Story postée sur Instagram par Conner Rousseau à la suite de la formation du gouvernement fédéral. © belga

Fédéral: Frank Vandenbroucke et le gang des gaffeurs (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le gouvernement fédéral d’Alexander De Croo est composé de ministres très jeunes et inexpérimentés. Le retour de Frank Vandenbroucke (SP.A) était censé les protéger contre les trop grosses boulettes. C’est raté…

« Faire du shopping ne comporte pas de risque quand tout est bien contrôlé. On a pris cette décision parce qu’à un moment donné il fallait prendre une décision choc. Il fallait vraiment faire un électrochoc », a-t-il déclaré, le vendredi 27 novembre, après la conférence de presse du Comité de concertation, à un journaliste de la VRT, déchaînant la pire polémique du jeune gouvernement De Croo et compromettant sa déjà fragile unité. C’est Frank Vandenbroucke. Ceux qui le connaissent le savaient, ceux qui l’avaient oublié se le rappellent, les autres le découvrent : Frank Vandenbroucke est parfait, et Frank Vandenbroucke est un gaffeur. Frank Vandenbroucke ne commet jamais d’erreur, sauf celle de croire qu’il n’en commet jamais.

Pas une première

Cette croyance le condamne à des gaffes, à des énormités et à des fautes qui, avec un systématisme médical, ont lacéré une longue et très intermittente carrière.

Sa plus ancienne l’avait poussé à une première démission, en 1995. Il quittait son ministère pour avoir, en 1991, fait brûler plutôt que de dénoncer un paquet d’argent noir découvert dans la caisse de son parti.

Il déclenche la pire polémique du jeune gouvernement De Croo et compromet sa déjà fragile unité.

Sa plus récente avait, pensait-on, été la dernière. Elle datait de décembre 2010, au milieu de ces négociations fédérales infinies qui ne se termineraient qu’après 541 jours de discussions, avec l’avènement du gouvernement Di Rupo. Johan Vande Lanotte est alors conciliateur royal, et dans le wagon bondé d’un train de Bruxelles à Louvain, Frank Vandenbroucke, qui négocie le volet « loi de financement » pour le compte de son parti, s’épanche, au téléphone, avec un journaliste. C’est du off. Le savant socialiste veut placer ses éléments de langage et cadrer le débat.

« Di Rupo est maintenant complètement à genoux dans la neige », explique-t-il à son interlocuteur et à ses compagnons de voyage. « Il a tellement abandonné et fait de concessions que ça s’apparente aujourd’hui à une reddition totale », ajoute-t-il, avant de proférer plusieurs vilenies envers la N-VA, encore associée à l’époque aux discussions fédérales. Puis Frank Vandenbroucke raccroche. Il appelle un autre journa – liste pour lui dire la même chose. Il en appelle encore un autre, et il descend du train à Louvain après une journée bien remplie. Tout près de lui, un voyageur respire. Il aura plus de place désormais et il pourra passer quelques coups de téléphone. Ce voyageur, c’est Jeroen Overmeer, le porte-parole de la N-VA, que Frank Vandenbroucke n’a pas reconnu.

Quelques coups de fil plus tard, Elio Di Rupo est en rage, Bart De Wever en colère, la presse flamande en ébullition et Johan Vande Lanotte dans l’embarras. Sur demande explicite des socialistes francophones, Frank Vandenbroucke doit quitter la délégation SP.A. Il ne participera plus aux négociations et il ne sera pas ministre. Sa carrière semble se finir sur cette gaffe : en octobre 2011, quelques semaines avant l’installation du gouvernement Di Rupo, il annonce quitter son siège de sénateur – sans indemnité de sortie – et se consacrer désormais à sa carrière académique, aux universités d’Amsterdam et d’Anvers notamment. Mais il était dit que cette gaffe, cette énormité, cette faute, ne serait pas l’ultime boulette de Frank le parfait gaffeur.

« The bitch is back »

Car c’est ce brillant sachant à l’assurance arrogante et à la faute fréquente que Conner Rousseau rapatrie fin septembre, pour les besoins de sa cause, au gouvernement. « He’s back, bitches » : ainsi l’annonce, sur Instagram, le tout jeune président des socialistes flamands. « The bitch is back », auront lu les plus anciens, ceux qui sont sur Instagram tout au moins. Frank Vandenbroucke a 65 ans, de la science dans la tête et plein d’expérience dans les jambes. Il sera le vice-Premier ministre du plus jeune gouvernement de l’histoire : l’âge moyen de ses ministres est de 44 ans. Il dirigera le séminal département de la Santé dans le chaos d’une pandémie jamais connue, et sa rigueur chenue devra compenser l’inexpérience de ses collègues et faire oublier l’indolence alléguée de Maggie De Block. Avec Alexander De Croo, Vincent Van Quickenborne, Sophie Wilmès et David Clarinval, Frank Vandenbroucke est un des seuls à avoir déjà travaillé dans un gouvernement fédéral.

Frank Vandenbroucke est parfait. Il ne commet jamais d’erreur, sauf celle de croire qu’il n’en commet jamais.

Les quinze autres membres de l’exécutif n’ont aucune expérience ministérielle fédérale.

Ils commettront donc nécessairement des erreurs.

Ils ne s’en sont pas privés ces dernières semaines. A leur décharge, leur intronisation ne s’était pas déroulée dans le professionnalisme le plus maîtrisé, les présidents des partis qui s’y étaient attelés ne pouvant se prévaloir de beaucoup d’expérience non plus. Meyrem Almaci exceptée, tous étaient débutants (Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez, JeanMarc Nollet et Rajae Maouane, Conner Rousseau, Egbert Lachaert, Joachim Coens). Leurs dernières semaines de négociations virèrent au burlesque. Entre la contamination de l’un, la quarantaine des autres mais pas de tous, les allées et venues de beaucoup, l’ostracisation de certains, son retour encadré par Sophie Wilmès, la Belgique, qui se croyait préservée d’une deuxième vague pandémique, s’amusait alors d’un vaudeville politique. Ces négociations ne pouvaient se conclure que sur une gaffe présidentielle, celle de Georges-Louis Bouchez nommant Mathieu Michel et dégommant puis renommant Valérie De Bue.

Et le gouvernement Vivaldi ne pouvait que s’entamer sur une bévue primoministérielle : devant toutes les caméras du pays, convoquées fissa au palais d’Egmont, Alexander De Croo remerciait « Sophie Michel » pour le travail accompli avant lui au Seize.

Là, Frank Vandenbroucke avait alors encore cet air solide que lui confère son assurance jusqu’à la bourde. Pendant que les jeunes gaffaient, il assurait.

La mécanique de la gaffe

Mathieu Michel, déjà raillé pour son lignage, bredouillait en commission un mauvais néerlandais. C’était une erreur et l’opposition nationaliste flamande faisait mine de s’indigner : en réalité, le baragouin ridicule du nouveau secrétaire d’Etat au Numérique la réjouissait.

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Pour les deux plus grands partis de Flandre, qui accusent la coalition Vivaldi de mépriser le nord du pays, pareille séquence est un filon viral. Et Sarah Schlitz, récente secrétaire d’Etat à l’Egalité des chances, allait encore leur offrir quelques pépites en ne présentant sa note d’orientation général qu’en français. Comme Mathieu Michel, elle allait s’excuser et promettre d’améliorer son néerlandais, mais la mécanique de la gaffe était enclenchée, à peine enrayée par le fait que deux adversaires, une écologiste et un réformateur, pris ensemble dans une tempête similaire, n’avaient aucun intérêt à engager la surenchère.

Puis Annelies Verlinden, toute neuve ministre de l’Intérieur, suggérait dans un journal flamand que la police, à Noël, pourrait venir sonner aux portes pour veiller au respect des règles sanitaires. Elle l’avait dit autour de mille précautions, mais celles-ci ne pouvaient s’inclure dans des titres d’articles. La mécanique de la gaffe s’enclenchait, une fois encore, à partir du Nord, tandis qu’au Sud on se retenait à peine, y compris dans la majorité, d’embrayer.

Ils étaient jeunes, ils n’avaient pas encore l’habitude de peser leurs mots face à la lourde menace des réseaux sociaux, d’une population incandescente de toutes colères, et d’une opposition gonflée de son majorité flamande. Ils pouvaient encore se dire qu’il y avait eu pire, dans l’histoire récente. « Franchement, on ne peut pas m’accuser de les défendre, mais avec l’anniversaire de Bob Maes, les collaborateurs qui avaient leurs raisons de Jambon et la calculette de Jacqueline Galant, les débuts du gouvernement Michel étaient plus chaotiques », nous disait alors Raoul Hedebouw (PTB).

Kat ! Kat ! Kat !

A ce moment-là, pas si lointain, Frank Vandenbroucke assurait encore. La professorale austérité affichée lors des premières conférences de presse avait séduit l’opinion comme les observateurs, presque attendris par son enfantin entrain à répéter « Kat ! Kat ! Kat ! » alors qu’il présentait les avantages de sa « bulle de quatre ».

Les premiers sondages l’avaient propulsé au sommet de tous les baromètres de popularité. L’opposition le respectait : même le PTB se retenait. La majorité l’écoutait : même le MR se taisait plus ou moins. Le sympathique professeur aux « Kat !Kat ! Kat ! » n’avait pas encore laissé croire que la fermeture des commerces non essentiels ne reposait sur rien, comme maladroitement il le fit, le soir du vendredi 27 novembre, au micro de la VRT. Après deux étranges jours de latence, un montage vidéo de ce vénéneux passage se mit à circuler. La virale mécanique de la gaffe s’était réenclenchée.

Cette fois, elle n’allait pas coincer un jeune novice, mais le madré mentor censé les en protéger avec ses « Kat ! », ses « Kat ! » et ses « Kat ! », et provoquer une catastrophe, un cataclysme, une calamité.

La mécanique démarrait du nord, comme toujours, et elle allait vrombir en escalade. Le MR (Denis Ducarme puis Georges-Louis Bouchez, puis Pierre-Yves Jeholet, qui évoqua même « une forme de totalitarisme ») allait réclamer des comptes, le SP.A allait dire que le MR ferait mieux de ne pas demander de comptes, le conflit, au sein de la majorité, serait déclaré, et la crédibilité de ce gouvernement sans expérience serait démolie par son ministre le plus expérimenté.

u0022La majorité met et remet plus de couches que nous sur son ministre!u0022 – Catherine Fonck

Catastrophe, cataclysme, calamité, on disait. « Car c’est très aimable d’appeler ça des gaffes et de croire qu’elles se limiteraient au gouvernement. Ici, les dissensions entre ministres sont démultipliées par des présidents qui surenchérissent en permanence », estime François De Smet (DéFI), qui trouverait ça « drôle si la situation n’était pas si tragique« . Si tragique que l’opposition en appelle à en finir avec toutes ces oppositions. « La majorité met et remet plus de couches que nous sur son ministre ! » déplore Catherine Fonck (CDH), « tout est dramatique, ici, à la fois les propos injustifiables du ministre et les réactions au sein de la majorité. Ça fragilise gravement l’autorité, pas seulement celle des politiques. Cette séquence sur Noël, puis ça : c’est terrible ! » ajoute-t-elle, encore choquée par l’ultime boulette de Frank le gaffeur parfait.

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