept jours ? Scienscano affirme que le nombre de décès a augmenté de 100 % en une semaine. Statistiquement, c’est vrai bien sûr, mais il est inacceptable qu’un organisme officiel communique de cette façon. C’est littéralement semer la terreur. Les psychiatres mettent déjà en garde contre les conséquences de l’épidémie de peur au sein de la population.

Vous soupçonnez une stratégie délibérée pour convaincre les Belges de la nécessité des mesures?

Le directeur de Scienscano a été interrogé à ce sujet à la RTBF. Il a nié que l’on semait délibérément la peur, mais il a en même temps déclaré que sans ces chiffres les personnes perdraient leur peur du coronavirus. Oui, bon…

Cependant, les mesures strictes font déjà baisser la courbe, d’abord à Anvers et entre-temps aussi à Bruxelles.

C’est vrai, et il y a des raisons de le regretter.

Comment cela ?

Écoutez, il y a deux façons de faire face à cette épidémie. Vous pouvez enfermer les gens et fermer les frontières jusqu’à ce que la courbe soit à zéro. Théoriquement, c’est possible, mais avant d’en arriver là, la vie économique et sociale est détruite. C’est pourquoi la stratégie actuelle ne peut être maintenue, même dans le scénario idéal où un vaccin efficace sera disponible à l’automne prochain. En tant que virologue ayant de nombreuses années au compteur, je ne parierais pas là-dessus. Au milieu des années 80, nous pensions que nous serions en mesure d’éradiquer rapidement le sida grâce à un vaccin. Nous l’attendons toujours. Je préfère la deuxième option : nous devons permettre au virus de circuler de manière contrôlée, tout en protégeant autant que possible les groupes vulnérables tels que les personnes âgées et en surveillant de près les hôpitaux et les cabinets médicaux. Bien sûr, il y aura des victimes, et très occasionnellement des jeunes aussi. Mais c’est toujours ainsi que fonctionne la gestion des risques. L’aviation ne sera jamais totalement exempte d’accidents mortels, mais avec une bonne culture de la sécurité, vous pouvez les réduire au minimum.

Plaidez-vous en faveur de l’immunité grégaire ?

Non, l’immunité grégaire correspond à une stratégie de vaccination dans l’élevage des animaux. Si vous vaccinez 60 à 70 % du troupeau, le virus s’éteint et vous n’avez pas besoin de traiter les 30 % restants. Mais il y a des points communs, nous devons atteindre un taux d’infection qui éteigne le virus. Juste pour être clair : en mars, cette stratégie n’était pas réaliste car nous n’étions pas du tout préparés médicalement et logistiquement. En attendant, il est toutefois possible de laisser circuler le virus de manière contrôlée. La disparition complète est une illusion : avec le temps, le covid-19 deviendra comme un virus de la grippe. Au niveau de la mortalité, cette pandémie est comparable à la grippe de Hong Kong qui a tué plus d’un million de personnes dans le monde en 1968-1969. Il existe toutefois une différence importante : contrairement à la grippe, le Covid-19 n’est pas dangereux pour les enfants.

Yves Coppieters et Jean-Luc Gala dénoncent la prédominance des experts flamands dans la politique nationale de lutte contre le coronavirus. Partagez-vous leur frustration ?

Pas vraiment. Coppieters et Gala ne mâchent pas leurs mots, c’est ce qui se passe quand des universitaires très occupés doivent enchaîner les interviews pendant le travail. Je pense que leur agacement est principalement lié à un expert flamand.

Marc Van Ranst, donc. Est-il aussi connu en Belgique francophone qu’en Flandre ?

Oh, oui. C’est un bon virologue, mais son style de communication passe mal. Van Ranst joue avec verve le croque-mitaine qui apporte de mauvaises nouvelles et gâche tout le plaisir. Une caricature, je m’en rends compte, mais il me rappelle vraiment l’instituteur sévère qui confisque le ballon sur la cour de récré parce qu’on joue trop rudement.

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