Les Rwandais sont souvent de bons grimpeurs. © AFP via Getty Images

Le Rwanda et les Mondiaux de cyclisme: des envies d’Afrique et un boycott qui n’a convaincu personne

François Janne d'Othée

Le Rwanda s’apprête à accueillir la 92e édition des championnats du monde de cyclisme sur route. Une victoire pour son image, malgré la guerre menée au Congo voisin.

Pour la première fois, l’Afrique accueille les Championnats du monde de cyclisme sur route, du 21 au 28 septembre, et le Rwanda en sera l’hôte. Une nouvelle réussite pour ce petit pays qui renait de ses cendres après le génocide des Tutsis en 1994 pour devenir un Etat performant à plusieurs égards, et qui fait du sport une vitrine, un peu comme le Qatar –fidèle allié du Rwanda– l’a fait avec la Coupe du monde de football en 2022. Et, comme pour le Qatar, les polémiques ont surgi sur le «sportwashing» pratiqué par les régimes autoritaires, le Rwanda étant en outre impliqué dans la guerre à l’est du Congo.

Lors de son élection, le président de l’UCI, le Français David Lappartient, avait promis d’amener les Mondiaux en Afrique. Promesse tenue. Pourquoi le Rwanda? D’abord, ce pays sur lequel la Belgique a jadis exercé un mandat s’est imposé comme une nation montante du cyclisme depuis plusieurs années. Le Tour du Rwanda, dont la première édition date de 1988, figure parmi les événements cyclistes les plus cotés d’Afrique. Depuis 2009, cette course par étapes fait partie de l’UCI Africa Tour (l’un des cinq circuits continentaux de cyclisme de l’UCI, l’Union cycliste internationale), et est disputée en catégorie 2.1 depuis l’édition 2019, ce qui amène les meilleurs professionnels à y participer.

Vu son relief, le pays des mille collines est logiquement devenu celui du vélo, moyen de transport pratique et peu onéreux. Après l’indépendance en 1962, on voit émerger des taxis-vélos, qui existent encore aujourd’hui. En revanche, on ne rencontre plus guère ces deux-roues en bois, croisement entre la bicyclette et la brouette. Le vélo reste un produit cher et ceux qu’on croise aujourd’hui sont le plus souvent rafistolés, parfois trop grands pour le conducteur, chargés d’énormes brassées de carottes ou de régimes de bananes, poussés à la force des bras en montée et dévalant les pentes à toute vitesse, ainsi que le relatent l’écrivain et chroniqueur du Vif Joseph Ndwaniye et le peintre Paul de Gobert dans Les Mille Collines à coups de pédale (lire par ailleurs).

Le Tour du Rwanda figure parmi les événements cyclistes les plus cotés d’Afrique.

Fascinant Tour du Rwanda

Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que se met en place une véritable pratique sportive du cyclisme assortie de compétitions. Des clubs émergent et les routes en montagnes russes forgent l’endurance des premiers coureurs. L’Africa Rising Cycling Center, destiné à former les jeunes cyclistes, voit ensuite le jour à Musanze (ex-Ruhengeri). Entre-temps, le Tour du Rwanda est intégré dans la puissante campagne Visit Rwanda –slogan qu’on retrouve sur les maillots de football d’Arsenal et du PSG– et devient un moteur économique pour les provinces traversées.

Jusqu’à cette apothéose des championnats du monde, favorisée par les liens personnels entre David Lappartient et le président Paul Kagame, et, au-delà, par la proximité retrouvée entre la France et le Rwanda. Le parcours dans et autour de Kigali sera d’une rare intensité, avec 5.475 mètres de dénivelé positif et quelques solides côtes, dont le fameux «mur de Kigali», soit 500 mètres de pavés en pente dans le quartier populaire de Nyamirambo. Le tout dans une ambiance de ferveur intense avec de multiples scènes musicales. Treize épreuves figurent au programme: six courses en ligne (élites, U23 femmes, juniors), six chronos individuels, et le relais mixte par équipes.

Sprint final lors de la Youth Racing Cup à Rwamagana.   © DR

La Fédération rwandaise de cyclisme (Ferwacy) a sélectionné une trentaine de coureurs au départ des différentes épreuves. Ils auront affaire au gratin du vélo, dont Tadej Pogacar, tenant actuel du maillot arc-en-ciel. Emmenée par Remco Evenepoel, qui vise un nouveau titre mondial, la Belgique alignera huit coureurs sur la course en ligne. De grands noms comme Wout van Aert, Tim Wellens, Maxim Van Gils ou Thibau Nys ne seront cependant pas de la partie. Du côté féminin, la sélection sera conduite par Justine Ghekiere, en l’absence de Lotte Kopecky, lauréate en titre, «qui a besoin de se ressourcer», d’après son sélectionneur. Les spectateurs ne verront pas non plus le Danois Jonas Vingegaard ni le Néerlandais Mathieu van der Poel.

«Notre pays prouve qu’on peut bâtir un héritage avant même de récolter des médailles.»

Détecter les talents

Ces absences suffiront-elles aux cyclistes rwandais pour se faire une place au soleil? Compliqué: le coureur le mieux classé, Eric Muhoza, occupe la 619e place mondiale, et seuls six Rwandais figurent dans le Top 1.000. Les figures d’Adrien Niyonshuti, Valens Ndayisenga ou Joseph Areruya sont inspirantes, mais elles commencent à dater. Seul espoir, le Rwanda a terminé premier de l’UCI Africa Tour en 2022-2023 dans le classement par nations pour les jeunes de moins de 23 ans.

Surtout, «ils rouleront à domicile, devant leurs amis et proches, cela ne peut que les booster afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, argumente le Belge Simon Hupperetz, responsable du développement pour le Rwanda du Centre mondial du cyclisme de l’UCI, et installé depuis neuf ans dans la capitale rwandaise. Ils n’auront pas à s’acclimater à l’altitude, la plupart s’entraînant à plus de 2.000 mètres quotidiennement.» Un atout majeur réside aussi dans leur rapport poids-puissance, «ce qui signifie qu’ils sont souvent de bons grimpeurs».

Le trentenaire travaille sur de multiples projets de détection des talents en appui de la fédération rwandaise de cyclisme. Notamment la Youth Racing Cup. Lancé en 2023, ce championnat cycliste offre aux jeunes dès l’âge de 8 ans l’opportunité de découvrir la compétition dans des épreuves mensuelles. «Son essor s’explique par l’organisation des courses dans diverses régions du pays, ainsi que par son approche pérenne: loin d’être un événement ponctuel, il s’agit d’un véritable modèle de développement auquel les jeunes cyclistes et leurs équipes adhèrent pleinement.»

Ces courses sont organisées par une poignée d’entraîneurs, formés sur le terrain, ainsi que par le programme de formation du Centre mondial du cyclisme de l’UCI. «Le but est de former la fédération rwandaise à l’organisation de courses et de créer leur propre outil de formation et d’identification de talents, poursuit Simon Hupperetz. Nous investissons également dans du matériel, comme le système de chronométrage et des radios pour la communication durant la course. Nous avons ainsi formé trois opérateurs qui gèrent le chronométrage de toutes les courses dans le pays.» Le Belge se dit certain que ce travail de fond contribuera à voir éclore des nouveaux talents, donnant encore l’exemple du Rwanda Junior Tour, une épreuve par étapes, «entièrement made in Rwanda qui grandira encore jusqu’à devenir une course de référence junior en Afrique», se plaît-il à imaginer.

Des appels au boycott ont été lancés, mais sans résultat.

Les autres sports à la traîne

En attendant, les autres sports sont à la traîne. Le Rwanda a investi dans d’imposantes installations, telles que la BK Arena (une salle omnisports de 104 millions de dollars pouvant accueillir 10.000 personnes) et le complexe Zaria Court Kigali récemment inauguré, mais les performances manquent cruellement, et cela dans tous les sports. En basket, malgré cette BK Arena qui a accueilli plusieurs éditions de la Basketball Africa League, les équipes rwandaises ne réussissent pas à percer. En football, les Amavubi (guêpes, en kinyarwanda, nom de l’équipe nationale) végètent à la 126e place du classement de la Fifa. Les clubs nationaux, outrageusement dominés par le FC APR –initiales de Armée patriotique rwandaise–, ne s’illustrent guère à l’échelle du continent.

En athlétisme, le Rwanda ne parvient pas à rivaliser avec ses voisins d’Afrique de l’Est et n’a atteint aucune finale au cours des trois dernières éditions des Jeux olympiques. Pendant ce temps, des millions sont investis dans des partenariats avec de prestigieux clubs européens. «Des infrastructures sans substance ne sont qu’une façade. Les célébrer comme un « modèle » sans reconnaître l’absence de résultats est au mieux naïf, au pire complice de l’embellissement de l’image d’un régime autoritaire par l’esthétique», dénonce Norman Ishimwe, président de Jambo, une asbl belgo-rwandaise devenue le poil à gratter du régime, lequel n’hésite pas à la disqualifier en la traitant de «nid de négationnistes» et d’«héritiers de génocidaires». 

Mais à chacun sa vision: «Au Rwanda, il s’agit d’une vision d’un développement où le sport est à la fois levier économique, social et identitaire, rétorque Manzi Bakuramutsa, ancien ambassadeur en Belgique au lendemain du génocide. En somme, notre pays prouve que l’on peut bâtir un héritage avant même de récolter des médailles et que c’est souvent ainsi qu’elles arrivent.» On les attend toujours.

Podium final de la Youth Racing Cup, en décembre 2025. A g., le Belge Simon Hupperetz, détecteur de talents.  © DR

Le boycott fait pschit

Au Qatar en 2022, le contexte social et le sort des travailleurs avaient griffé la belle image que l’émirat voulait projeter à l’extérieur. Au Rwanda, c’est la répression de toute opposition et, surtout, la guerre menée au Congo qui jettent une lumière crue sur les Mondiaux de cyclisme 2025. Le gouvernement de Kigali est sévèrement montré du doigt, et même sanctionné par l’Union européenne, pour son ingérence militaire dans le Kivu congolais, riche de précieux minerais. Bien qu’il entretienne de bonnes relations avec la France, il a rompu ses relations diplomatiques avec la Belgique «coupable» d’avoir plaidé en faveur des sanctions auprès de ses pairs européens.

Des appels au boycott des championnats ont été lancés, mais sans résultat. L’activisme flamand, comme celui du député Bogdan Vanden Berghe (Groen) ou de l’organisation 11.11.11, a fortement contrasté avec le silence radio du côté francophone. Une résolution de la Chambre du 27 février a bien appelé à «utiliser tous les moyens à disposition afin de ne plus rendre possible la participation aux événements (sportifs, culturels, etc.) sur le territoire du Rwanda, d’en discuter avec les instances compétentes et d’encourager un boycott», mais elle n’a pas eu d’effet. De son côté, le Parlement européen a appelé –en vain– à l’annulation des championnats du monde «si le Rwanda ne modifie pas sa position». Or, rien n’a changé en dépit d’accords rwando-congolais récemment signés sous l’égide des Etats-Unis et du Qatar.

Interpellée, l’UCI a fait la sourde oreille, arguant que ces championnats se dérouleront avec une sécurité maximale, que les coureurs n’auront rien à craindre. Et tant pis pour le voisin congolais. Quant à la diaspora congolaise, toujours prompte à fustiger le petit voisin, elle ne s’est guère mobilisée. Ils n’étaient qu’une poignée à manifester un jour du mois d’août devant le siège de la Fédération belge de cyclisme à Tubize, tous vêtus d’un tee-shirt mentionnant «Ne soyez pas complice du massacre à l’est de la RDC». Les chiens aboient, la caravane passe.

Un hymne à la petite reine

Au Rwanda, le vélo est bien plus qu’un moyen de transport. C’est une culture qui fait partie intégrante du chatoyant paysage des mille collines. Il est aussi devenu un sport où se mesurent grimpeurs et descendeurs. Dans Les Mille Collines à coups de pédale (1), l’écrivain Joseph Ndwaniye, également chroniqueur au Vif, et l’artiste peintre bruxellois Paul De Gobert ont uni leurs talents respectifs de poète et d’aquarelliste pour évoquer avec sensibilité et émotion le dur labeur des cyclistes astreints à transporter passagers et marchandises sur des routes parfois encombrées de piétons, motos, autos, camions, quand ce ne sont pas des pistes en latérite… Cet ouvrage rend aussi hommage à ces sportifs taciturnes qui s’entraînent sans fléchir sur les rubans d’asphalte qui épousent les collines, dans un effort «presque mystique» où chaque coup de pédale «résonne avec les murmures des arbres et les chants du vent». C’est enfin une invitation originale à visiter ce pays aux mille couleurs qui, comme l’écrit dans la préface le président de l’UCI David Lappartient, «a dû surmonter bien des tourments avant de faire figure de fer de lance d’une modernité originale».

(1)   Les Mille Collines à coups de pédale, par Joseph Ndwaniye et Paul De Gobert, Ed. Histoires et Images, Kigali, 72 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire