En prenant la tête des Francs Borains, Georges-Louis Bouchez a mis les pieds dans un monde du football parfois piégeux. © BELGA

Prêt ou sponsor? Ces 200 000 euros qui mettent les Francs Borains et Bouchez dans l’embarras (enquête)

Guillaume Gautier Journaliste
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’argent amené par un homme d’affaires en 2020 est l’objet d’un conflit classique dans le monde du football. On tente d’y voir clair: les Francs Borains ont-ils arnaqué Osvaldo Di Loreto?

Dans l’entourage du président des libéraux, ils étaient nombreux à l’avoir prévenu. Prendre la tête d’un club de football, un an et demi à peine après que la majorité des clubs professionnels ont été éclaboussés par le scandale de l’Opération mains propres, ce n’était pas vraiment sa meilleure idée. Georges-Louis Bouchez a entendu les remarques, puis n’a écouté que lui. Le 24 avril 2020, alors que la crise sanitaire oblige le directeur général Roland Louf à tenir son micro avec des gants de chirurgien et les journalistes présents à la conférence de presse à se tenir à l’écart l’un de l’autre sur des chaises disposées sur le terrain, le nouvel homme fort du Royal Francs Borains (RFB) descend de la tribune principale escorté par des haut-parleurs qui chantent We are the champions.

« Merci pour l’accueil », entame GLB, maillot vert local tenu du bout des gants et écharpe de supporter posée sur le costard. Quelques jours après la mise à mort prématurée d’une fusion pourtant complètement entérinée avec le club de Mons-Quévy en vue de former un grand club de la région Mons-Borinage, le président du MR devient l’immanquable visage des ambitieux Francs Borains qui continuent leur route en solitaire. Dans les travées du stade Vedette, derrière les applaudissements, certains s’interrogent déjà sur ce coup de projecteur mis sur un club qui aurait pourtant intérêt à rester à l’abri des regards. Son homme fort, David Lasaracina, est un agent de joueurs, fonction dont le cumul est interdit avec celle de décisionnaire dans un club de football professionnel par les règlements de l’Union belge de football. Professionnels, les Francs Borains ne le sont pas encore mais aspirent à le devenir. Le nouveau président ne le cache pas. Il est même là pour ça.

Trois ans et demi plus tard, le 26 octobre 2023, Georges-Louis Bouchez a dû se souvenir des conseils de son entourage. Ce jour-là, il est convoqué au siège bruxellois de l’OCRC (office central pour la répression de la corruption). Les enquêteurs veulent entendre le président du RFB sur la gestion du club. L’homme qui a provoqué ce passage au peigne fin des comptes borains n’est évidemment pas inconnu de la figure de proue du MR. Il est même l’une des trois personnes à avoir son nom en gras dans le discours d’intronisation de Bouchez en 2020, repris sur le site du club : « Il faut un soutien public mais aussi un soutien privé. Nous pourrons compter sur Osvaldo Di Loreto, ancien président des Francs Borains, personnage bien connu de la région. Homme d’affaires à succès, même s’il est discret. C’est un soutien important sans lequel je n’aurais pas intégré la structure, parce que je voulais une assise suffisante pour pouvoir monter un projet fort. »

L’assise en question est un montant à six chiffres. Un prêt, selon Di Loreto. Un sponsoring, à en croire le dernier bilan comptable rendu par les Francs Borains dans le cadre de l’obtention de leur licence : indispensable sésame pour ouvrir les portes du football professionnel suite à la montée vers la deuxième division, acquise sur le terrain au printemps dernier. Ce montant à six chiffres était initialement fixé à 200 000 euros, mais n’a pas été entièrement honoré. « J’ai versé 135 000 euros, à savoir 25 000 euros pour l’asbl RFB jeunes et 110 000 euros pour l’asbl RFB mère, précise Osvaldo Di Loreto. Les versements se sont arrêtés quand j’ai compris que je me faisais avoir, qu’on me mentait. Personne au RFB ne signait de documents de reconnaissance des prêts. Ils n’ont d’ailleurs pas signé les conventions de prêt, sur lesquelles il n’y a que ma signature. »

Une caution pour 200 000 euros

Si les Francs Borains sont alors en recherche de fonds, c’est parce que la crise sanitaire et la volonté de croissance sportive ont rendu leurs comptes bien moins verts que leurs tuniques. Alors directeur général du club – il a quitté le RFB au terme de son contrat, en juin 2021 – Roland Louf avertit dans un e-mail daté du 24 avril 2020 : « Suite aux discussions menées ce jour en CA, je pense qu’il serait souhaitable d’envisager une ligne de crédit à hauteur de 200 000 euros afin de pallier au (sic) manque de liquidités entre ce jour et la reprise en juillet, et ce afin de permettre un fonctionnement normal. » Parmi les destinataires, on trouve les administrateurs que sont Georges-Louis Bouchez, Roberto Di Antonio (frère de Carlo, le bourgmestre Les Engagés de Dour), Domenico Ranieri et Osvaldo Di Loreto, mais également le « conseiller sportif externe » David Lasaracina et l’éphémère associé Stéphane Di Maria.

Ancien du Parti populaire et des Listes Destexhe, ce dernier ne verra même pas l’été au sein de la structure, une fois son passé politique révélé au nouveau président des Francs Borains. Il répond toutefois au courriel : « C’est à mon avis le seul plan envisageable afin de faire le pont entre la situation actuelle et le versement des différents sponsors. Si pas, la situation sera très rapidement trop tendue au niveau trésorerie […] Reste à trouver la garantie (ou pas) à adosser à cette ligne de crédit au nom de l’asbl RFB. » L’échange fait suite à une discussion menée le matin même au sein du conseil d’administration, quelques heures avant la présentation officielle de Georges-Louis Bouchez à la tête du club. Là, les administrateurs conviennent que pour finir une saison dont les finances ont été mises en péril par l’arrêt des matchs pour cause de crise sanitaire, un prêt de 200 000 euros sera nécessaire.

Entre la fin du mois d’avril et le début du mois de mai 2020, la stratégie se met en place : c’est Osvaldo Di Loreto, entrepreneur local doté d’une bonne réputation auprès des établissements bancaires de la région, qui sollicite le prêt par l’intermédiaire de plusieurs de ses sociétés. Le 30 avril, un e-mail envoyé à David Lasaracina par Holding FIBS-Immo (l’une des trois sociétés de Di Loreto à avoir versé de l’argent aux deux asbl RFB, celle des jeunes et celle de l’équipe fanion) comporte un « document de prêt » en pièce jointe. L’agent-conseiller externe répond le 4 mai : « A définir avec Osvaldo : le but du prêt ; la durée et la forme du remboursement (si récupération via RFB). » Ce qui ne laisse a priori aucun doute sur la nature de l’argent versé.

Deux jours plus tard, une lettre de caution entre particuliers est signée entre David Lasaracina et Osvaldo Di Loreto « dans le cadre de son emprunt de 200 000 euros auprès de la banque BNP Paribas Fortis », avec la condition spéciale suivante : « Monsieur Osvaldo Di Loreto a emprunté ce montant dans un but précis connu des deux parties – si M. Osvaldo Di Loreto ne récupère par le capital emprunté endéans les 24 mois de la signature de la présente Lettre, M. David Lasaracina s’engage à verser 100 000 euros (montant maximum) à M. Osvaldo Di Loreto et ce au plus tard le 31/05/2022. » Enfin, le 7 mai, un document de BNP Paribas fait état du prêt de 200 000 euros dont le but déclaré est : « Prêt consenti à deux associations sportives. » Dans la foulée, le 11 mai, Lasaracina prend décidément ses fonctions de conseiller externe très à cœur, demandant à Di Loreto : « Peux-tu envoyer cinq mille euros pour payer la TVA de l’asbl de l’équipe première ? »

La lettre de caution signée par David Lasaracina et Osvaldo Di Loreto.

« Monsieur David Lasaracina a effectivement conclu, à la demande de Monsieur Di Loreto, un acte de cautionnement relatif à un prêt bancaire que ce dernier aurait souscrit à hauteur de 200 000 euros, stipule l’avocat de David Lasaracina, Me Fabrice Vinclaire. Ce crédit bancaire n’a jamais été produit en tant que pièce dans le dossier de M. Di Loreto et le moindre contrat de prêt “Di Loreto/RFB” ne fut jamais contresigné. Le cautionnement était limité à la somme de 100 000 euros et n’engageait mon client qu’en l’hypothèse où les 200 000 euros de crédit bancaire prétendument souscrit n’auraient été remboursés au sieur Di Loreto. Or, le dossier prouve à suffisance que cette somme de 200 000 euros ne fut jamais investie par M. Di Loreto, alors désireux de reprendre le club. Nous disposons de nombreux documents infirmant la thèse de Monsieur Di Loreto mais, respectueux de mon secret professionnel et ne plaidant pas mes dossiers hors les salles d’audience, je les réserve aux magistrats qui, encore dernièrement, déclarèrent la demande dirigée contre mon client irrecevable. »

Le président, canal unique des Francs Borains

Dans les travées du stade Vedette, Osvaldo Di Loreto est loin d’être un inconnu. Devenu président du club en 1997, il y a lancé la carrière de manager de Roland Louf, alors qu’un certain David Lasaracina partageait les bancs de l’école et les séjours au ski avec ses enfants. « On avait même le même coiffeur », sourit l’homme d’affaires. Alors, quand les deux anciens comparses l’appellent au bout de l’année 2018 pour venir déjeuner le lendemain de Noël au Casteau Resort Hotel, Di Loreto répond favorablement et n’hésite pas à déposer sous le sapin borain cinquante mille euros de sponsoring amenés via un crédit chez BNP Paribas Fortis. « J’accepte l’idée, l’argent devait être destiné à l’asbl qui s’occupe de l’école des jeunes, rembobine l’intéressé. Cela devait servir à aider les jeunes en difficulté. Mais ces cinquante mille euros n’arriveront jamais sur le compte de l’asbl Jeunes. Ils ont servi à payer les dettes du club des Francs Borains pour obtenir leur licence. » Quelques jours plus tard, le RFB devait effectivement montrer patte blanche financière pour obtenir l’indispensable sésame administratif lui permettant de poursuivre sa croissance sportive. Dans un e-mail daté du 10 janvier 2019, David Lasaracina remercie Di Loreto : « Pour avoir respecté ta parole. Le club et moi-même te remercions. »

Vraisemblablement pas rancunier de l’absence de précision quant à l’utilisation de son sponsor, peut-être pas encore au courant de la destination finalement réservée à l’argent, le sexagénaire remonte dans le vaisseau sportif borain en 2020, acceptant au mois de juin le statut de président de l’asbl RFB Jeunes. C’est là que, quelques mois plus tard, en analysant les bilans comptables, il dit réaliser que ses cinquante mille euros versés en trois paiements au mois de janvier 2019 n’y sont jamais parvenus, restant sur le compte de l’asbl d’une équipe fanion alors en mal de liquidités. Le 6 octobre, le Holding FIBS de Di Loreto écrit à Roland Louf, s’inquiétant de savoir si la somme versée à l’époque était bel et bien parvenue à l’asbl gestionnaire de l’école des jeunes. En réponse, le directeur général affirme n’avoir « aucune vue sur les comptes ». Il n’est vraisemblablement pas le seul. Le 14 octobre, le nouvel administrateur Denis Drousie quitte le CA et le club tout juste cinq mois après son arrivée. Dans sa lettre de démission, l’entrepreneur justifie son choix par le fait qu’il « ne dispose d’aucun élément précis relatif à la gestion financière du club et cela malgré plusieurs demandes ». Joint par téléphone, le chef d’entreprise se souvient d’une « manière de fonctionner propre à une asbl, animée partiellement par des bénévoles, et donc pas dans mes standards de responsable d’entreprise rôdé aux procédures détaillées, à la rigueur et à certaines manières de travailler », tout en précisant qu’il avait « apprécié la passion et l’enthousiasme des personnes en place qui géraient le club lors de son passage ».

Dans la foulée de sa confession comptable, Roland Louf reprend quelques heures plus tard : « Par ailleurs, je vous signale qu’en date du 31/08/2020, le président du RFB, Monsieur Georges-Louis Bouchez, vous a ordonné de ne plus vous adresser en direct à ma personne », le tout suivi d’un courriel du président rappelant qu’il est « le seul canal de communication avec le DG » et que « s’il y a une liste de griefs, elle doit être adressée au président et on en débat au CA qui prend des décisions ».

Le divorce semble proche. La tension monte encore le 2 novembre, quand la banque BNP Paribas Fortis envoie un e-mail à Osvaldo Di Loreto au sujet de son dernier emprunt de 200 000 euros, se disant toujours en attente des « projets de bilan des deux asbl » (les Francs Borains et leur école de jeunes) concernées par son crédit, dont le but déclaré était un « prêt consenti à deux associations sportives».

E-mail envoyé à Osvaldo Di Loreto par la banque BNP Paribas Fortis.

La relation s’envenime dans une lettre officielle datée du 5 novembre et adressée à FIBS Trading SA, société d’Osvaldo Di Loreto. Signée par Roberto Di Antonio, Dominique Ranieri et Sandra Narcisi, tous trois administrateurs du club, elle mentionne qu’il n’existe « aucun élément probant qui attesteraient (sic) que vous vouliez en réalité sponsoriser l’asbl Royal Francs Borains – école des jeunes ». Une remarque qui concerne donc ici les cinquante mille euros versés en 2018. Le même Roberto Di Antonio durcit le ton à la fin du mois, dans un courriel duquel Georges-Louis Bouchez se trouve en copie et où il glisse à Di Loreto qu’il serait « préférable de démissionner », puisque l’homme d’affaires n’a « pas le début d’un commencement de preuve de vos affirmations ».

Le bilan interne des Francs Borains

Pour Di Loreto, c’en est trop. Le 4 janvier 2021, il signifie par e-mail sa démission de son poste au sein de la structure des Francs Borains, une décision actée trois jours plus tard, mentionnée au cinquième point de l’ordre du jour du procès-verbal d’un conseil d’administration où siègent Georges-Louis Bouchez, Roberto Di Antonio, Sandra Narcisi et Dominique Ranieri, ainsi que les « invités » que sont Roland Louf et David Lasaracina.

Au point suivant, il est question du bilan financier provisoire du 30 juin 2020, visiblement enfin arrivé à bon port. Et, à nouveau, d’Osvaldo Di Loreto : « Monsieur Di Loreto a versé des montants courant mai 2020 sur le compte de l’asbl RFB. Notre comptable (Fiscaleo) désigné par après, a erronément considéré qu’il s’agissait d’un prêt. En conséquence, le CA demande à Fiscaleo de classer ce montant en compte d’attente. Instruction devra être donnée au plus vite à Fiscaleo afin de modifier le bilan interne. » Si l’argent avait été laissé en dette dans le bilan, le club aurait effectivement reconnu qu’il s’agissait d’un prêt, ce dont les dirigeants borains se sont toujours défendus.

En vérité, les démarches n’ont pas attendu la réunion tenue au stade Vedette, siège social de l’asbl Royal Francs Borains. Dès le 5 janvier, au lendemain de la démission d’Osvaldo Di Loreto, l’avocat André-Philippe Vandesmal exige que Jean-Marc Lecocq, administrateur de Fiscaleo, transfère les 25 000 euros versés en mai 2020 en sponsoring, alors qu’ils apparaissent comme avance dans la comptabilité précédente, gérée par la fiduciaire de Rudy Querson. En ce qui concerne l’équipe première également, c’est dans la section du bilan provisoire (daté du 10 novembre) au 30 juin 2020 reprenant les dettes que se retrouvent les 110 000 euros avancés par Osvaldo Di Loreto, en compagnie de créances à l’égard des sociétés Gallea Gestion (55 000 euros) et DML (36 500 euros), liées à David Lasaracina ou à sa famille. Une situation que le RFB rectifiera dans le futur en vue d’accéder au football professionnel, un agent de joueurs ne pouvant pas avoir d’intérêts financiers liés à un club si ce dernier souhaite obtenir sa licence.

Dans un premier temps, ce sont toutefois les 110 000 euros qui attirent l’attention du CA et sont placés au forceps en « compte d’attente ». Une manœuvre de temporisation, comme son nom l’indique, qui permet d’enregistrer certaines opérations dont l’imputation comptable n’est pas identifiable immédiatement. Et qui peut être bénéfique quand il s’agit d’écarter un montant de la colonne des dettes à court terme, surtout à l’heure de rendre un bilan comptable moins rougi en vue de l’obtention d’une licence auprès de l’Union belge.

Chasse à l’argent, puis aux preuves

L’affaire se relance en janvier de l’année suivante, quand reprend le bal des validations comptables et des demandes de licence. Ancienne collaboratrice du cabinet Querson, qui s’occupait de l’expertise-comptable des Francs Borains avant Fiscaleo, la directrice administrative et financière du club écrit à Jean-Marc Lecocq le 11 janvier – avec Bouchez, Lasaracina et Roberto Di Antonio en copie – au sujet du bilan financier 2020-2021 : « Pourriez-vous me dire pourquoi vous ne voulez pas passer l’écriture du compte d’attente de Di Loreto vers le compte facture à établir ? Cela devient assez urgent car nous avons le CA et l’AG ce soir. » L’expert-comptable répond : « J’ai signalé à plusieurs reprises qu’il n’est pas possible de modifier une affectation comptable. Même sur la demande d’un conseil d’administration ! Monsieur Osvaldo Di Loreto, anciennement membre de votre CA également, m’affirme qu’il s’agit d’un crédit. Vous me dites le contraire… L’affaire est actuellement dans les mains de vos avocats respectifs. Nous devons donc attendre la décision finale quant à l’affectation. Depuis le début du versement, l’affectation a toujours été un crédit à rembourser par votre association à Monsieur Di Loreto. »

Dans le clan des Francs Borains, on signale que Jean-Marc Lecocq est un proche de longue date d’Osvaldo Di Loreto, et que c’est à la demande de ce dernier que sa fiduciaire avait obtenu la gestion du dossier du club. Ce serait oublier que l’intéressé a succédé à Georges-Louis Bouchez à l’échevinat des Finances de la ville de Mons en 2014. « Il est vrai que je connais très bien Osvaldo, mais j’ai travaillé pendant dix ans avec Georges-Louis, je suis bien plus proche de lui », souligne d’ailleurs Lecocq, qui affirme avoir accepté la charge à la demande conjointe des deux hommes avant de la délaisser environ un an plus tard car il ne voulait « plus travailler dans des circonstances pareilles ».

Une fois l’été arrivé, les accords passés dans la lettre de caution entre Osvaldo Di Loreto et David Lasaracina sont arrivés à leur échéance de 24 mois, le premier revient aux nouvelles chez le second quant à la récupération de sa mise, qu’il affirme prêtée. Dans un échange de messages daté du début du mois de juillet 2022, Lasaracina écrit à Di Loreto : « Bonsoir. Je ne t’ai pas oublié mais j’attends la position du président pour te revenir. J’espère pouvoir t’appeler demain avec des news. » Face à la demande de réponse de l’homme d’affaires, l’agent de joueurs répond le lendemain : « Osvaldo, j’espère le voir cette semaine. Suis désolé mais… » Neuf jours plus tard, son interlocuteur le relance, rappelant qu’il « attend que l’on respecte les accords. »

Le problème, c’est que les preuves ne sont pas formelles. Il y a bien ces conventions de prêt, signées de la main d’Osvaldo Di Loreto, mais elles ne sont pas contresignées par un membre du club. Dans les travées du stade Robert Urbain, on affirme qu’elles ont pourtant été transmises à plusieurs reprises à Georges-Louis Bouchez, qui n’y a jamais apposé sa signature. A ses yeux comme à ceux du conseil d’administration, il a toujours été clair que l’argent amené par Osvaldo Di Loreto était un investissement fait dans le cadre de son accession à la présidence de l’école des jeunes du club.

Licence et jeux d’influence

Puisque les canaux de communication qui mènent aux Francs Borains sont bouchés, Osvaldo Di Loreto se met à explorer d’autres voies pour récupérer sa mise. Il transmet le dossier de son litige avec le club à l’Union belge de football au printemps dernier, alors que le RFB est en course pour l’accession au monde professionnel et doit constituer un dossier solide lui permettant d’obtenir la licence qui autorise à évoluer à ce niveau. Le 19 avril 2023, jour où la fédération rend son verdict, le club boussutois est renvoyé devant le C-SAR (Center for Sports Arbitration, le centre belge d’arbitrage et de médiation dans le secteur sportif) pour l’absence d’un document administratif, décision considérée par le club comme d’un « formalisme extrême ».

Dans les derniers jours d’avril, les avocats de l’homme d’affaires borain se réjouissent du verdict de la Commission des licences. Dans un courriel adressé à Di Loreto, Renaud Duchêne reste cependant méfiant : « Il semblerait que le courrier envoyé à l’auditorat des licences ait fait mouche ou du moins fait bouger les lignes mais restons prudents, ce club a des appuis et des relais dont peu d’entités de sa catégorie peuvent se prévaloir. »

Au sein du football professionnel, un milieu où on oublie rarement les services rendus et au sein duquel le renvoi d’ascenseur fait partie des formules de politesse, Georges-Louis Bouchez a marqué des points ces dernières années. Quand l’ex-ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) lance son projet d’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard, le président du MR sort son costume d’homme de terrain et tweete que « cette mesure est excessive et va entraîner de grandes difficultés financières pour le secteur sportif entre autres. » « Voulons-nous réellement la mort du foot dans ce pays ? », interrogeait alors celui dont les joueurs profitent aujourd’hui d’un projet de loi assoupli pour arborer une tunique verte floquée Ladbrokes.be sur le torse.

En matière de suicide financier pour des clubs déjà à l’agonie, la réforme du statut fiscal avantageux des footballeurs professionnels avancée par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) à l’automne 2021 était présentée par les plus grands clubs du royaume comme une balle en pleine tête. Initialement, les clubs professionnels ne devaient effectivement verser que 20 % des impôts sur les salaires au fisc, et pouvaient utiliser le reste librement à l’exception de vingt autres pour cent obligatoirement dédiés à la formation. Le nouveau projet évoquait, quant à lui, une exonération maximale de quatre millions. Passée au gouvernement, approuvée en première lecture, la réforme est ensuite torpillée par Georges-Louis Bouchez, puis adaptée en triplant la somme de l’exonération maximale. La « faillite du secteur », crainte par les clubs et le président du MR et des Francs Borains, est ainsi préservée, en grande partie grâce à l’intervention politique de GLB.

De là à imaginer une mansuétude excessive de la Commission des licences à l’égard du RFB, il y a un pas important que personne n’ose vraiment franchir. Si certains rappellent que le football professionnel n’oublie pas les services qu’on lui rend, d’autres disent que Nils van Brantegem, l’homme fort de l’octroi des licences, fait preuve d’une rare minutie dans son travail et n’a jamais eu peur de s’attaquer aux plus puissants. Au milieu du mois de mai, le C-SAR rend en tout cas un verdict favorable aux Francs Borains, « avec un accord préalable sur le dossier désormais complet entre l’Union belge et nous-mêmes », précise Georges-Louis Bouchez. L’affaire Di Loreto n’empêchera pas le RFB de fouler les pelouses professionnelles pour la saison 2023-2024.

Les Francs Borains et les tribunaux

Sortie du terrain sportif, l’histoire se poursuit devant les tribunaux. Au civil, les demandes sur intervention volontaire et intervention forcée de la SA FIBS-Immo et d’Osvaldo Di Loreto ont été jugées irrecevables lors d’un jugement prononcé le 12 janvier 2024 par le tribunal de l’entreprise du Hainaut (Mons).

C’est donc face aux enquêteurs de l’OCRC qu’Osvaldo Di Loreto décide de poursuivre le combat, déposant une plainte pour association de malfaiteurs, abus de confiance, faux en écritures et usage de faux en écritures. Pour ces dernières, il évoque la falsification d’un bilan comptable du club duquel son nom a finalement disparu. « Pour ma part, j’avais inscrit l’argent versé par Osvaldo Di Loreto en prêt, parce que j’avais vu des échanges de mail qui prouvaient à mes yeux que c’était le cas, explique Jean-Marc Lecocq. Le conseil d’administration du club avait insisté pour que je le mette en compte d’attente, ce que j’ai fini par faire mais en ajoutant le nom d’Osvaldo en mention. Dans le bilan qui a finalement été déposé, une feuille a vraisemblablement été ajoutée et le nom avait disparu. Les Francs Borains n’ont jamais considéré qu’il s’agissait d’un prêt, et leur conseil d’administration a déposé un bilan qu’ils jugent être le bon. Ce n’est pas interdit s’ils estiment que le travail était mal fait, mais c’est leur responsabilité. »

Dans le clan des Francs Borains, on affirme que l’argent de Di Loreto est, clairement et depuis le début, « de l’investissement pur jus », et qu’il n’existe d’ailleurs dans le dossier aucune preuve du contraire. Pour Osvaldo Di Loreto, c’est visiblement plus contestable. La justice finira de distribuer les cartons dans ce qui est toujours, à ce stade, une information judiciaire. Quel que soit le terme de l’histoire, dans l’entourage de Georges-Louis Bouchez, on lui rappellera sans doute qu’on l’avait prévenu.

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