Un appétit d’ogre

Le colosse hollandais ne recevra pas le Standard, son ancien club, avec un désir de revanche mais dans un grand éclat d’optimisme.

C’est avec un appétit d’ogre que Johan Boskamp a repris sa place à la table du football belge. Pour lui, il n’y a pas de petite cuisine ou de frénésie des étoiles. Il apprécie autant le chic des grands clubs que le charme de ces maisons artisanales où on prépare de bonnes spécialités régionales. A Dender, pays du houblon, ce colosse a fait mousser en moins de deux une équipe à la dérive. Il y a quelques mois, Boskamp nous avait dit :  » C’est fini, je me retire du football. Je veux profiter de la vie, m’occuper de mes enfants et de mes petits-enfants. Mon père a des problèmes de santé. Il a été opéré à la hanche et je lui rends souvent visite en Hollande « .

Nous savions évidemment qu’il ne pouvait pas se condamner à une vie sans football. La passion ne tarda pas à reprendre le dessus. La rumeur signala sa présence aux quatre coins du monde avant que Dender ne le harponne afin de prendre la succession de Jean-Pierre Vande Velde. Pourtant, cet événement a failli ne jamais se réaliser :  » J’avais décidé de vendre ma maison et de me fixer à l’étranger. Si Dender m’avait contacté trois jours plus tard, il aurait été… trop tard « .

Mais où vouliez-vous vivre avant de vous retrouver à Dender ?

Johan Boskamp : Je voulais m’installer en Espagne, sur la côte, pas trop loin de Barcelone et des autres grands clubs espagnols. J’adore la Liga où on peut suivre le meilleur football du monde. J’apprécie le championnat anglais que je connais sur le bout des doigts mais c’est en Espagne que cela se passe. Là, les joueurs maîtrisent l’ABC du football technique. Le déchet est limité à sa plus petite expression. Le jeu n’y est pas sans cesse freiné par des contrôles hésitants et des pertes de balles qui, comme c’est souvent le cas chez nous, hachent et ralentissent le jeu. Je m’amuse en Espagne car ce n’est rien que du bonheur. Et ne croyez pas que le spectacle ne soit à la page qu’au Real Madrid ou au Barça. La technique a la priorité partout, du sommet à la queue du classement. Je suis aussi un fanatique du football argentin. Je suis les grands clubs de Buenos-Aires à la trace. Il m’arrive de regarder des matches du championnat d’Argentine jusqu’aux petites heures. Quand je vois cela, leur talent et leur engagement, mon c£ur s’emballe de bonheur.

 » Sclessin, c’est le passé et je sais ce qui s’est passé « 

Quel enthousiasme et, pourtant, votre lassitude fut évidente après la rupture avec le Standard après quatre journées de championnat la saison passée, n’est-ce pas ?

Je ne dirais pas cela de cette façon. Moi, je n’ai jamais eu l’impression de bosser. Le football, c’est ma vie. Je lui ai tout donné, il m’a tout apporté. Je m’amuse et on ne respecte peut-être pas assez un sport qui procure tant de joies à tant de monde. C’est beau et je préfère vivre cela avec optimisme que pessimisme. C’est évidemment dans ma nature. Je suis malade quand certains disent déjà : – C’est foutu, les Diables Rouges ne prendront pas part à la prochaine Coupe du Monde. Les qualifications n’ont pas encore commencé et ce serait déjà plié ? Non, moi je préfère affirmer : -Nous serons présents en Afrique du Sud, on y va les gars. Je ne baisse jamais les bras mais, c’est vrai, il y a eu le Standard. Je préfère ne pas en parler. Sclessin, c’est le passé et je sais ce qui s’est passé.

Votre explication ?

Ma mise à l’écart a finalement été programmée dès que  » quelqu’un  » est revenu de l’Union Belge. Il fallait lui trouver une place. Cela m’avait rien à voir avec la courbe des résultats. Le noyau n’était pas au complet durant la préparation. Mais quelque chose se mettait en place avec des jeunes, Steven Defour, Milan Jovanovic, etc. Avant cela, j’avais pris un dirigeant par la main : -Regardez, mon effectif est trop étroit. Cela allait s’arranger, il fallait être patient. Mais, bon, je ne vis pas avec le passé, cela ne sert à rien. A la place de Michel Preud’homme, directeur technique, je n’aurais pas fait cela : je serais resté à mon poste. Mais c’est ainsi. J’ai appris la nouvelle en revenant d’une mission de scouting à Vigo. – Mais où es-tu ?, m’a-t-on demandé. Comme si la direction qui avait réservé mes billets d’avion ne le savait pas. Je devais me présenter au club le lendemain, jour de congé. J’avais compris. Disons que Luciano D’Onofrio ne fait plus partie de mon dictionnaire personnel. Je reste cependant en admiration devant le phénomène Standard.

Peut-on tout résumer par le mot  » Dommage…  » ?

Non, je n’irai pas jusque-là. Le Standard est un club formidable. L’ambiance créée par son public est unique. Son prestige et son aura en font le seul club qui puisse vraiment contester Anderlecht. Je souhaite que le Standard aille au bout de son rêve et soit champion cette saison. Cela ferait du bien à tout le football belge.

C’est votre prochain visiteur : fameux rendez-vous ?

C’est parfait pour le club. Notre stade sera bourré. C’est ce qui compte, pas le reste. J’ai aussi coaché Anderlecht, Gand, Genk. Non, ce ne sera pas spécial pour moi. Dender a pris le dessus sur Genk et sait désormais que tout est possible.

 » J’ai eu des contacts avec d’autres clubs belges « 

On vous avait cité au Koweït avant que Dender entre dans la danse…

Quand j’ai quitté Sclessin, la vision de mon rôle a changé. Je voulais vivre le football autrement. J’ai voyagé, j’ai été partout. J’ai failli devenir le coach de l’équipe nationale du Koweït. C’était un super défi avec la possibilité de se qualifier pour la Coupe du Monde 2010. Le dossier a un peu traîné et, à un moment, on m’a demandé de m’occuper aussi de l’entraînement d’un club de D1. Là, j’ai refusé car cela ne collait plus avec mes ambitions. J’ai eu d’autres contacts dans le Golfe Persique ainsi qu’en Belgique.

Notamment au FC Brussels.

Peu importe, ce n’était pas loin, dans cette direction-là… (NDLR-Boskamp indique le Boulevard Mettewie à travers la vitre du Frederiksborg, sa taverne préférée à deux pas de la Basilique de Koekelberg). Moi, je voulais la direction sportive de tout le club auquel je me lierais éventuellement. C’est ce que Dender m’a proposé. Le coach de l’équipe Première ne doit pas être le seul à se battre. Non, toute la structure doit être engagée dans ce combat. L’entraîneur des Diablotins ou celui des Juniors travaille aussi pour l’équipe première. Ils forment les joueurs qui se retrouveront un jour en D1. Il y a tellement de talents en Belgique…

Quelle fut la recette de votre succès contre Genk ?

Il n’y a pas de secret. Je n’ai pas fait grand-chose et c’est d’ailleurs Patrick Asselman qui a coaché. En semaine, j’ai affirmé clairement que je n’étais pas important. Ce sont les joueurs qui comptent. Moi, je ne peux pas les sauver. S’ils veulent en sortir, rester en D1, tout passera par eux. Ils sont au centre du débat, pas moi. Je suis incapable de revêtir un équipement et de jouer avec eux. C’est à eux d’avoir de la volonté et de prouver la valeur de leur mental. Ils doivent être des guerriers, comme contre Genk, car c’est la seule façon de s’en sortir. Ce soir-là, les jeunes ont fait la différence. C’était du pur bonheur et tout le club était en folie. Il y a une prise de conscience. Dender n’est plus un oiseau pour le chat. Le chemin sera long mais en terrassant Genk, notre petit club a retrouvé l’envie de rester en D1. Je m’amuse…

Les joueurs ont dansé sur les tables, vous pas ?

J’étais heureux mais c’était leur fête. La semaine passée, je n’ai pas oublié que j’ai six petits-enfants, bientôt un septième. Un jour, j’ai étonné les dirigeants en affirmant : – Cette réunion doit se terminer à 19 h 15. Un quart d’heure plus tard, j’étais à la maison pour la Saint-Nicolas de mes petits-enfants. Je ne voulais pas rater cela… Mais Dender est si heureux de prouver son existence, sa présence en D1. On n’avait jamais autant parlé de Dender dans les médias.

 » Les grands clubs m’énervent un peu « 

Cela se joue dans la tête ?

Entre autres. Je leur parle et je les responsabilise. C’est à eux de se gérer lors de certaines situations. A l’entraînement, on travaille beaucoup le jeu de position. Je leur demande de réfléchir, de contrôler et réduire les espaces, de bien respecter les couvertures et les coulissements entre les lignes. Ils le font eux-mêmes et je regarde de loin. Il faut passer par là, gagner des points avant de songer à un jeu plus léché.

Et vous prouvez que les petits clubs ont leur utilité en D1 !

Ils sont indispensables. Les grands clubs m’énervent un peu. Ils veulent tout changer mais à condition que cela les arrange. En Angleterre, ils vous traiteraient de fous si vous leur parleriez de deux D1, de playoffs, etc. Partout où cela a été tenté, la déception est au rendez-vous. Il ne faut pas indiquer les petits clubs du doigt. Ils ne sont pas la cause du marasme et peuvent, au contraire, proposer des solutions intéressantes en lançant des jeunes. Dender et les autres sans grades ne doivent pas regarder vers le top de la D1 mais vivre avec leurs moyens, avancer pas à pas. Le drame du football belge, c’est l’arrêt Bosman. Je ne suis pas contre la liberté du joueur en fin de contrat, mais nos clubs n’ont pas bien préparé ou surmonté ce choc. Le France et les Pays-Bas se sont tournés depuis longtemps vers les jeunes et la formation. En Espagne, 80 % de l’équipe A du Barça sont issus de ses équipes de jeunes mais on ne le dit jamais. Nancy est deuxième de la L1 française avec ses jeunes.

Cela fait réfléchir…

Notre retard se résorbe mais a été très important. La Hollande est à peine plus grande que la Belgique mais découvre chaque année de nouvelles promesses. Les clubs belges se tournent trop vite vers l’étranger. C’est parfois nécessaire mais pas tout le temps. De plus, c’est de l’argent qui ne reste pas en D1. Il y a des réussites mais aussi des échecs car on ratisse large et ce ne sont pas toujours des pêches miraculeuses. L’argent qui se perd ainsi serait plus utile si on le consacrait à la formation. Les attaquants et les arrières centraux des grands clubs sont quasiment tous des étrangers. C’est anormal. Cela se ressent en équipe nationale. C’est le cas aussi en Angleterre avec une Premier League qui, pourtant, a des moyens financiers énormes. Ce championnat est intéressant mais ce n’est plus un grand réservoir pour l’équipe nationale. Je suis persuadé que la fédération anglaise prendra vite des décisions pour redresser le tir. La fédération, les clubs et les médias aussi doivent s’intéresser plus activement aux jeunes.

Quel est le jeune joueur belge le plus prometteur ?

Il y en a beaucoup. Je pourrais citer Eden Hazar à titre d’exemple. Il perce en France comme c’est le cas de Kevin Mirallas. Mais pourquoi n’a-t-il pas été retenu par un club belge ? Son frère est encore plus doué que lui. Il y a d’autres Mirallas, Hazar, Dembele, etc. Le Standard a une ligne médiane formidable avec Defour, Marouane Fellaini et Axel Witsel. Steven est d’ailleurs mon favori pour le prochain Soulier d’Or. A son âge, sa progression est sidérante. Il a traversé des orages mais n’a pas chaviré, au contraire.

 » Defour est plus complet que Van Moer « 

Defour est-il plus fort que Lucas Biglia ?

On compare Defour à pas mal de monde. Est-ce le nouveau Van Moer ? Je dis oui et j’ajoute qu’il est plus complet que Van Moer.

C’est une affirmation osée…

Mais non : je me souviens surtout de Van Moer quand il jouait à Beringen. Wilfried balayait devant la défense. Defour a une force de travail peu commune. Il est partout, aide tout le monde. Mais cela dit, j’estime qu’un tel milieu de terrain peut et doit jouer près de ses attaquants. Defour est un remarquable relais, l’homme de la surprise et de la dernière passe. Il possède les moyens nécessaires pour être à la hauteur de cette tâche tout en étant capable de frapper à distance et de marquer. Biglia est un magnifique joueur mais sa production est moins diversifiée.

Defour sera SoulIer d’Or, alors ?

Si cela ne tenait qu’à moi oui, devant Biglia et Ahmed Hassan.

Pas Jovanovic ?

C’est un autre type de joueur. Il mise plus sur un jeu fait d’éclairs. J’aime bien… et s’il gagne, je le féliciterai. Mais je suis plus attiré par les médians.

Votre carrière de coach est longue : quels furent les deux moments les plus émouvants ?

A Beveren, en D2, j’ai lancé des joueurs qui sont devenus internationaux : Geert De Vlieger, Peter Van Vossen. J’ai été très heureux à Anderlecht. J’avais connu Michel Verschueren comme manager au RWDM où j’ai tant apprécié la famille L’Ecluse. A Anderlecht, Verschueren ne m’a jamais laissé tomber. J’ai obtenu l’estime des Vanden Stock et j’en suis fier. Puis, il y a eu mon éternelle amitié avec Jean Dockx. Au début, ce ne fut pas facile avant que nous devenions inséparables. Ah, cher Jean… La vie est parfois difficile à comprendre. Il faut en profiter et, dans mon cas, comme dans le celui des amateurs de football, il y a la passion du ballon. A Anderlecht, à une époque, on doutait de Luc Nilis. Chez nous, Beveren mena 0-2. La cata. Le stade réclamait le remplacement de Lucky. Je l’ai gardé au jeu et le score a changé : 1-2, 2-2, 3-2. Qui a marqué ? Trois fois Nilis. Tout le groupe a fait la fête devant le petit banc : c’était gagné, c’était magnifique et il n’y a qu’en football qu’on vit des émotions pareilles.

par pierre bilic – photos : reporters

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