Georges-Louis Bouchez : des excès qui crispent bien des mâchoires mais, au final, un bilan plutôt positif. © PHOTO NEWS/GETTY IMAGES

Ducarme, la deuxième boulette de Georges-Louis Bouchez après ses deux coups de génie

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Dans la dernière ligne droite avant la Vivaldi, le MR a tremblé. Une nouvelle incartade de son président de parti a failli faire capoter sa participation au pouvoir. Pourtant, Georges-Louis Bouchez n’est pas un leader contesté.

Chut ! Georges-Louis Bouchez négocie, prière de ne pas médiatiquement le déranger. Dans la dernière ligne droite devant mener à la Vivaldi, le président du MR avait enjoint ses ouailles à faire voeu de silence dans la presse. Et, « comme venant de lui, ça ne manquait pas de sel » (dixit un député), pas grand-monde ne s’était effectivement muselé. Difficile de garder le silence, quand toutes les langues commentent la dernière incartade du chef, celle qui avait failli coûter leur place aux libéraux dans le gouvernement fédéral. Justement parce ledit chef avait médiatiquement trop parlé. Dans Humo, le dimanche 20 septembre, alors que ce week-end-là, les négociations devaient être cruciales.

C’est une très heureuse surprise. Il est parvenu à impressionner.

L’hebdomadaire flamand avait (opportunément ?) avancé de deux jours l’interview que le Montois lui avait accordée, dans laquelle – pour résumer – il crachait dans la quatre saisons. Les autres partis en avaient été tellement irrités que les discussions avaient failli capoter. Un an et demi après les élections, un énième échec aurait été fort peu apprécié. Alors les autres formations politiques s’étaient coalisées : soit GLouB devient plus sage, soit il dégage. Peut-être même bien du gouvernement régional aussi, tiens, qu’il disait le PS, agitant le spectre d’un remplacement par le CDH y compris au sein de l’exécutif wallon.

Ce n’était sans doute qu’une menace, mais elle eut l’effet escompté. En bureau de parti, qui dura deux heures et demie, le lundi 21 septembre, nul n’a gueulé, mais quand même, « il y a eu de franches explications », décrit un participant. « C’est qu’on a tremblé », admet un autre, corroboré par un troisième : « On est quand même passé fort près de dix ans d’opposition à tous les niveaux de pouvoir. » Pour une interview de trop, un énième coup que Georges-Louis Bouchez avait imaginé comme d’hab sans préalablement consulter.

Des bribes des débats avaient fuité dans la presse qu’il était précisément conseillé d’éviter (« et ça faisait bien longtemps que ce n’était plus arrivé »). Même des captures d’écran de conversations WhatsApp internes avaient été diffusées à des journalistes. Alors, difficile de ne pas se demander si le chef ne commençait pas à être contesté, si la rébellion n’était pas en train de se préparer.

« On le savait impétueux »

Finalement, c’est ce que tout le monde pressent depuis presque un an qu’il est devenu président (c’était, précisément, le 28 novembre 2019). Bouchez l’agité, Bouchez l’inexpérimenté, Bouchez l’hyperagité, Bouchez le médiatiquement enivré, Bouchez qui ne pourrait finir que par irriter. « On le savait, qu’il était impétueux, quand on l’a élu, et on n’a effectivement pas été déçus », témoigne l’un. Mais beaucoup ont en revanche été surpris que la catastrophe annoncée ne se soit pas réalisée.

Certes, ses excès soulèvent régulièrement des yeux aux ciel et ses décisions solitaires crispent bien des mâchoires. Mais, « à l’exception de cette dernière semaine, son bilan est positif, considère un élu. Il faut resserrer l’un ou l’autre boulon, il y a un peu de mécanique à faire, mais c’est une très heureuse surprise. Il est parvenu à impressionner. » Surtout grâce à ses deux « coups de génie » (l’expression revient dans diverses bouches). D’abord, avoir réussi à nouer une relation solide avec l’Open VLD d’Egbert Lachaert, un duo résistant aux multiples tentatives de divisions, de la N-VA notamment. « Notre famille politique n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, salue une élue, alors que par le passé les liens étaient beaucoup plus distendus. »

Ensuite, avoir réussi à faire signer, mi-août dernier, un communiqué commun MR – Open VLD – Ecolo – Groen. A l’époque, la piste d’un gouvernement PS-N-VA semblait sérieuse et Bart De Wever entendait bien jeter les libéraux francophones. Cette inattendue alliance verte et bleue relança la piste Vivaldi, que l’on croyait pourtant profondément enterrée. Par la même occasion, le MR se déscotchait d’une N-VA qu’il avait pourtant serrée de près, durant la législature suédoise. Tout bénef pour l’image. « Ça, admire cette édile, absolument personne ne l’avait vu venir, ni chez nous, ni chez Ecolo. » Et certainement pas chez les nationalistes flamands, que peu auraient initialement imaginés sur les bancs de l’opposition. « Je peux vous dire que la dernière fois que j’ai croisé Theo Francken à la Chambre, il m’a salué fort peu chaleureusement, lui qui se voyait déjà ministre, sourit ce député. Heureusement qu’il avait son masque pour cacher la tronche qu’il tirait. »

Coup de poker ou jeu d’échecs ?

Par ces deux tactiques gagnantes, Georges-Louis Bouchez a démontré à ceux qui en doutaient qu’il pouvait être fin stratège. « Après, on ne sait pas s’il est un joueur d’échecs qui a deux coups d’avance, ou si c’est un joueur de poker qui a eu deux coups de chance », s’interroge ce parlementaire wallon. « Avec ce qu’il s’est passé ces derniers jours, il est tenu à l’oeil, garantit un élu fédéral. D’autant qu’il a quand même sacrifié un peu vite Sophie Wilmès comme Première ministre. » Les succès passés ne garantissent pas la confiance future…

… et une boulette est si vite arrivée ! Une grosse, en plus, du genre à plomber l’ambiance pour un certain temps. C’est que Georges-Louis Bouchez a mal réglé le sort de Denis Ducarme, celui qui était son concurrent à la présidence du MR. Que ce dernier ne fasse plus partie du casting au fédéral, tout le monde s’en doutait. Mais il fallait lui offrir une compensation (fut-ce pour ne point frustrer les 38% de militants qui l’avaient soutenu lors de l’élection interne). Bouchez avait donc fait sauter la ministre wallonne de la Fonction publique, Valérie De Bue. Sans réaliser que, ce faisant, le gouvernement régional devenait illégal, puisque sous-représenté en femmes (un tiers de ministres de l’autre sexe étant obligatoire, or là il n’y en aurait plus eu que deux sur huit). Denis Ducarme sera donc resté ministre wallon durant deux heures, pour finalement sans doute (re)devenir chef de groupe à la Chambre, bien que les députés auraient préféré que Benoît Piedboeuf continue à officier comme tel. GLouBs.

Mais même s’il intrigue, même s’il énerve, même s’il inquiète, « Georges-Louis XVI » (comme l’avait surnommé la députée Groen Meyrem Almaci lors des fameuses négociations du dimanche 20 septembre) garde sa jeunesse et sa singularité comme atouts. C’est déjà pour ça qu’il avait été élu à la direction du mouvement réformateur : dans l’espoir qu’il insuffle, chez les électeurs, un vent favorable de nouveauté et d’anticonformisme, censé convaincre les jeunes et les urbains, soit ceux qui votaient de moins en moins pour le parti.

Alors les anciens, qui parfois n’ont pas de compte Twitter, qui souvent se contentent de faire gérer leur page Facebook froidement par un collaborateur, regardent avec espoir et indulgence ce novice qui tweete compulsivement et dépense des milliers d’euros en publications sponsorisées sur les réseaux sociaux. Un peu comme s’ils escomptaient que ce moderne trentenaire réussisse là où la plupart d’entre eux ont échoué : à séduire les citoyens.

« Un parti politique n’attend que deux choses de son président, résume ce ministre. Qu’il le fasse intégrer des majorités et qu’il engrange de bons résultats électoraux. Le reste, c’est secondaire. » Georges-Louis Bouchez a réussi – et ce n’était pas gagné – à placer le MR dans une majorité fédérale. Malgré tous ses excès, seuls de mauvais résultats électoraux – le jour a priori lointain où les Belges retourneront aux urnes – seraient susceptibles de le destituer. Car là, les anciens n’accepteraient pas que le moderne rate ce qu’ils n’avaient pas eux-mêmes réussi.

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