Les libéraux ont fait le vide, au sommet du pouvoir fédéral : ici, à la Chambre, Benoît Piedboeuf, chef de groupe MR, Alexander De Croo, vice-Premier Open VLD, Sophie Wilmès, Première ministre MR et David Clarinval, vice-Premier MR. © BELGAIMAGE

En perte de confiance… Sophie Wilmès a-t-elle déjà fait son temps?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le fragile équilibre politique autour de Sophie Wilmès a mal survécu aux promesses de déconfinement. Un nouveau gouvernement fédéral s’installera-t-il lorsque la Première ministre redemandera la confiance au Parlement, au plus tard dans six mois ?

Sophie Wilmès a-t-elle déjà fait son temps ? L’insuffisance des tests, la pénurie de masques et le silencieux carnage dans les maisons de repos composent, pour elle comme pour toutes les autorités compétentes, une infernale trilogie. La réformatrice n’avait pas la confiance de la N-VA, qui ne lui a voté que les pouvoirs spéciaux pour trois mois, renouvelables une fois fin juin. Bart De Wever a, le 20 avril encore, confirmé qu’il ne voyait pas, en l’état actuel, pourquoi il les prolongerait de trois mois jusqu’à septembre. La circonspection de la N-VA est connue. Et à la défaveur de la difficile expérience du Conseil national de sécurité et de la crépusculaire conférence de presse qui l’a suivie, vendredi 24 avril, d’autres partenaires moins ouvertement hostiles ont veillé à marquer leur distanciation politique d’avec les décisions prises.

Les experts grognent

Le pilotage du déconfinement par Sophie Wilmès est contesté, jusque par certains des dix membres du Groupe d’experts sur l’Exit Strategy (Gees), dont les propositions ont plusieurs fois été réformées. En avançant, par rapport aux préconisations des experts, la relance des entreprises puis la réouverture de tous les commerces, le Conseil national de sécurité du 24 avril semblait éloigner le moment des retrouvailles familiales

Face à la confusion, les partis flamands donnèrent raison à la N-VA.

Ce sont, comme l’expliqua Le Soir, surtout Jan Jambon, ministre-président flamand et Alexander De Croo, ministre fédéral des Finances, qui insistèrent pour qu’il en soit ainsi. Selon nos confrères, Emmanuel André, ex-porte-parole interfédéral, les mit en garde, dès le 23 avril.  » Il nous a fait comprendre que si on rouvrait plus tôt, c’était à nos risques et périls « , racontait une source. Le matin du 24 avril, l’épidémiologiste annonçait qu’il abandonnait ses fonctions…  » Parce qu’il n’est pas d’accord avec la façon dont ça se fait. Un peu plus tôt dans la semaine, on a même failli assister à une démission collective de cinq ou six des dix, qui trouvaient que l’accent était trop mis sur les questions économiques « , indique un participant aux discussions. Et, en effet, pendant tout le week-end, plusieurs des membres du Gees (Marc Van Ranst, Marius Gilbert et Céline Nieuwenhuys, la secrétaire générale de la fédération des services sociaux) veillèrent à marquer leur distanciation morale par rapport aux décisions prises.

Les Flamands pilonnent

Dès le 25 avril, face à l’impression de confusion héritée de la veille, les partis flamands donnèrent raison à la N-VA : ces pouvoirs spéciaux, confiés à une libérale francophone à la tête d’un gouvernement dont les partis ne comptent que 38 sièges sur 150 à la Chambre, n’allaient pas pouvoir durer. Sophie Wilmès, dont le vendredi n’avait pas été heureux, allait passer un mauvais week-end. Pendant qu’Alexander De Croo concédait maladroitement qu’il était possible de tenir des réunions familiales dans des grands magasins, Conner Rousseau, président du SP.A, disait à la télévision qu’il fallait entamer le plus vite possible les négociations visant à la constitution d’un gouvernement fédéral normal et qu’il ne serait pas nécessaire de renouveler les pouvoirs spéciaux. Et alors que Koen Geens déclarait  » impossible  » la fourniture à chaque Belge d’un masque avant le 4 mai, son président Joachim Coens réclamait l’installation d’un gouvernement de plein exercice pour la législature en octobre, tout en doutant de la nécessité de la prolongation, fin juin, des pouvoirs spéciaux. Kristof Calvo, chef de groupe Ecolo-Groen à la Chambre, achevait le travail, estimant lui aussi que d’ici à juin, si la situation sanitaire était sous contrôle, les pouvoirs spéciaux deviendraient superflus.

Ecolo s’étonne

Le 25 avril, Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet, coprésidents d’Ecolo, envoyaient un communiqué de presse déplorant que le CNS de la veille eût donné la priorité à l’économie plutôt qu’à l’humain. Le lendemain soir, à la télévision, le chef de groupe socialiste à la Chambre Ahmed Laaouej affichait en substance la même position. Ces expressions dissonantes, qui rompent l’unité proclamée côté francophone, PTB excepté, autour de Sophie Wilmès découlent d’une tuyauterie institutionnelle qui ne frustre pas que les experts : elle piège aussi les partis de gauche et de centre-gauche qui y sont associés. Le 25 avril, les réunions du kern élargi, qui associent les présidents de partis aux membres du comité ministériel restreint pour adopter les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux, ne laissent presque aucune place pour exprimer des revendications. Si peu, d’ailleurs, que sa dernière séance n’a duré qu’une grosse heure, ce jour-là. Les trois partis de centre-droit du gouvernement fédéral exercent aussi une puissante primauté sur les travaux du Conseil national de sécurité, même s’il a été pour l’occasion élargi aux ministres-présidents des entités fédérées.

Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, coprésidents écologistes, ont déploré les mesures de déconfinement prises, vendredi 24 avril, par le Conseil national de sécurité.
Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, coprésidents écologistes, ont déploré les mesures de déconfinement prises, vendredi 24 avril, par le Conseil national de sécurité.© BELGAIMAGE

La décision de centraliser la décision au sein du CNS a été prise le dimanche 15 mars, alors qu’étaient réunis, à l’invitation des missionnaires royaux Sabine Laruelle et Patrick Dewael, les présidents du MR, de l’Open VLD, du PS, du SP.A, de la N-VA et du CD&V. Les écologistes, invités tardifs de ce tumultueux dimanche, furent mis devant le fait accompli. Les partis de centre-droit qui siègent au gouvernement fédéral, que souvent la N-VA de Jan Jambon soutient sur ces questions, y gagnèrent ainsi la possibilité d’imposer au CNS leurs choix politiques, en les présentant, en outre, comme strictement techniques. Les conférences interministérielles, qui réunissent les ministres compétents sur certaines thématiques, ou les comités de concertation, dans lesquels gouvernements fédéral et fédérés traitent d’égal à égal sur certains sujets, auraient rendu le rapport de force un peu moins défavorable aux partis de centre-gauche… et la prise de décisions encore plus compliquée. L’Enseignement et la Culture, par exemple, sont gérés côté francophone par Caroline Désir (PS) et par Bénédicte Linard (Ecolo). Or, puisque ne sont représentés au CNS que les chefs de gouvernements fédérés, celles-ci doivent passer un double filtre pour voir leurs préoccupations prises en considération : convaincre d’abord leur ministre-président, Pierre-Yves Jeholet (MR), et espérer que ce dernier convainque, au Conseil national de sécurité, son homologue flamand Jan Jambon ainsi que les membres MR-CD&V-Open VLD du kern.  » Jeholet travaille loyalement, mais nous n’avons quand même pas les leviers en main « , résume un intervenant. Et cela, encore bien, dans des domaines où la compétence des communautés est censément exclusive.

La fin des pouvoirs spéciaux n’impliquerait pourtant pas que Sophie Wilmès démissionne.

C’est pourquoi il était devenu nécessaire, pour les verts, de se faire entendre à l’extérieur.

Et c’est pourquoi il était inévitable que la communication coprésidentielle du 25 avril passe plutôt mal. Au bureau politique du lundi 27, certains écologistes l’ont, nous dit-on, signalé à leurs coprésidents.

Parce qu’entre ceux qui disent que l’humain a été délaissé au profit de l’économie et ceux qui disent qu’il ne faut pas déstabiliser un exécutif qui affronte une crise sanitaire inédite, Ecolo s’est un peu retrouvé coincé.

Le MR bétonne

La charge la plus virulente, MR excepté, est venue côté francophone de Maxime Prévot, le président du CDH, qui a accusé ses rivaux de vouloir déjà en finir avec les pouvoirs spéciaux alors que  » peut-être aura-t-on besoin de cet outil pour maîtriser la pandémie et accompagner la relance économique et budgétaire inédite qui sera nécessaire « . Georges-Louis Bouchez, président du MR, s’est emporté contre ceux qui auraient, selon lui, renié leur parole. Les libéraux francophones, qui concentrent un pouvoir peu proportionnel à leur poids électoral, ont tout intérêt à faire perdurer la situation, qui leur permet de taxer toute critique d’irresponsabilité.

L’éventuel refus de la prolongation, pour trois nouveaux mois, des pouvoirs spéciaux au gouvernement de Sophie Wilmès se décidera au plus tard le 27 juin. La fin des pouvoirs spéciaux n’impliquerait pourtant pas que Sophie Wilmès démissionne, donc pas non plus qu’elle revienne en affaires courantes. Elle priverait simplement l’exécutif fédéral d’une grande partie de son pouvoir : les clés reviendraient au Parlement, vers qui ont déjà été déléguées une série de questions. Se composeraient alors, tout l’été, des majorités au cas par cas. La Belgique vivrait ainsi de facto pour quelques mois sous le régime, de plus en plus fréquent en Europe, d’un gouvernement soutenu par des groupes parlementaires qui n’y siègent pas. La configuration conviendrait tant au MR, qui maintiendrait sa position privilégiée, qu’aux socialistes et aux écologistes, qui gagneraient davantage d’influence sans pour autant avoir l’air de gouverner avec la N-VA. Des négociations pourraient se tenir entre présidents de partis, mais sans que le roi ne doive désigner de missionnaire : le Palais ne le fait qu’en affaires courantes.

Le gouvernement fédéral ne devrait, en fait, pas tomber avant septembre, sauf si le MR y trouve son plaisir : Sophie Wilmès, à son intronisation le 27 mars, s’était engagée à redemander la confiance du Parlement  » au plus tard dans les six mois « . C’est donc elle qui décidera, ou pas. Elle aura là l’occasion de faire passer ceux qui lui refuseraient cette confiance pour des irresponsables, après avoir similairement qualifié tous ceux que ses décisions n’agréent pas. Aucun parti n’en sortirait grandi. Ils passeraient pour ceux qui ont précipité le pays dans une éventuelle campagne électorale. C’est le gouvernement de Sophie Wilmès aussi, même en affaires courantes, qui, en dernier ressort, devra décider de convoquer ou pas des élections anticipées que les trois partis qui le composent n’ont pour l’instant pas envie de voir arriver. Ils sont donc déterminés à négocier tout l’été.

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