Plus vrai que nature Vêlages ou césariennes ont lieu dans un contexte proche de la réalité. Les pattes avant du veau apparaissent, suivies de sa tête. Il faut l’aider, tirer, jusqu’à l’expulsion. Et accueillir ces quarante à cinquante kilos dans les bras! Il ne reste plus qu’à poser la boucle d’oreille. Pour s’exercer à ce geste, l’équipe du Skill Lab réfléchit à fabriquer «des oreilles, ou une tête de veau, si j’ose dire», lance la doyenne Tatiana Art. © Hatim Kaghat

Comment les futurs vétérinaires s’exercent désormais sur des mannequins (reportage)

Nathalie Duelz
Nathalie Duelz Secrétaire de rédaction

Stérilisation, prélèvements, sutures, césarienne… des gestes autrefois appris par les étudiants de la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège sur des animaux vivants ou des cadavres. Aujourd’hui, grâce au Skill Lab, ils font leur armes sur des modèles en majorité faits maison.

C’est un laboratoire de compétence pas comme les autres. Au premier coup d’œil, on se croirait dans une sorte de musée Grévin peuplé d’animaux. Sauf qu’ici, cochons, vaches, chevaux, chiens, chats, tortues ou iguanes ne sont pas en cire. Le plus souvent en peluche, en plastique ou en silicone. Accrochée à la pince d’un statif, parfois juste une patte, reliée à une poche de sang. Ou, sur une table, quelques paires de testicules de chien tout juste retirées par des étudiants de Master 2. «Il va falloir réparer tout ça pour la prochaine session», sourit Sophie Tasnier, assistante à la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège.

Le Skill Lab est son «terrain de jeu». La majeure partie des mannequins présents dans les différentes salles de l’ancienne clinique des animaux de compagnie sont ses créations. «J’ai longtemps hésité entre l’art et la médecine vétérinaire. J’ai finalement réussi à concilier les deux.»

Créé en 2019 à l’initiative de la professeure Tatiana Art, aujourd’hui doyenne de la faculté, le Skill Lab est un lieu d’apprentissages alternatifs. Le fruit d’un alignement de planètes. «Jusque-là, les étudiants apprenaient les gestes techniques sur des animaux morts ou sur des animaux pédagogiques vivants ou de clients de la faculté. Faute de contingentement, nous avons été à un moment submergés d’étudiants. Nous manquions d’animaux, évoque Tatiana Art. Et puis, les mentalités dans le grand public, chez les étudiants et les enseignants ont beaucoup changé. On ne tolère plus qu’un futur vétérinaire pose son premier geste sur un animal en le ratant ou en le faisant souffrir.» A cela se sont ajoutés des infrastructures qui se libéraient et un budget, inespéré, de cent mille euros.

Les premiers mannequins sont alors achetés aux Etats-Unis. Avec toutes les difficultés inhérentes: délais, prix exorbitants, frais de douane, étude de marché (l’université est soumise au système de marché public)… Pour un choix d’animaux finalement limité. «Il fallait être très motivé pour entreprendre toutes ces démarches et créer ce labo, se souvient la doyenne. Alors on a commencé à créer des choses nous-mêmes. Je crois qu’on stupéfierait le monde entier en montrant la qualité des mannequins de notre laboratoire par rapport au prix dépensé. Grâce à Sophie…» Qui récupère tout ce qu’elle peut, passe des heures sur Marketplace et fait preuve d’une ingéniosité qui surprend chaque jour ses collègues.

Ce n’était pourtant pas gagné d’avance… «Au début, nos collègues cliniciens étaient sceptiques, sourit Tatiana Art. Beaucoup n’imaginaient pas apprendre à leurs étudiants à faire des manipulations sur des peluches ou des bêtes en caoutchouc qui, pour eux, n’offriraient pas les mêmes sensations que le vivant. On est toutefois parvenus à respecter de nombreux paramètres: repères anatomiques, consistance et texture des tissus, finesse de certaines parois, etc. Les étudiants adorent et sont rassurés de pouvoir d’abord s’exercer sur des mannequins ; les profs sont conquis. On a même réussi à bluffer nos collègues médecins venus visiter le labo…»

Ne leur manquerait-il pas seulement la parole et le geste, à ces animaux? «Nous ne sommes pas des savants fous qui décidons que ce serait rigolo de faire ceci ou cela, tempère la professeure. L’important est de commencer par les essentiels. Mais ce ne serait pas impossible, il faudrait plus de technicité, d’électronique. Certains modèles de chiens contiennent déjà des amplis qui permettent une auscultation cardiaque. Nous étudions aussi l’utilisation de récepteurs sensibles à certaines pressions qui pourraient déclencher un gémissement, une toux ou un mouvement. Je pense également sérieusement à équiper la salle dédiée aux porcs d’un haut-parleur qui diffuserait leurs cris. Parce que le cri du cochon est extrêmement inhibiteur. Quand il se met à hurler, il faut s’accrocher pour continuer à le soigner.»

Avant cela, l’équipe du Skill Lab compte étoffer sa «ménagerie» pour initier les étudiants aux gestes de dentisterie et à la pratique de péridurales. «Nous avons touché à un peu toutes les espèces en rendant possibles les gestes basiques. Désormais, l’objectif est d’évoluer vers davantage de spécialisations», conclut Sophie Tasnier. Pour continuer à être «l’un des plus beaux Skill Lab d’Europe».

L’atelier de Géo Trouvetou Dans l’antre de Sophie Tasnier, vétérinaire aux doigts d’or, beaucoup de silicone, feutrine, bois, tuyaux, caoutchouc… Le cochon, baptisé Côtelette, est l’animal qui, jusqu’ici, lui a donné le plus de fil à retordre. «Surtout sa jugulaire! Un cochon, c’est gras. Une aiguille doit pouvoir s’enfoncer de huit centimètres dans le cou, l’accès rester possible pour changer la veine et cela, tout en respectant la consistance.»
L’atelier de Géo Trouvetou. Dans l’antre de Sophie Tasnier, vétérinaire aux doigts d’or, beaucoup de silicone, feutrine, bois, tuyaux, caoutchouc… Le cochon, baptisé Côtelette, est l’animal qui, jusqu’ici, lui a donné le plus de fil à retordre. «Surtout sa jugulaire! Un cochon, c’est gras. Une aiguille doit pouvoir s’enfoncer de huit centimètres dans le cou, l’accès rester possible pour changer la veine et cela, tout en respectant la consistance.» © Hatim Kaghat
Apprendre, répéter, valider Les étudiants apprennent plusieurs centaines de gestes techniques (prises de sang, castration, sondage naso-gastrique…) repris dans un «cahier d’activités» virtuel. Tous font l’objet d’une fiche technique. Lorsqu’il est prêt, l’étudiant pose le geste devant un assistant qui le valide (ou non). Tous doivent être approuvés en fin de master.
Apprendre, répéter, valider. Les étudiants apprennent plusieurs centaines de gestes techniques (prises de sang, castration, sondage naso-gastrique…) repris dans un «cahier d’activités» virtuel. Tous font l’objet d’une fiche technique. Lorsqu’il est prêt, l’étudiant pose le geste devant un assistant qui le valide (ou non). Tous doivent être approuvés en fin de master. © Hatim Kaghat
Une sacrée ménagerie Le labo possède une soixantaine de «mannequins», tous réparables. Du plus commun au plus inattendu. Parfois juste une patte, un appareil reproducteur, une tête. Il faut entre quinze jours et trois mois pour les fabriquer. Toujours en tenant compte des desiderata des professeurs et des points d’attention qu’ils souhaitent enseigner.
Une sacrée ménagerie. Le labo possède une soixantaine de «mannequins», tous réparables. Du plus commun au plus inattendu. Parfois juste une patte, un appareil reproducteur, une tête. Il faut entre quinze jours et trois mois pour les fabriquer. Toujours en tenant compte des desiderata des professeurs et des points d’attention qu’ils souhaitent enseigner. © Hatim Kaghat
Jeux de rôle Des consultations sont simulées: diagnostic d'obésité, annonce d’euthanasie, paiement ou non en cas d’erreur médicale… La séance, observée depuis une salle annexe avec vitre sans tain, est débriefée par l’assistant et des psychologues. Un exercice inédit, qui aide à la prise de décision dans le respect de l’animal et de son propriétaire.
Jeux de rôle. Des consultations sont simulées: diagnostic d’obésité, annonce d’euthanasie, paiement ou non en cas d’erreur médicale… La séance, observée depuis une salle annexe avec vitre sans tain, est débriefée par l’assistant et des psychologues. Un exercice inédit, qui aide à la prise de décision dans le respect de l’animal et de son propriétaire. © Hatim Kaghat
Couteau suisse Les vétérinaires sont des omnipraticiens: «Ils doivent pouvoir tout faire: une anesthésie, un électrocardiogramme, sonder un cheval, inséminer une vache… L’éventail est très large et sur des animaux souvent très différents, insiste Tatiana Art, qui est aussi professeure de physiologie. C’est pourquoi il est indispensable de développer au maximum leur habileté technique.» D’abord sur des mannequins, puis de vrais animaux.
Couteau suisse. Les vétérinaires sont des omnipraticiens: «Ils doivent pouvoir tout faire: une anesthésie, un électrocardiogramme, sonder un cheval, inséminer une vache… L’éventail est très large et sur des animaux souvent très différents, insiste Tatiana Art, qui est aussi professeure de physiologie. C’est pourquoi il est indispensable de développer au maximum leur habileté technique.» D’abord sur des mannequins, puis de vrais animaux. © Hatim Kaghat
Impression 3D Certains animaux (rat, lézard, tortue) ou parties (jambe de cheval) sont d’abord modélisés sur ordinateur par Laurent Leinartz, le graphiste. Puis des moules sont imprimés en 3D avant d’être coulés en silicone. Les mannequins des grands animaux – vache, cheval – sont, eux, achetés ou créés à partir de panneaux en bois ou en polystyrène. D’autres animaux en peluche sont «pimpés» par Sophie Tasnier. Son prochain défi? Peut-être un dauphin. «On en parle pour les autopsies. Mais il me faudra recréer tous les organes!»
Impression 3D. Certains animaux (rat, lézard, tortue) ou parties (jambe de cheval) sont d’abord modélisés sur ordinateur par Laurent Leinartz, le graphiste. Puis des moules sont imprimés en 3D avant d’être coulés en silicone. Les mannequins des grands animaux – vache, cheval – sont, eux, achetés ou créés à partir de panneaux en bois ou en polystyrène. D’autres animaux en peluche sont «pimpés» par Sophie Tasnier. Son prochain défi? Peut-être un dauphin. «On en parle pour les autopsies. Mais il me faudra recréer tous les organes!» © Hatim Kaghat
Smart, cette radiographie Doctorant à la faculté, Etienne Levy a mis au point un dispositif d’apprentissage d’imagerie intelligent capable d’analyser si l’étudiant a choisi les bons paramètres en fonction du cliché demandé. Et de corriger le geste posé: plaque trop à droite ou à gauche, à X centimètres au lieu de Y, avec telle inclinaison… Développé pour un membre de cheval, il le sera prochainement pour d’autres modèles, notamment des hanches de chien.
Smart, cette radiographie. Doctorant à la faculté, Etienne Levy a mis au point un dispositif d’apprentissage d’imagerie intelligent capable d’analyser si l’étudiant a choisi les bons paramètres en fonction du cliché demandé. Et de corriger le geste posé: plaque trop à droite ou à gauche, à X centimètres au lieu de Y, avec telle inclinaison… Développé pour un membre de cheval, il le sera prochainement pour d’autres modèles, notamment des hanches de chien. © Hatim Kaghat
Une équipe «home made» Initié par la doyenne Tatiana Art (à dr.), le Skill Lab peut compter sur les compétences informatiques et graphiques de Laurent Leinartz, artisanales et scientifiques de Sophie Tasnier (en rouge) et Véronique Delvaux, pédagogiques de Sonia Parrilla Hernández (en bleu). Mais aussi celles de Vinciane Toppets et Catherine Delguste (pour les TP communication).
Une équipe «home made». Initié par la doyenne Tatiana Art (à dr.), le Skill Lab peut compter sur les compétences informatiques et graphiques de Laurent Leinartz, artisanales et scientifiques de Sophie Tasnier (en rouge) et Véronique Delvaux, pédagogiques de Sonia Parrilla Hernández (en bleu). Mais aussi celles de Vinciane Toppets et Catherine Delguste (pour les TP communication). © Hatim Kaghat

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire