» Pourquoi infiltrer ou recoudre dans le vestiaire si les joueurs veulent vite rejouer ? « 

Dimanche prochain, Bruges affronte Anderlecht au stade Constant Vanden Stock. Un match particulier pour beaucoup mais surtout pour le médecin du Club, qui vient d’être transféré du Parc Astrid.

D’accord, le passage de Ronald Vargas du Club Bruges à Anderlecht a fait couler plus d’encre mais le transfert dans l’autre sens de Kristof Sas, médecin, ne s’est pas déroulé sans heurts. Le communiqué de presse envoyé par Anderlecht le 7 octobre dernier était particulièrement sec :  » La collaboration entre le Docteur Kristof Sas et le RSC Anderlecht est immédiatement interrompue. Le club ne fera pas d’autres commentaires. « 

Quelques heures plus tard, le Club Bruges publiait un communiqué étoffé sur son site. Le DG Vincent Mannaert y déclarait :  » Nous sommes particulièrement heureux de l’arrivée de Kristof Sas, qui possède une riche expérience de footballeur et de médecin. « 

Bien qu’il n’ait que 36 ans, Sas a déjà accompli un fameux parcours. Il a été footballeur et médecin aux urgences de Renaix. Il a travaillé six ans et demi à Anderlecht, dont il est devenu le chef du département médical.

Retourner ce 15 janvier à Anderlecht avec le Club vous fera-t-il quelque chose ?

Kristof Sas : Certainement. J’y ai passé plus de temps qu’à la maison pendant six ans et demi. Ceci dit, je veux évidemment être champion avec le Club Bruges mais je souhaite aussi le meilleur du monde à Anderlecht. Dimanche, cependant, je ne penserai qu’à la victoire… et pas à la défaite de l’autre.

A la fin de la saison précédente, vous avez déjà failli quitter le Sporting. Il paraît que vous pouviez rejoindre un club étranger ?

En effet, j’ai failli rejoindre… Chelsea.

Comment les Blues ont-ils eu l’idée de vous contacter ?

Un bureau de chasseurs de tête avait entamé une procédure de sélection d’un médecin en chef du club dans toute l’Europe. Ce bureau s’était également informé en Belgique, notamment auprès du professeur Marc Martens, célèbre dans le monde du sport. Et il m’a chaudement recommandé. J’ai passé une série de tests et je me suis rendu deux fois à Londres. Je suis devenu le premier candidat du bureau de recrutement mais mon transfert a échoué à cause de quelques détails sur lesquels je ne souhaite pas m’étendre.

Qu’est-ce qui vous a décidé à rejoindre Bruges ?

Objectivement, Anderlecht possède le plus beau palmarès en Belgique et sera champion cette saison, si l’on en croit les observateurs. Moi, j’envisage les choses essentiellement par leur côté médical et le Club Bruges m’offrait un plus beau défi. J’étais arrivé en bout de course à Anderlecht : la structure du staff médical était parachevée, j’y disposais d’une équipe fantastique et bien huilée, le déménagement à Neerpede s’était très bien déroulé. J’étais donc prêt pour quelque chose de nouveau.

La bonne com’ sur les blessures

Le Personal Performance Center (PPC) du Club Bruges constitue une partie importante du projet que vous avez intégré. Quel y est votre rôle ?

La coordination et la supervision de tout le système. Notre objectif est de faire progresser chaque footballeur individuellement pour obtenir un meilleur ensemble et donc de meilleurs résultats. Ce centre analyse différents aspects chez chaque footballeur : le physique, le mental, la tactique, la technique… Je travaille étroitement avec le psychologue Rudy Heylen, le performance coach Siebe Hannosset, les kinésithérapeutes et les entraîneurs.

Avez-vous déjà opéré des changements au staff médical ?

Oui. Avant, il était constitué de plusieurs médecins très compétents mais comme chacun ne pouvait consacrer que deux jours par semaine au club, il y avait des problèmes de communication. Il s’agissait souvent de détails mais c’est précisément ce qui peut faire la différence dans un grand club. Par exemple, ce qu’un médecin décrivait comme une petite déchirure était une grosse élongation pour un autre alors qu’en fait, tous deux cherchaient la définition la plus simple à l’attention du public. Le joueur, lui, ne savait plus où il en était : – Le médecin d’hier parlait d’élongation et vous dites que c’est une déchirure. Où est-ce que j’en suis ? Ou alors un médecin disait au staff technique qu’un joueur serait indisponible pour quatre jours mais son collègue parlait d’environ cinq jours. Cela fait une journée de différence. Médicalement, c’est un simple détail mais sportivement, pour un jeune footballeur qui ne demande qu’à jouer, cela peut être important. Conclusion : j’ai donné des directives de communication claires à mon équipe pour éviter tout malentendu. Et je suis au Club quatre à cinq jours par semaine…

Oseriez-vous prétendre qu’avec son PPC, le Club Bruges est actuellement le plus professionnel de Belgique ?

Je ne ressens pas vraiment le besoin de commenter le travail des autres.

Mais vous venez d’Anderlecht…

Je ne vais pas pour autant effectuer des comparaisons avec Anderlecht ou d’autres. Tout ce que je peux dire, c’est que le Club a une vision novatrice et unique en Belgique, une vision dans laquelle je me retrouve.

Christoph Daum a pourtant d’office mis le travail du PPC entre parenthèses, souhaitant suivre le groupe en personne, autant que possible. Quelle est votre position ?

Je pense que la presse s’est fait une fausse image de Daum quand il a signifié aux entraîneurs spécifiques qu’ils ne pouvaient plus dispenser de séances, provisoirement. On a eu l’impression qu’il ne voulait pas collaborer avec le PPC mais c’est tout le contraire : il est demandeur, il veut le plus d’informations possible afin de pouvoir effectuer un travail préventif. Avoir mis les entraîneurs spécifiques sur la touche me semble un réflexe normal de la part d’un entraîneur qui n’a pas participé à la préparation de l’équipe et qui veut faire la connaissance de ses joueurs le plus vite possible. Je le suis tout à fait.

La haine corse de Van Holsbeeck

Le fait que votre transfert est considéré par certains comme une tentative de déstabilisation d’Anderlecht vous dérange-t-il ?

Je ne pense pas que c’était l’intention du Club Bruges. Vincent Mannaert voulait restructurer le staff médical, le rendre plus performant et plus transparent. J’ai toujours dit que les membres actuels du staff médical d’Anderlecht pouvaient parfaitement poursuivre leur travail sans moi. Donc, non, je ne pense pas qu’Anderlecht soit déstabilisé.

Herman Van Holsbeeck a manifestement un avis différent. Il a récemment déclaré à la RTBF qu’en ce qui le concernait, les relations entre les deux clubs s’étaient refroidies à cause de ça.

Il est possible que Monsieur Van Holsbeeck le pense… Tout est allé très vite. Dès que j’ai parlé avec Mannaert, nous avons compris que nous avions le désir de travailler ensemble. Pour moi, il aurait été idéal de rejoindre le Club Bruges en fin de saison mais j’aurais eu un énorme problème de crédibilité en cas de fuite de l’info. Imaginez que je sois resté à Anderlecht et que supporters et joueurs apprennent mon départ pour le concurrent. De ce point de vue, un départ immédiat était la meilleure solution. Auparavant, il y a évidemment eu des contacts entre les trois parties.

Etes-vous encore en contact avec Van Holsbeeck ?

J’ai eu des contacts avec différentes personnes à Anderlecht mais pas avec Van Holsbeeck. J’ai entendu dire qu’il acceptait mal mon départ et je le comprends. Nous avons très bien travaillé ensemble pendant six ans et demi. Je suis certain qu’à l’avenir, nous aurons encore des contacts, une fois les remous apaisés.

Sa difficulté à accepter votre départ est un très beau compliment pour vous ?

Peut-être ! Vous devez lui poser la question.

L’oreille de Chippen

Restez-vous en contact avec des joueurs d’Anderlecht ?

Oui, le contraire serait impossible. Au fil des années, on tisse des liens plus étroits avec certains joueurs. Je n’ai pas été jusqu’à leur rendre des visites amicales après mon départ, mais bon… Par exemple, Roland Juhasz s’est occasionné une grave fracture du pied juste après son arrivée à Anderlecht. Il a rechuté, son père est décédé d’un arrêt cardiaque et Roland a été gravement malade aussi… Automatiquement, un lien humain se crée. C’est aussi le cas avec Wasilewski et Biglia, deux joueurs qui évoluent à Anderlecht depuis un certain temps. Je pense qu’il peut régner une saine rivalité sur le terrain mais en dehors, il vaut mieux que chacun vive sereinement avec les autres. J’ai récemment assisté aux funérailles de José Lago, le responsable du matériel du Sporting. C’était un homme fantastique. Ce genre d’événements dépasse les couleurs d’un club.

La double fracture de Wasilewski est-elle ce que vous avez vu de pire sur un terrain de football ?

Oui, même si je me souviens aussi d’une blessure de Christian Wilhelmsson, à mes débuts à Anderlecht. Lors d’un déplacement au Lierse, il a quasi perdu la moitié d’une oreille dans un duel peu avant le repos. La partie arrière s’est déchirée. On aurait pu l’arracher complètement très facilement, mais je ne le lui ai évidemment pas dit car je ne pense pas que Chippen aurait eu la force mentale requise pour achever le match. J’ai donc procédé à une anesthésie locale et recousu l’oreille pendant la mi-temps. Et il a pu disputer le reste du match.

Quand vous avez vu la jambe de Wasilewski, avez-vous pensé que sa carrière était achevée ?

Non. Je me suis concentré sur les premiers soins et l’aspect purement médical. Le moment le plus pénible de tout cet épisode, pour moi, a été l’instant où il a été transporté en brancard dans l’ambulance. Il m’a empoigné et m’a demandé : -Est-ce que je pourrai rejouer un jour ? J’ai vu le désespoir dans ses yeux et je me suis senti vraiment mal. Pourtant, je suis parvenu à lui répondre que oui, naturellement, il pourrait rejouer. Au fond de moi, en tant que médecin, je savais que ce ne serait pas nécessairement le cas… Je ne suis pas près d’oublier cet instant poignant.

PAR STEVE VAN HERPE : PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » J’espère que le Club sera champion mais je souhaite tout le bien du monde à Anderlecht. « 

 » Wasilewski m’a empoigné en me demandant : – Est-ce que je pourrai rejouer un jour ? « 

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