© Antonin Weber

Bernard Daune, gardien d’animaux exotiques par nature (portrait)

Doué pour la course à pied et le spectacle, Bernard Daune leur a consacré une partie de sa carrière. Tout en étant en charge du seul refuge pour animaux exotiques en Belgique, L’Arche.

Il y a un perroquet blanc qui a appris à radoter «gros bisous «, un raton laveur qui s’amuse sur un toboggan jaune pour enfants, un émeu d’Australie en chaleur, un Grand-duc de Verreaux dur de la feuille et une chouette lapone borgne. «Ceux-là, on ne les voit ni au parc ni au zoo», lance, imperturbable, un septuagénaire en bleu de travail, bottes aux pieds et moustache coiffant la lèvre supérieure.

Au milieu d’un petit bois de Bousval, coincé entre la N25 et les champs à perte de vue, Bernard Daune est dans son monde, celui qu’il partage avec les animaux exotiques qu’il accueille dans son refuge, L’Arche. Tous sont ses enfants. «Alors, les grosses doudounes?!», lance-t-il à deux tigresses, anciennes pensionnaires du cirque Bouglione, en leur pinçant le museau. Plus loin, il pointe du doigt des rapaces issus de saisies judiciaires. «Là-bas, il y a encore un kangourou. On l’a retrouvé sur l’autoroute, à Anderlecht.» Sur les différents niveaux en terrasse de ce domaine d’un hectare, trois cents animaux en détresse cohabitent dans des casemates faites maison ou des cabanes de jardin d’occasion. Depuis bientôt 34 ans. A l’époque, la signature toute fraîche d’une convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages avait pourtant compliqué le trafic d’animaux insolites. «Mais aujourd’hui, il y a Internet», précise Bernard, dont les mots émaillés de patois sont parfois couverts par le chant d’un joyeux canari ou le cri d’un macaque jaloux. «On peut se faire livrer pratiquement tout par camionnette. Les revendeurs sont surveillés, mais comme ils n’ont généralement pas de base en Belgique, c’est difficile de les attraper. Pour l’instant, la mode est au caracal, au bengal, au chat des sables ou au serpent…» Des animaux pour lesquels le commun des mortels n’est pas formé à la prise en charge au quotidien et que beaucoup finissent par abandonner. Comme le 24 décembre dernier, quand Bernard retrouve un serval enfermé dans une boîte en carton. Sans nom, sans info. Il ne s’en émeut plus: il a l’habitude des surprises. Et des appels quotidiens de parcs, de cirques ou du milieu du cinéma pour lui confier des pensionnaires, comme Julia, une oursonne présente au casting de Belle et Sébastien 2. «S’ils n’atterrissent pas ici, c’est souvent l’euthanasie qui les attend.»

Champion de Belgique et chamelier

Dans la même minute, Bernard Daune peut approcher la louve Moéra et caresser des chevreuils tout en gardant un œil sur la quarantaine de canaris qui occupent sa volière bleue «et qui symbolisent chacun l’âme de leur propriétaire décédé». Le terrain de L’Arche est en pente, mais pas encore suffisamment accidenté pour empêcher le senior, boitillant, de parcourir le sentier. «Pourtant, mes genoux n’en peuvent plus: j’ai beaucoup couru dans ma vie.» Au sens propre comme au figuré, puisque le moustachu est un ancien athlète international. Un spécialiste du 3 000 mètres steeple, cette course de demi-fond avec obstacles qu’il découvre à l’adolescence, après avoir remporté toutes les compétitions interécoles.

Son plus gros risque

«Accompagner un de mes ours dans une fosse dont les résidents avaient cassé la porte de l’enclos. Si mon camarade ne m’avait pas attrapé, les ours l’auraient fait.»

A la fin des années 1960, le blondinet d’alors est sacré plusieurs fois champion de Belgique junior, établissant même un record d’époque, avant d’être sélectionné en équipe nationale. «J’ai fait les Jeux du Proche-Orient, les Israel Hapoel Games ou encore le meeting de Zurich que j’ai remporté sur 1 500 mètres en 1974.» Deux ans plus tôt, il est même présélectionné pour les JO de Munich, mais il n’atteint pas les chronos minimaux. «Une frustration, mais pas un regret.» Sa capacité à dérouler ses baskets à la perfection lui offre bien un peu d’argent de poche – «Je l’utilisais pour me payer des animaux» – mais son statut d’amateur le contraint à travailler sur le côté. D’abord dans une usine de papier, où il se rend tous les jours en carapatant trente kilomètres aller-retour. Puis comme facteur à Waterloo, où il termine sa tournée suffisamment tôt pour pouvoir s’entraîner. «Je me sentais détendu quand je courais. J’allais dans la nature, ça me permettait d’approcher le gibier. Les premières fois, les chevreuils fuyaient. Puis ils se sont habitués à ma présence parce que je venais tous les jours au même moment. Je suis un ponctuel: 9 heures, ce n’est pas 9 h 10. Je n’ai pas de montre, ni de GSM, mais je suis toujours à l’heure.»

Une ponctualité qui lui servira, bien des années plus tard, lorsqu’il s’improvise artiste chamelier et qu’il est programmé un peu partout en Europe avec ses deux mammifères à bosse, Abdoul et Soudan. «Je les transportais dans une remorque avec un pick-up Dodge W200 de l’armée américaine. On faisait beaucoup d’animations dans des parcs ou des promenades pour enfants dans les rues. Les chameaux ont vraiment bien bossé.» Toute rentrée financière gonfle alors directement la trésorerie de l’asbl L’Arche, qu’il lance en 1989, convaincu par un ami du bien-fondé de l’initiative. Bernard n’est pas un m’as-tu-vu, mais il aime faire partie du spectacle avec ses animaux. A la fin des années 1990, il emmène quelques rennes, que son épouse Charlotte affuble de tenues lapones, jusqu’à Disneyland Paris. «On transportait le Père Noël pour un spectacle sur un traîneau… à moteur, qui n’avait donc pas besoin d’être tracté. Ça a fait tache quand un renne – mais pas un des miens! – a subitement décidé de se coucher sur la route.» L’affront public resté en travers de sa gorge, la direction parisienne décide d’envoyer le renne Poppy en pension à Bousval. «On lui a attaché un pneu de camion pour qu’il s’habitue à tirer avec une sangle et il est devenu l’un de mes meilleurs rennes. Contrairement à ces clowns de Disney, je savais comment m’occuper des bêtes.»

Sa plus grosse claque

«Le décès de Tintin, mon ours et fidèle ami pendant 39 ans.»

© Antonin Weber

Le doigt et la chips

A la tête de l’un des rares refuges pour animaux exotiques d’Europe, l’actuel retraité a vu défiler des colonies d’ocelots, de pumas et autres lions, mais jamais d’éléphants ou d’espèces marines. Certainement pas par manque d’envie, plutôt de place et d’infrastructures. Son budget se résume à quelques subsides communaux ou régionaux tributaires de contrôles stricts, aux dons et aux visites publiques qu’il organise de mars à octobre. Il l’utilise pour acheter et stocker jusqu’à une tonne de nourriture par mois – «même si je récupère aussi les invendus de deux grandes surfaces» – et pour améliorer constamment les loges et enclos, aidé par sa femme, sa sœur, une voisine enseignante ainsi que des condamnés à des heures de travail d’intérêt général. «Certains n’accrochent pas du tout et je les remballe, d’autres reviennent même après avoir purgé leur peine. S’ils veulent parler de ce qu’ils ont fait, j’écoute. Mais je ne demande jamais rien.» S’ils n’ont rien à dire, ils peuvent toujours écouter leur hôte détailler avec humour comment il a bâti son arche pierre par pierre, à la façon du facteur Cheval, dont il partage l’utopie du rêve d’une vie… en après-journée.

Son mantra

«Je préfère les animaux aux humains: ils sont plus sincères.»

Hyperactif, Bernard a notamment travaillé dans l’attelage de chevaux pour un privé, comme chauffeur puis ouvrier dans le secteur touristique, notamment à la Ferme du Caillou, le dernier QG de Napoléon. En plus de son activité à Bousval. «Je suis un passionné. C’est pour ça que je suis ici alors que ma femme vit dans une autre maison. Il faut constamment une présence à L’Arche. Pour surveiller, pour régler les problèmes, les pannes ou pour éviter tout événement dramatique.» Le Brabançon a déjà été agressé. Souvent, cela fait suite à des saisies d’animaux que les propriétaires n’acceptent pas. Il y a quelque temps, deux hommes ont débarqué en pleine nuit pour récupérer un oiseau. L’un d’eux a commencé à défoncer la barrière de l’entrée. «Je lui ai demandé deux fois d’arrêter, il ne l’a pas fait.» Bernard s’est alors improvisé chef du service d’ordre pour bouter les nerveux hors du domaine.

Le «Noé de Bousval» est probablement un peu fou. Et peu de choses l’effraient. Sa main droite en est la preuve, elle dont l’index est dépourvu d’une phalange. «On faisait les cons avec Tintin, puis il a mordu un peu trop fort et j’ai perdu un bout de doigt. Pour lui, c’était comme une chips. Moi, je n’ai pas senti grand-chose, ça a juste un peu brûlé.» Tintin est le premier vrai coup de foudre de Bernard. Il remonte à 1971 et cette rencontre chez un importateur de Westerlo où l’ours à collier s’est d’emblée montré joueur avec le Genappien. «J’ai toujours aimé les animaux exotiques: à 10 ans, j’écrivais à saint Nicolas pour recevoir un lion. Ça venait des nombreux documentaires que l’on regardait en famille.» Ce jour-là, le facteur dépense l’équivalent de 200 euros pour ramener Tintin dans sa Renault 6. Il ne le quittera plus pendant 39 ans. Trente-neuf années à jouer, courir, bouder – «J’ai dû un jour scier une branche parce que le salopard refusait de redescendre d’un pommier» –, se promener à pied ou en brouette. Jusqu’au décès de l’ours, à l’aube des années 2010. «Il est enterré ici, je n’ai pas voulu qu’il parte.» Attaché à tous ses pensionnaires, Bernard a progressivement appris à saisir la psychologie de chacun d’eux selon leur caractère, leur degré de sociabilité et leur âge, «même si la plupart arrivent ici en bout de course… En fait, ils sont un peu comme moi aujourd’hui.» A bientôt 73 ans, le retraité attend un repreneur. Qui aura du pain sur la planche. Et pas mal de vies à rattraper.

Ses dates clés

1976 «J’attends Ivo Van Damme pour un entraînement commun lorsqu’il se tue sur la route.»

1995 «Je démonte tout le site de L’Arche, alors situé à Ways, pour le remonter à Bousval.»

1996 «J’accueille Simba le lion, l’animal préféré de mon épouse. On le nourrit au biberon dans notre maison durant les premiers mois.»

2015 «J’adopte officiellement Marie-Pierre, la fille de mon épouse.»

2028 «C’est l’ultimatum que je me suis fixé pour arrêter si je ne trouve pas de successeur à L’ Arche.»

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