Le secret de Dury

Zulte Waregem et son coach sont des surprises permanentes en D1. Le point avant de se rendre à Anderlecht le week-end prochain.

Interrogé sur son expérience de quatre ans en D1, Francky Dury (51 ans) est clair :  » Il n’est pas facile de forcer le respect pour Zulte Waregem. Au premier tour, nous avons battu Anderlecht 4-0 mais de quoi a-t-on discouru la semaine suivante ? De la faiblesse d’Anderlecht… « 

Des entraîneurs en poste il y a quatre ans, il est le seul à être demeuré dans le même club :  » Nous étions amateurs et j’ai été élu Entraîneur de l’année… Toutes les équipes promues depuis quatre ans se trouvent dans la colonne de droite, sauf nous. Mais nous n’avons jamais eu un groupe de meilleure qualité avec les Sammy Bossut, Franck Berrier, Bart Buysse et Thomas Matton. Mes footballeurs sont ouverts, avides de progresser, ne fût-ce que d’un pour cent. « 

Mais comment procédez-vous ?

Franck Dury : Nous passons un joueur au crible : tests physiques, entretiens avec un psychologue et examen de la dentition. Je ne discute pas avec un footballeur qui est à 70 % de ses possibilités. Je veux 100 %. Nous suivons les joueurs : leur comportement, leur alimentation, leur entraînement. Si l’un d’eux chute à 90 %, nous tentons de le corriger. Nous avons un staff large : deux entraîneurs à plein temps, le podologue, le psychologue, le scout,… Dix à quinze personnes suivent les joueurs.

Il est essentiel de parler à un joueur, de le réconforter, à condition qu’il soit ouvert. Nous avons, par exemple, renvoyé Andréa Mbuy-Mutombo à Portsmouth : il était bon techniquement et physiquement mais pas mentalement. J’ai analysé son fonctionnement, son comportement, sa diététique. Il avait de mauvaises habitudes alimentaires et l’équipe avec laquelle il jouait à l’entraînement perdait souvent malgré son immense talent. Evidemment, il marquait beaucoup en peu de minutes, il faisait impression et il s’est laissé monter la tête par les managers. Portsmouth nous avait prévenus que Mutombo était difficile à gérer. Je le voulais car il était Belge, âgé de moins de 18 ans, qu’il débordait de qualités. Je pensais le reste de mon groupe assez fort pour le guider. Etre titularisé ici n’est pas facile, avec neuf joueurs belges qui sont pratiquement des éléments de base : Bossut, Stijn Minne, Karel D’Haene, Stijn Meert, Kevin Roelandts, Steve Colpaert, Buysse, Ludwin Van Nieuwenhuyze, Matton. Mutombo attirait trop la couverture sur lui.

Contre Tubize, il a marqué sur un superbe assist de Roelandts, lequel veut le féliciter mais Mutombo court vers la tribune, bras levés, et ignore Roelandts.

Voilà ! Comme Leandro, qui, au lieu de féliciter tous les joueurs après le 4-0 contre Anderlecht, arrive avec une nouvelle coiffure rasta. Il a détourné l’attention que méritait cette prestation fantastique. Les autres joueurs le perçoivent.

Beaucoup de Belges

Vous voulez rester un club à ancrage local ?

C’est notre vision. Avec un budget de six millions, le douzième de D1, nous ne pouvons faire de folies sous peine de disparaître. A l’avenir, nous devons préparer les jeunes au sein d’une structure pro, durant la dernière phase de leur développement, en vue de leur promotion en équipe fanion. Nous ne pouvons enrôler des joueurs à l’indemnité de transfert ou au salaire coûteux. Nous convoitions aussi Tim Smolders, Stef Wils, Benjamin Nicaise, Adnan Custovic il y a deux ans, mais nous ne pouvons les payer. Nous sommes donc obligés de bien chercher et de retirer le maximum de ceux que nous choisissons.

De combien de temps dispose un nouveau pour s’intégrer ?

D’un quart à un tiers de la saison. Berrier a eu besoin de deux mois. Regardez où il en est ! Khaleem Hyland ne s’entraînait avec nous que depuis un mois quand il a effectué ses débuts à Genk. Markus Neumayr semblait incapable de s’imposer mais revendiquait un poste que réclament Berrier, Roelandts, Van Nieuwenhuyze ou Matton. Le groupe sent qu’un joueur n’apporte rien ou ne progresse pas. Nous devons être économes. A quoi bon laisser les joueurs s’attarder ici ? En Réserve, je veux voir des joueurs de 16 à 18 ans issus de notre école plus l’un ou l’autre joueur du noyau qui doit retrouver son rythme après une blessure mais pas un élément grassement payé qui n’atteint pas un rendement suffisant pour l’équipe fanion.

Vous constituez une exception, avec sept ou huit Belges dans l’équipe de base.

L’année dernière, quand j’ai vu Matton à OHL, j’ai croisé les doigts pour qu’aucun club ne nous le prenne. Il y a du talent en Belgique. J’ai téléphoné à Genk pour Jelle Vossen mais il ne pouvait partir. Nous jouons avec quatre éléments formés par le Club Bruges : Matton, Buysse, en passe de devenir un des meilleurs arrières gauches du pays, Minne et Roelandts. Nous avons joué contre le Racing Malines et j’y ai repéré quelques bons joueurs mais quand on transfère un élément de séries inférieures, il faut le suivre de près. Croyez-vous que Berrier et Matton ont été d’emblée les meilleurs sur le terrain, ici ?

Pourquoi optez-vous pour des Belges au lieu d’imiter Lokeren, un autre club provincial, qui fait de l’import-export ?

Parce que je veux les voir moi-même. L’été passé, un ancien footballeur de l’élite m’a présenté un tas de DVD de footballeurs sud-américains. Je lui ai demandé si tel joueur était droitier ou gaucher. Il ne le savait pas. J’ai été surpris. Nous essayons de trouver des joueurs en les scoutant très précisément ou en les formant. Il y a deux ans, six joueurs de quinze ans nous ont quittés pour le Club, Willem II et Genk. Nous ne travaillons donc pas mal mais ces joueurs entrevoyaient un meilleur avenir ailleurs. Nous devons mieux encadrer notre noyau B. C’est cher mais c’est le prix à payer pour ne pas perdre nos meilleurs jeunes.

Vous avez récemment fustigé l’affluence d’étrangers de second rang alors que vous avez aussi enrôlé des étrangers en hiver…

Les meilleurs étrangers ne viennent pas en Belgique, même pas dans nos grands clubs. Tout l’art consiste à obtenir un rendement optimal de joueurs banals. C’est pour cela que nous investissons autant d’argent et de temps dans le suivi. Nous sommes fichus si nous réalisons trois mauvais transferts.

Quand l’équilibre de l’équipe est-il menacé par le nombre d’étrangers ?

Quand on perd sa culture. Meert, D’Haene, Van Nieuwenhuyze et Minne entretiennent de manière naturelle cette culture dans le vestiaire. Les nouveaux s’intègrent facilement, d’où qu’ils viennent. Quand, à l’issue d’un entraînement, je demande qu’on rassemble le matériel, une minute plus tard, tout est rangé. Zulte Waregem a toujours eu un bon vestiaire. Matthieu Verschuere était Français. Il ne parlait pas beaucoup mais il contrôlait le vestiaire. Je pense d’ailleurs que le nôtre est unique. Ernest Nfor apprécie beaucoup la façon dont il a été accueilli. Il n’y était manifestement pas habitué.

Leye va réussir à Gand

En voyant Mbaye Leye, avez-vous su qu’il serait votre nouvel avant ?

Non. Je ne le connaissais pas quand notre cellule de scouting précédente l’a présenté la saison dernière avec Barrios et Ferrera. Nous cherchions un avant et il jouait dans l’équipe B d’Amiens. Après l’entraînement, j’ai accepté son transfert. Il avait un bon niveau, il était malin et avait une mentalité de vainqueur. Il se donnait à fond et il a gagné l’appréciation des joueurs qui dominent le vestiaire.

Leye vous a-t-il déçu en partant à Gand ?

C’est une question difficile. Je suis surpris. Je n’avais encore jamais été confronté à un joueur qui refusait de jouer. Ce n’est pas notre faute si le Club a refusé de proposer plus pour lui ni si l’intérêt de Kazan ne s’est pas concrétisé et qu’il n’a pu partir en août. Leye n’avait pas besoin d’user de cette arme. C’est un garçon fantastique, un professionnel accompli avec lequel je travaillais bien mais l’argent détruit beaucoup de choses. Il y a un problème si vous gagnez cent euros ici et qu’en équipe du Sénégal, certains gagnent dix fois plus. Il a commencé à planer mais nous ne pouvons payer ce que donnent le Club ou Kazan. Or, les grandes équipes ne se sont pas précipitées. Mais je suis convaincu qu’il va réussir à Gand.

Avez-vous paniqué au départ de Leye ? Vous n’aviez déjà pas beaucoup d’attaquants et vous perdiez aussi Barrios et Chapi.

Désolé mais dans un noyau de 24, on ne peut conserver quatre joueurs dépourvus de rendement. Après Malines, je n’étais quand même pas à l’aise. Heureusement que nous avions Nfor. L’avant-dernier jour du mercato, le père de Chris Makiese m’a téléphoné, expliquant que son fils voulait quitter Charleroi et aimerait jouer ici. Un cadeau du ciel ! Nous avions déjà brièvement discuté en été. Nous comptions l’engager l’été suivant.

Bossut est bon dans le but mais vous avez pris une décision dangereuse en ne prolongeant pas le contrat de Geert De Vlieger, non ?

Geert aurait pu rester un an de plus mais nous avions décelé le potentiel de Bossut depuis deux ans, à Newcastle et à l’entraînement. J’ai pris un risque calculé. Avant le déplacement à Malines, je lui ai raconté une histoire : quelqu’un doit traverser une rivière remplie de crocodiles pour rejoindre la terre promise. Il n’arrivait pas à franchir le dernier cap. Je lui ai dit que s’il n’y parvenait pas, les crocodiles lui arracheraient un pied. Il a arrêté un penalty à Malines. Il était lancé. Nos supporters l’ont sifflé un moment, mais cela ne m’a pas fait douter. L’année dernière, Roelandts a été hué par nos propres supporters. Je ne l’ai pas retiré. Il faut parfois donner un coup de pouce aux joueurs. Il n’aurait pas été correct de laisser Bossut sur le banc un an de plus. Maintenant, il émarge au top trois en Belgique.

Avez-vous été surpris que Zulte Waregem se retrouve cinquième la semaine passée ?

Non. Je dis depuis des semaines que Zulte Waregem n’a jamais eu un groupe aussi talentueux. Le Club Bruges n’a pas un joueur du profil de Roelandts pour l’instant. Je le motive jour après jour en répétant que ce n’est pas Karel Geraerts mais c’est lui qui devrait être au Club…

Pourquoi brillez-vous contre les ténors et peinez-vous contre les équipes plus médiocres ?

Aucune idée. Nous avons préparé le match du premier tour contre Anderlecht comme le match contre Tubize. Nous avons un concept mais beaucoup de joueurs sont devenus assez souples pour l’aménager dans certaines situations. Avant, nous n’aurions pu battre Anderlecht 4-0 car à 1-0, nous devions nous défendre bec et ongles. Notre organisation actuelle nous permet de monter régulièrement.

On affirme que Zulte Waregem est meilleur quand il ne doit pas faire le jeu, qu’il est une équipe de contre.

Foutaises. Ce qui compte, ce sont les occasions forgées, le nombre de joueurs qui pénètrent dans le rectangle adverse, les buts. Une équipe de contre n’envoie qu’un ou deux hommes devant le but. Les nôtres sont plus nombreux. Notre transition est rapide mais durant l’Euro 2008, toutes les équipes ont défendu très bas. Exercer un pressing élevé est devenu trop difficile – pour nous aussi…

par geert foutré – photo: jelle vermeersch

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