« Le football m’a sauvé »

 » Quand je me sentais mal, je me rappelais mes trois mois en maison de redressement.  » L’existence mouvementée d’un ancien buteur, devenu aujourd’hui le coach du Royal Antwerp Football Club.

Août 1995. Jerrel Floyd Hasselbaink effectue un stage au Sporting Clube Campomaiorense, promu parmi l’élite. L’avant néerlandais dispute deux bons matches amicaux et obtient un contrat assorti d’une condition : le président João Manuel Nabeiro lui interdit de divulguer son véritable nom. Le fier dirigeant ne veut pas admettre qu’il a engagé un amateur néerlandais inconnu et il lui trouve un nom plus clinquant : Jerrel devient Jimmy Floyd.

C’est humiliant mais Jimmy, âgé de 23 ans, s’en moque : conspué dans son pays, il redevient enfin un footballeur professionnel.  » Mes compatriotes pensaient que j’allais échouer au Portugal. Cela m’a vexé « , confie-t-il à Voetbal International, qui publie le récit de sa vie en 2007. Cette biographie se lit comme un roman. On y découvre qu’en 1994, Hasselbaink envisageait d’arrêter. Il n’avait qu’une option : le Neerlandia, un club amateur. Cinq ans plus tard, il est devenu le footballeur batave le plus cher : 18 millions d’euros.

Sa jeunesse difficile, dont le point culminant est un séjour de trois mois en maison de redressement, fait sa force.  » Quand je ne me sentais pas bien, je pensais à la prison. Ça m’a aidé et en plus, j’étais doué en football. Je sais ce qu’il est advenu de mes amis criminels d’alors. Certains ont purgé des années de prison. Le foot m’a sauvé.  »

Une vie chaotique

Jerrel Hasselbaink est né le 27 mars 1972 à Paramaribo, la capitale du Surinam. Il a reçu le nom de sa mère, Cornelli Hasselbaink, qui était déjà séparée de son père, Frans Ware. Cornelli émigre aux Pays-Bas, en quête d’une vie meilleure, avec ses trois fils et sa fille, quand Jerrel a six ans. Hasselbaink en témoignera à coeur ouvert plus tard : cette nouvelle vie n’a pas été une réussite.  » Une fois mes frères et soeur aînés également venus aux Pays-Bas, elle a dû nourrir six bouches. Ma mère avait trois boulots, elle se battait pour survivre.  »

Comme Carlos, son aîné, Jerrel est passionné de football. Il se produit successivement pour GVO de Krommenie, le ZFC Zaandam et, à dix ans, pour Zaanlandia. Sa mère s’échinant au travail, il est élevé par une tante et l’aîné de la fratrie, Franklin Ware. Celui-ci témoigne :  » Avec l’âge, Jerrel m’obéissait de moins en moins. Il n’allait pas au lit quand je le lui demandais. Il attendait le retour de notre mère, à laquelle il était terriblement attaché.  »

Faute d’autorité parentale, Jerrel Hasselbaink vit en rue, dans un quartier difficile. Il est souvent en conflit avec la police.  » Ma vie n’a été que chaos entre 12 et 19 ans. Certains copains dealaient de la drogue. Ils volaient et parfois, je participais à leurs méfaits.  »

En 1988, alors qu’il a seize ans, la bande a volé des billets d’entrée pour le concert du groupe rap Public Enemy. Les victimes ont déposé plainte, Jerrel a été reconnu et la perquisition a permis à la police de trouver des objets volés -montres et autoradios. Le juge l’a condamné à trois mois de maison de redressement.  » J’étais mal barré. Je commettais ces actes pour être admis par la bande.  »

A 17 ans, il reçoit pourtant sa chance au DWS, un club amateur amstellodamois, qui a jadis accueilli de futurs internationaux comme Ruud Gullit, Rinus Israël, Rob Rensenbrink et Frank Rijkaard. Durant l’hiver 1990, les rêves de Hasselbaink s’effondrent quand la direction le soupçonne d’avoir dérobé une montre dans le vestiaire et le renvoie. Il avouera le vol des années plus tard.

Certains croient encore en lui. Chris Pragt, un sponsor du DWS, lui arrange un stage chez Telstar. Le club de D1 décèle ses qualités mais après quatre matches, l’entraîneur, Niels Overweg, un ancien international, le renvoie. Hasselbaink :  » Personne n’avait d’emprise sur moi. Je n’étais absolument pas sérieux et j’arrivais souvent en retard. J’étais encore tiraillé entre la vie de la rue et ma carrière.  »

La dernière chance

Pourtant, début 1991, l’AZ, pour lequel joue son frère Carlos, lui offre une dernière chance. Il tourne le dos à son ancienne vie, sous le regard sévère de son frère.  » J’ai pris conscience de l’importance de la discipline.  » En août 1991, il signe un contrat de deux saisons. Sa carrière semble enfin décoller.  » J’ai joué régulièrement la première année. Ensuite, Henk Wullems a opté pour des joueurs qui n’étaient pas meilleurs que moi. Travailler sous ses ordres était horrible, il n’y connaissait rien.  »

En été 1993, il est libre de transfert mais nul ne lui offre de contrat. Ben Hendriks, l’entraîneur du FC Zwolle, veut le transférer mais les négociations capotent à cause de 500 euros, une somme dont il a besoin pour financer ses frais de déplacement ou son déménagement.  » J’ai été très déçu mais je n’aurais pu vivre de la somme qu’on me proposait. J’aurais dû recommencer à voler.  »

Il a 21 ans et son avenir est de nouveau incertain. Il peut entretenir sa condition à Haarlem mais sans contrat.  » J’ai cru devoir faire une croix sur le football professionnel mais je suis orgueilleux. Un an plus tard, j’étais toujours mû par l’ambition de réussir. Je cumulais les petits boulots et je vivais chez ma mère, qui m’a aidé à franchir cette mauvaise passe.  »

En août 1994, un an après son transfert raté à Zwolle, il peut signer à Neerlandia. Ce n’est qu’un club amateur mais il n’hésite pas un instant.  » J’ai vécu de bons moments à Amsterdam. Je me suis épanoui, je me suis à nouveau senti important et j’ai pu montrer ce que je valais. Je marquais en moyenne un but par match.  » C’est là, dans l’anonymat du football amateur, que son existence change radicalement. L’agent Humphrey Nijman visionne un joueur du ZPC, l’adversaire de Zwolle, au printemps 1995, mais il est tellement impressionné par Hasselbaink qu’il règle pour lui un stage à Campo Maior.

Des goals à profusion

En 1995-1996, le Sporting Clube Campomaiorense lutte en vain contre la relégation mais après la trêve hivernale, Hasselbaink suscite l’admiration. Jimmy marque à tours de bras, à l’affût de la moindre occasion.  » Je voulais à tout prix faire mes preuves.  » Le club descend mais le Portugal est séduit par le Surinamien. Benfica s’intéresse à lui mais l’attaquant préfère Boavista, en 1997. Il est taillé pour le dur football portugais, avec sa vitesse et ses tirs tendus.  » Les défenseurs me fauchaient en rigolant. Au début, je jouais avec des jambières néerlandaises mais j’ai rapidement acquis des modèles en plâtre. Ils sont devenus mes meilleurs amis.  » Quand il enlève la Coupe du Portugal, les Pays-Bas le classent joueur intermittent. Pourtant, en championnat, aux côtés de Nuno Gomes, il a inscrit vingt buts.  » Au Portugal, on n’attend qu’une chose d’un avant : des buts. J’ai appris à me concentrer sur l’occasion qui finirait par se présenter.  »

Quand Hasselbaink est vendu pour trois millions à Leeds United, les Pays-Bas ne croient toujours pas en lui.  » Je n’allais pas réussir en Angleterre. Ces prédictions m’ont sublimé. Muer le négatif en positif m’a toujours motivé.  » Et comment ! À Elland Road, lors de sa deuxième saison, il est le meilleur buteur de Premier League, ex-aequo avec Michael Owen (Liverpool) et Dwight Yorke (Manchester United) – avec 18 buts. En 1999, l’Atletico Madrid débourse la somme record de 18 millions d’euros.

Son passage à Madrid n’est pas un succès. Les joueurs ne sont plus payés depuis des mois, le président Jesus Gil y Gil démissionne et le club est rétrogradé en Segunda Division. Ses 24 buts attirent l’attention de Chelsea, qui verse 24 millions à l’Atletico. Le manager Gianluca Vialli n’entretient pas une bonne relation avec ses joueurs mais quand, en janvier, Hasselbaink retrouve Claudio Ranieri, son entraîneur à Madrid, il confirme définitivement son statut. Il est meilleur buteur de la Premier League avec 23 goals, un chiffre qu’il atteint encore durant sa seconde saison à Stamford Bridge mais cette fois, il est précédé par Thierry Henry. Puis, en mai 2002, c’est l’enfer. Il souffre depuis plusieurs semaines de crampes et de douleurs dans le mollet droit. Les médecins diagnostiquent un rétrécissement artériel : sa cheville n’est plus irriguée qu’à 25 %.  » Le diagnostic a été établi juste à temps sinon on aurait dû m’amputer. Avant l’opération, le chirurgien ne sentait plus le moindre pouls dans le pied droit.  »

Gratos à Middlesbrough

Il guérit mais le système de rotation imposé par Ranieri ôte ses automatismes à l’équipe. Louis van Gaal veut l’attirer à Barcelone mais il est limogé le jour où Hasselbaink doit signer en Catalogne, le 28 janvier 2003. Durant sa quatrième saison, Hasselbaink est le meilleur buteur de Chelsea pour la troisième fois mais le nouvel entraîneur, José Mourinho, est loin d’être séduit par le Néerlandais, qui rejoint gratuitement Middlesbrough.

En deux saisons dans la ville portuaire, où Hasselbaink fait la connaissance de Steve McClaren, l’avant est confronté à des hauts et des bas, aux côtés de ses compatriotes Boudewijn Zenden et George Boateng. Le club regorge d’ambition et se qualifie pour l’Europe grâce aux treize buts d’Hasselbaink. La saison suivante, il est en concurrence avec Mark Viduka et sa carrière commence à s’apparenter à une illusion, même s’il dispute la finale de l’Europa League -une humiliation 4-0 face à Séville. L’avant de 35 ans tente de relancer sa carrière à Charlton Athletic et à Cardiff City mais Jimmy Floyd a perdu son panache. Il qualifie le club gallois pour la finale de la Cup (défaite 1-0 contre Portsmouth) mais la saison suivante, il n’y a plus de place pour lui. L’adieu est pénible, à l’image de sa carrière, durant laquelle rien ne s’est déroulé selon ses plans.

PAR CHRIS TETAERT

Jeune joueur, il est renvoyé du DWS Amsterdam suite au vol d’une montre.

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