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Il y a cinq ans débutait le printemps arabe: comment la chute de Kadhafi a alimenté la crise des réfugiés

Annelies Van Erp

Il y a exactement cinq ans, le Tunisien Mohamed Bouazizi mourrait après s’être immolé en un geste très politique. Quel est l’héritage de cet homme qui a mis le feu aux poudres du printemps arabe ? Réponse en cinq articles.

« L’Occident est partiellement responsable du chaos actuel en Libye » déclare le professeur Dirk Vandewalle. « Ni les États-Unis, ni les pays européens n’ont pensé à désarmer les milices après la mort de Kadhafi de sorte qu’à présent presque tous les Libyens se promènent avec une arme. »

Début 2015, le Haut-commissaire des Nations unies pour les Réfugiés, Antonio Guterres lance l’alerte. « Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y a jamais eu autant de personnes en fuite que maintenant. » Sans surprise, cet afflux est dû au nombre croissant de conflits. Rien que la guerre de Syrie a poussé plus de quatre millions de personnes à fuir.

Mais pourquoi y a-t-il eu un pic en 2015 ? La guerre civile sanglante en Syrie fait des victimes depuis quatre ans. « Pour nous Européens, il y a eu un pic en 2015 » explique Vanessa Saenen, responsable presse du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. « Mais les pays voisins de la Syrie – la Jordanie, la Turquie et le Liban – souffrent d’un afflux croissant depuis des années. Le ‘pic de réfugiés’ a donc atteint l’Europe avec un certain retard. »

Réfugiés au régime

Saenen explique que le désespoir parmi les réfugiés ne fait qu’augmenter. « Dans les camps de réfugiés, les réserves d’argents de ces personnes s’épuisent de sorte qu’elles ne peuvent plus acheter de nourriture et envoyer leurs enfants à l’école. En outre, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a dû réduire l’aide de 70%. Les réfugiés principalement syriens ne voient plus de perspective et essaient d’atteindre l’Europe. Et qui pourrait leur en vouloir » ajoute Saenen.

Un vide de pouvoir en Libye

Une grande partie de ces personnes atteignent l’Europe en traversant la Méditerranée depuis la Libye. Le quatrième plus grand pays d’Afrique est en effet ravagé par le chaos et le désordre. Le vide de pouvoir créé après la mort de Mouammar Kadhafi a permis l’éclosion de milices armées, de deux gouvernements concurrents et de passeurs d’êtres humains.

« Quand Kadhafi était au pouvoir, il existait un accord tacite, principalement entre la Libye et l’Italie  » explique le professeur en sciences politiques Dirk Vandewalle (Université de Dartmouth) à nos confrères de Knack.be. La Libye contrôlait et limitait le flux de migrants.

« En fait, l’état libyen utilisait les migrants comme levier contre l’Europe. Si vous nous soutenez, nous vous éviterons un flux non contrôlé. D’après Vandewalle, cet accord fonctionnait « assez bien » jusqu’à ce que le gouvernement tombe en 2011 et qu’il n’y ait plus de gouvernement central.

« L’Occident est donc bel et bien partiellement responsable du chaos actuel » admet Vandewalle. En 2011, l’OTAN a opté pour une approche militaire, elle a fourni un soutien aérien aux rebelles et c’est ainsi que Kadhafi a été chassé et finalement lynché. Cependant, l’Occident ne s’est pas prononcé sur un scénario de relais, ce qui a poussé les différentes milices à en découdre entre elles.

« Ni les États-Unis, ni les pays européens n’ont pensé à désarmer les milices une fois Kadhafi parti » raconte Vandewalle. D’après le professeur, la boutade « en Libye, tout le monde porte une arme » est proche de la réalité. « La quantité d’armes achetée par Kadhafi était du jamais vu. Après son expulsion, ces dépôts – tout comme ces palais – ont été joyeusement vidés par les rebelles. »

Le racisme versus la générosité

« Déjà avant la révolution arabe, la Libye était un pays de transit pour migrants d’Afrique subsaharienne, mais le flux a fortement augmenté à partir de 2011 ». « L’information s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux. Des personnes du Moyen-Orient et d’Afrique s’interrogeaient sur la meilleure route à prendre pour atteindre l’Europe, on leur a répondu de passer par la Libye, car il n’y a pas de gouvernement central qui élabore une politique de migration. En plus, les milices et les trafiquants d’êtres humains, qui flairaient l’opportunité de gagner beaucoup d’argent, ont encouragé les flux migratoires. »

Avec les conséquences que l’on sait. Il n’y a pas d’infrastructure pour accueillir ces nouveaux venus, ils sont totalement abandonnés à leur sort et se retrouvent aux mains de passeurs.

Le racisme et la discrimination à l’encontre de ces migrants sont également monnaie courante. « Le conflit persistant dans le pays cause beaucoup de tracas aux Libyens » explique Vandewalle. « Les migrants mettent en péril les moyens déjà très rares, font monter les prix d’habitations et sont à la recherche de travail. Les migrants sont donc vus comme une menace, ce qui ne fait qu’aggraver les tensions. »

« La situation est différente de la Jordanie, du Liban et de la Turquie. Bien que ces pays soient également sous pression, Saenen se dit frappé par leur énorme générosité. « Contrairement à l’Europe, ils ne ferment toujours pas leurs frontières. »

La Convention de Genève

Fin décembre, les pourparlers de paix en Libye ont conduit théoriquement à un gouvernement d’unité nationale, mais Vandewalle se montre sceptique. « Le grand problème, c’est que ces leaders politiques ne sont pas représentatifs de ceux qui détiennent le pouvoir sur le terrain. L’accord a été passé beaucoup trop rapidement, notamment pas les Nations unies, sans vraiment tenir compte de la situation actuelle en Libye.

L’avancée de l’État islamique en Libye a permis aux deux partis de conclure un accord. La ville balnéaire de Syrte, à 450 kilomètres de Tripoli, se trouve partiellement aux mains de djihadistes libyens revenus de Syrie. On s’inquiète de ce que l’État islamique mise sur la Libye, à côté de la Syrie et de l’Irak, comme seconde base d’opérations. Pour vaincre l’EI avec les partenaires internationaux, il est nécessaire d’avoir une Libye unie. »

« Un pays comme la Libye a besoin du soutien de l’Occident » explique Saenen. « Évidemment, un accord politique est la seule façon de sortir de l’impasse, mais il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle de l’aide humanitaire. » Vanessa Saenen évoque notamment la proposition du président de la N-VA Bart De Wever d’adapter la Convention de Genève. « Autrefois, nous étions réfugiés nous-mêmes et d’autres pays nous accueillaient. Il serait cynique de ne pas respecter cette convention. Ce serait très opportuniste et cela nous ferait sombrer dans le chaos. »

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