Russie: le procès des Pussy Riot peut-il se retourner contre Poutine? (Vidéo)

En donnant l’impression de s’acharner contre les trois punkettes du groupe Pussy Riot, souriantes dans le box des accusés, la justice russe risque de créer un symbole de la liberté d’expression. Et de susciter un effet boomerang.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Sept ans de prison pour une minute de provocation… C’est la peine qu’encourent trois jeunes femmes, membres du groupe Pussy Riot, qui clament leur innocence, pour avoir entonné une prière punk anti-Poutine dans un lieu particulièrement sensible: la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. Le 21 février dernier, entre les élections législatives et le scrutin présidentiel, encagoulées, avec guitares et sonorisation, elles y avaient imploré la Vierge de devenir féministre… et de chasser Vladimir Poutine du pouvoir. Souvenez-vous:

Le pouvoir goûtait déjà peu leurs précédents happenings, sur la place Rouge, dans le métro de Moscou ou sur le toit d’un bâtiment proche d’un commissariat de police où était détenu le blogueur anti-corruption Alexeï Navalny… Mais cette fois, c’est pour l’Eglise orthodoxe que la coupe était pleine. Le patriarche de Moscou et de toutes les Russies Kirill y a vu une « attaque blasphématoire » contre l’Eglise elle-même et contre l’identité nationale de la Russie. Un pays où le renouveau religieux post-soviétique est tel que 70% de la population se définit comme chrétien orthodoxe.

Une accusation connotée religieusement

Trois des punkettes en cause ont été arrêtées, il y a quatre mois. Les autres membres du groupe font profil bas, compte tenu de l’enjeu. Car Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, Ekaterina Samoutsevitch, 29 ans, et Maria Alekhina, 24 ans, risquent gros en devant répondre de « hooliganisme ». Et le parquet a fait référence à des termes religieux en parlant, dans l’acte d’accusation, d’un « sacrilège » commis par les trois jeunes femmes, qui ont « insulté » et « infligé des blessures morales profondes à des chrétiens orthodoxes ».
Des accusations dans lesquelles elles ne se reconnaissent pas. Ce lundi, elles affirment qu’elles « regrettent » d’avoir blessé certains fidèles, mais revendiquent le caractère politique de leur action: « Nous avons reflété l’attitude de nombreux croyants envers les appels du patriarche à voter Poutine. Nous étions chagrinées par les déclarations politiques du patriarche et nous voulions l’exprimer. (…) Nous n’avons procédé à aucune agression (…), nous n’étions animées que par l’envie d’améliorer la situation politique », insistent-elles.

Des « prisonnières d’opinion », selon Amnesty

Le caractère disproportionné de la peine encourue, et sa coloration religieuse, font grand bruit sur la scène internationale. Amnesty International les considèrent officiellement comme des « prisonnières d’opinion ». « Le président Poutine et ses amis doivent arrêter de réprimer la liberté d’expression en Russie et permettre à ces femmes de rentrer dans leurs familles. Il est temps que les autorités russes respectent les journalistes, les défenseurs de droits humains, les musiciens, les blogueurs et les citoyens ordinaires », a affirmé Suzanne Nossel, directrice de la branche américaine de l’ONG.

Des figures artistiques comme Sting, les groupes Faith No More et Franz Ferdinand ont affiché leur soutien lors de concerts récents à Moscou, Saint Pétersbourg ou devant l’ambassade russe à Washington DC. Tous applaudissent le « courage » des jeunes femmes et réclament leur libération rapide. Les fans des Pussy Riot comptent aussi sur une artiste de poids: Madonna. Ils espèrent que l’interprète de Like a Prayer sera touchée par la prière des jeunes femmes et leur apportera son soutien lors de son concert prévu le mois prochain en Russie, selon le Guardian. A suivre.
Les militantes ukrainiennes de Femen, elles, ont préféré agir sur un tarmac que sur une scène. Pas de Tshirt de protestation comme celui qu’a arboré le chanteur du groupe Red Hot Chili Peppers: c’est seins nus qu’elles manifestent. N’en déplaise au patriarche Kirill, cible des Pussy Riot, sur lequel une protestataire a voulu se jeter, à son arrivée à Kiev, en le mettant en cause dans l’affaire de « l’arrestation illégale de militantes anti-Poutine » à Moscou. La police ukrainienne a indiqué que la jeune femme placée en garde à vue doit être jugée en comparution immédiate pour… « hooliganisme ».

Plus grave sans doute aux yeux du Kremlin, que la critique internationale n’ébranle guère même dans le dossier syrien: le cas des Pussy Riot divise la Russie elle-même. En juin, plus de cent représentants du monde de la culture, dont certains ont officiellement soutenu Vladimir Poutine dans le cadre de la dernière élection présidentielle, ont signé une lettre ouverte appelant à leur libération. « L’affaire des Pussy Riot compromet le système judiciaire russe et sape la confiance (des citoyens) dans les institutions » publiques, écrivent les auteurs de cette lettre ouverte signée par des cinéastes, écrivains, musiciens ou metteurs en scène.

Le pouvoir, par la force de sa réponse aux punkettes, est-il en train d’en faire un symbole de la liberté d’expression? On est loin du mouvement de fond et des foules rassemblées cet hiver, certes. Mais leur cause est aussi mentionnée dans les slogans de récentes manifestations, comme vendredi dernier, entre deux cris réclamant une « Russie sans Poutine ». Une dizaine de partisans ont aussi mené une grève de la faim pour soutenir les jeunes femmes qui ont, elles, cessé leur jeûne.

Et attention à l’effet boomerang dans l’opinion! Les enquêtes montrent que les Russes éprouvent de plus en plus de sympathie pour leur cause. Selon un sondage réalisé ce mois-ci par le centre indépendant Levada, 50% des gens en Russie ont une vision « négative » de ce procès, contre 36% qui approuvent la comparution des accusées devant les juges. En mars, 46% estimaient qu’elles devaient être directement jetées en prison.

Pussy Riot, le juge et le tsar…

« C’est la réaction disproportionnée qu’elles ont suscitée qui a transformé leur geste un peu stupide en un sujet si important », résume de son côté Ilya Oskolkov-Tsentsiper, co-fondateur de l’Institut Strelka pour les médias, l’architecture et le design, cité par le Guardian. Un sujet « qui touche à la fois l’Eglise et l’Etat, les croyants et les non-croyants, le juge et le tsar, au point d’acquérir une dimension quasi-historique ». Peut-être pas pour la Russie éternelle… mais pour la Russie de Poutine certainement.
C’est la réaction disproportionnée qu’elles ont suscitée qui a transformé leur geste un peu stupide en un sujet si important
Et dans la presse russe elle-même, commence à poindre une comparaison risquée pour le Kremlin: celle avec le procès de Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-oligarque considéré comme le « prisonnier de Poutine ». C’est d’ailleurs dans la même salle que lui, la salle n°7, que les trois jeunes femmes ont comparu ce lundi, a souligné le quotidien Vedomosti, comme un clin d’oeil. « Trois filles hardies sont à l’origine d’une grandiose affaire judiciaire comparable à l’affaire Ioukos », écrivait jeudi dernier ce journal économique.
Pour Piotr Verzilov, le mari d’une des accusées, qui établit un autre parallèle avec Ai Weiwei poursuivi sans relâche par les autorités chinoises, cela ne fait aucun doute. Comme dans le cas de Mikhaïl Khodorkovski, « Poutine tient personnellement à ce procès ». Avec une nuance près: les punkettes ne détiennent aucun levier du pouvoir, contrairement à l’ex-milliardaire qui a tout perdu depuis 2003. « Quand les gouvernements commencent à s’en prendre non plus aux oligarques, mais aux blogueurs ou aux artistes, poursuit Piotr Verzilov, on voit bien dans quelle direction on va: plus personne n’est à l’abri. »
Sauf, peut-être, si les cagoules colorées se multiplient au point de dépasser le Kremlin. Dans une interview accordée récemment aux médias internationaux, l’une des Pussy Riot encore en liberté rêve d’un mouvement plus vaste que son groupe. Un mouvement où la cagoule remplacerait le masque de Guy Fawkes. Une fois masqué, donc anonyme, « tout le monde pourrait devenir une Pussy Riot ».

Par Marie Simon, L’Express

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire