Bert Blocken © Franky Verdickt

Ventilation : « Combien de vies aurions-nous pu sauver si nous avions agi plus rapidement »

Peter Casteels
Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Bert Blocken, expert en ventilation, en est convaincu : tous les bars et restaurants auraient pu ouvrir plus tôt s’ils avaient eu une bonne ventilation. « Ce n’est pas sorcier. »

« Pourquoi tout le monde n’a pas un purificateur d’air ? C’est une question que je me pose depuis des mois », déclare Bert Blocken, expert en techniques de ventilation à la KU Leuven et à la TU Eindhoven. Selon lui, ventiler en ouvrant une fenêtre est digne d’un pays en voie de développement. Et Blocken n’est plus le seul à penser cela. Le virologue Marc Van Ranst est d’accord avec lui : il est urgent de mieux ventiler.

Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour qu’on parle de ventilation ?

Blocken : Depuis plus d’un an, mes collègues et moi avons mis en évidence des infections qui ne peuvent s’expliquer que par la propagation par les aérosols. Je me souviens d’un concert avec 600 choristes : il s’est avéré que 300 d’entre eux ont été infectés. Ils n’avaient pas tous bu dans le même verre, et ne s’étaient pas tous embrassés sur la bouche. Dès que la concentration d’aérosols atteint un certain niveau, on peut être infecté par le coronavirus. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’organisme le plus important dans cette crise, n’a jamais voulu le voir. Elle estimait qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves irréfutables. Ce n’est que la semaine dernière qu’elle a opéré un virage à 180 degrés et admis que les aérosols sont un vecteur de propagation important.

Je trouve incompréhensible et honteux que cela ait pris autant de temps. Il ne s’agissait pas d’une discussion théorique entre chercheurs, mais d’une question de vie ou de mort. Je ne veux pas me demander combien de vies nous aurions pu sauver si nous avions agi plus rapidement.

Aujourd’hui, nous le savons: dès le début de la crise, nous avons accordé une attention excessive à l’hygiène des mains et à la contamination par les surfaces, sans nous rendre compte que les petites gouttelettes dans l’air sont beaucoup plus dangereuses.

C’est exact. Les études qui montrent que les infections par les surfaces sont moins fréquentes qu’on ne le pensait sont encore relativement récentes. Les chercheurs parlaient déjà des aérosols en février 2020. Si j’avais encore des grands-parents vivant dans une maison de retraite à l’époque, j’aurais veillé à ce qu’il y ait un purificateur d’air. Mais peu de pays s’en sont encore réellement saisis. En Corée du Sud, les écoles sont équipées de purificateurs d’air, en Finlande, on y prête beaucoup d’attention, et en Allemagne, la situation commence à s’améliorer. Mais nous avons perdu beaucoup de temps. Les gouvernements commencent seulement à me demander des conseils.

Les virologues et autres experts ont par ailleurs souligné l’importance de la ventilation à de nombreuses reprises au cours de l’année écoulée, notamment avant le début de l’automne. Pourquoi cela ne fait-il pas partie de la politique ?

Même les experts, à qui l’on donne toujours la parole, ont dû revoir leur position. Marc Van Ranst a été l’un des premiers à reconnaître l’importance de la ventilation, il en parlait déjà en mai 2020. Chez Sciensano, il a fallu plus de temps. Pendant un certain temps, les politiciens n’ont pas compris ce que l’on entendait exactement par « meilleure ventilation ». La recommandation n’était peut-être pas assez précise pour servir de base à un véritable conseil ? Mais aujourd’hui, nous pouvons même le chiffrer : l’air d’une salle de classe doit de préférence être renouvelé six fois par heure.

Que recommandez-vous aux directeurs d’école ?

Six changements d’air par heure, c’est beaucoup. Des ventilateurs soufflent de l’air frais de l’extérieur, qui devrait être réchauffé à chaque fois. Un purificateur d’air est un meilleur choix : il purifie l’air dans la salle de classe et rejette ce même air. Ce système est également moins cher. Nous avons récemment effectué une comparaison pour le journal télévisé néerlandais Nieuwsuur : purifier l’air d’une salle de classe avec un système de ventilation mécanique coûte environ 20 000 euros, alors qu’un purificateur d’air peut faire le travail pour 2 000 euros.

Un purificateur à air suffira-t-il dans les établissements horeca?

Oui. Je reçois beaucoup de questions de la part de propriétaires d’établissements horeca, de fitness et de salons de coiffure qui demandent ce qu’ils doivent faire pour ventiler leur entreprise en toute sécurité. Je peux faire ce calcul très rapidement. Je le fais gratuitement, car c’est seulement 12 minutes de travail. Ce n’est pas non plus sorcier, tout cela est connu depuis des décennies. Je n’aurai pas de prix Nobel pour ça. (rires) Si les gens commandent un purificateur d’air en ligne après avoir lu cette interview, ils seront livrés demain. Il leur suffira de le brancher.

Pour beaucoup de gérants, 2 000 euros, c’est peut-être beaucoup d’argent.

Pedro Facon, le commissaire Corona, m’a également demandé ce qu’il fallait faire. « Ce n’est pas gratuit, hein », je lui ai dit. Mais il trouvait que cet investissement n’était rien comparé à la montagne de dettes que nous accumulons aujourd’hui.

Le gouvernement doit prendre l’initiative. Tout d’abord, il devrait demander aux chercheurs de produire un classement des meilleurs purificateurs d’air. Ensuite, il doit les acheter en masse et les distribuer dans les écoles, les cafés et les restaurants. Troisièmement, il faut un label de qualité, qui permet aux propriétaires de prouver que l’air de leur établissement est sain. Des fonctionnaires seraient chargés de vérifier. Ensuite, les propriétaires pourraient annoncer le label à leurs clients en apposant un autocollant sur la fenêtre, tout comme les autocollants WiFi gratuit.

Ce système nous permettrait-il de refaire plus vite du sport à l’intérieur?

Oui. À la demande du ministère néerlandais de la santé publique, du bien-être et du sport, nous avons étudié la façon dont les aérosols se sont propagés dans les centres de fitness en mai 2020. Évidemment, ce sont des lieux où ‘on génère beaucoup d’aérosols, mais il a moyen d’y remédier. En Belgique, certaines chaînes de fitness m’ont déjà envoyé un courriel avec le protocole qu’elles souhaitent utiliser pour rouvrir. J’ai été impressionné : dans certains cas, l’activité en intérieur serait presque aussi sûre qu’en extérieur. Il est regrettable pour ces propriétaires d’être mis dans le même panier que les petits fitness où il n’y a pas de ventilation et où, parfois, on ne peut même pas ouvrir une fenêtre.

Je comprends que lors du premier confinement, le gouvernement ait opté pour la solution facile : tout ouvert ou tout fermé. Mais nous sommes maintenant quatorze mois après le début de la pandémie et nous n’avons pas fait un seul pas en avant. Entre-temps, les contrôles pourraient être un peu plus précis, non?

Vérifier tous les bars et les restaurants avant leur ouverture : pour le gouvernement, c’est une opération énorme.

Ça peut aller vite, vous savez. S’ils me le demandaient maintenant, je pourrais leur donner avant la fin de la journée une liste de cinquante noms d’experts en ventilation immédiatement disponibles pour effectuer ces contrôles. Il y a beaucoup de déception, mais aussi de motivation parmi ces personnes. Nous connaissons la solution, mais pendant longtemps, personne ne s’y est intéressé.

Le deuxième confinement, à l’automne, aurait-il pu être moins strict si nous avions investi dans la ventilation à ce moment-là ?

Évidemment. Je pense que ce label de qualité est une très bonne idée. L’automne dernier, j’ai eu le sentiment que les autorités n’avaient pas l’esprit de décision nécessaire pour éviter une fermeture totale. Aujourd’hui, presque personne ne respecte les règles. Nous avons vu La Boum 1 et 2 au Bois de la Cambre, mais avant cela, bien sûr, il y a eu des milliers de lockdown parties chaque semaine dans tout le pays… Avec un horeca ouvert bien contrôlé, nous aurions pu éviter de nombreuses infections.

Quand j’entends maintenant des hommes politiques dire que les vaccinations sont notre seule véritable stratégie de sortie, je me dis : c’est risqué. Que faire si de nouveaux variants apparaissent ? Ou même une nouvelle pandémie ? C’est le moment de mettre en ordre notre ventilation et notre purification de l’air. Les jeunes ne se laisseront pas enfermer une troisième fois.

Les plexiglass sur les terrasses – pour rapprocher les terrasses – sont-ils une bonne solution ?

Je ne vois pas de problème. À l’air libre, la concentration d’aérosols reste toujours faible, à moins que les gens soient debout et pressés les uns contre les autres, comme dans les files d’attente d’un parc d’attractions.

Le week-end dernier, j’ai vu des terrasses couvertes dont les côtés étaient fermés. Sans système de ventilation, c’est encore plus dangereux que de rester assis à l’intérieur. C’est vraiment irresponsable.

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