Genk, c’est ça!

L’ancien Standardman Jos Daerden nous emmène à la découverte du club champion.

Comment avez-vous abouti à Genk?

Jos Daerden: J’avais connu Sef Vergoossen à Roda JC, précédemment. Pour obtenir mon diplôme d’entraîneur professionnel aux Pays-Bas, je devais effectuer un stage dans un club de D1 ou D2. J’ai ainsi passé six mois à Kerkrade. Le règlement stipulait que je devais être présent un jour par semaine, mais je me suis pratiquement rendu au club tous les jours. En m’accueillant, Sef Vergoossen m’avait présenté aux joueurs en ces termes: -Heureusement, nous aurons un entraîneur cette saison… Le ton était déjà donné. En principe, je n’étais là que pour observer, mais il me confiait la direction de certains entraînements. C’est cet art de déléguer qui caractérise Sef Vergoossen. J’ai toujours maintenu le contact avec lui, et lorsqu’il est devenu entraîneur à Genk, il a songé à moi. Parce qu’il avait apprécié ma manière d’entraîner, je l’espère, mais aussi parce qu’il avait besoin de quelqu’un qui parle français dans le staff. Un détail, peut-être, mais ce sont parfois les détails qui font la différence, surtout lorsqu’on utilise des méthodes où la communication est importante.

Devenir son adjoint, ce n’était donc pas un pas en arrière?

Non, car le football a évolué. Seul, on ne pourra plus réussir aujourd’hui. L’entraîneur en chef ne peut plus dominer tous les paramètres. Sef Vergoossen le répète à l’envi: -Entraîner un groupe de 25 joueurs, oui! Les rendre meilleurs, non! Il faut scinder le groupe, répartir les joueurs en fonction de leurs rôles spécifiques ou de leur état physique. Ce matin, par exemple, je me suis occupé des joueurs offensifs en compagnie de Pierre Denier. Sef Vergoossen et Roland Janssen ont travaillé avec les défenseurs. Parfois, on travaille même sur deux terrains différents. Personne n’a le don d’ubiquité. Si le football a évolué sur le plan technique, il change aussi sur le plan conjoncturel. Le projet de création d’une Bénéligue refait surface. Tôt ou tard, on y arrivera. J’ignore sous quelle forme. Personnellement, le processus me paraît inéluctable. Regardez les difficultés que rencontrent nos clubs de D2 pour l’obtention de la licence. Que ce soit Zuid-West, Heusden ou même Malines. Autrefois, on s’arrangeait avec les dessous de table et on continuait. Ce temps-là est révolu. Les fusions se multiplient, de plus en plus de clubs sont voués à la disparition. Alors, lorsqu’on a la possibilité de faire partie du staff d’un grand club, on ne doit pas hésiter. Surtout lorsqu’il s’agit d’un contrat de longue durée, impliquant la reconversion dans une autre fonction le cas échéant.

« Symbiose totale »

Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné à Genk?

Ce n’est pas véritablement une découverte pour moi. Je connaissais Genk depuis longtemps, ne fût-ce que parce que je venais régulièrement voir jouer mon fils Koen. J’ai toujours été admiratif devant la manière dont les tâches étaient réparties ici. Chacun connaît son rôle. Il y a une réelle symbiose entre le staff technique et le staff administratif.

Genk devient progressivement le quatrième « grand » du pays.

C’est l’objectif. A terme, il faudrait que l’on ne parle plus des « trois grands » du football belge, de préférence des « quatre grands ».

Vous avez été l’entraîneur de l’un de ces trois grands. Qu’est-ce qui différencie aujourd’hui Genk du Standard?

Je parlerai d’abord du point commun: c’est le public, chaud d’un côté comme de l’autre, et qui souhaite voir des joueurs combatifs sur le terrain. La grande différence, c’est qu’il y a désormais à Genk une organisation impeccable au niveau directionnel, une définition réaliste des objectifs et un plan de travail à long terme. Au Standard, ces points-là ont toujours posé problème ces dernières années. Parfois, j’ai l’impression qu’à Sclessin, les dirigeants s’ingénient à créer des tensions lorsqu’il fait un peu trop calme. Cela s’est encore vérifié cette année. Au Nouvel An, le club était premier ex-aequo. Tout allait bien. Trop bien, sans doute: on a subitement trouvé qu’un tel était trop gros, qu’un autre devait être exclu du noyau et que sais-je encore? C’était déjà pareil l’année où j’ai entraîné les Rouches. Tout avait bien commencé. On s’était qualifié pour la finale de l’Intertoto et on avait occupé la tête du championnat pendant dix journées. Gilbert Bodart, Michaël Goossens, Régis Genaux, Philippe Léonard, Marc Wilmots et d’autres joueurs sont partis. Dinga et Hellers se sont blessés. Krupnikovic a été vendu alors qu’il commençait à s’intégrer. Durant le deuxième tour, on a joué avec Pascal Tihon, Dimitri Wavreille, François Rouffignon, Gauthier Remacle et Geoffrey Turco. Chacun savait pertinemment que le noyau ne recelait plus assez de qualité pour décrocher un billet européen. Les dirigeants l’admettaient en comité restreint, et prétendaient le contraire lors des déclarations en public. C’était sympa pour l’entraîneur!

Une telle attitude serait-elle inimaginable à Genk?

Il faudra être attentif aux réactions lorsque cela ira moins bien. A commencer par la saison prochaine. Car, après le titre, on ne pourra forcément que faire moins bien. Il conviendra alors de ne pas paniquer. Mais je suis convaincu que, de la manière dont nous travaillons actuellement, le risque d’avoir des problèmes de communication est minime.

« La simple motivation »

Après une victoire facile contre Beveren lors de la journée initiale, Genk s’est incliné 3-0 à l’Antwerp. Il n’en fallait pas davantage pour que certains commentateurs tirent déjà des conclusions prématurées. L’équipe, selon eux, voyageait mal.

Ce sentiment a aussi existé au sein du groupe. Mais il s’est rapidement dissipé. Parce que, dans la foulée, nous avons obtenu de bons résultats à Anderlecht et au GBA en pratiquant un football d’excellente facture. Nous avons conservé notre brevet d’invincibilité de la 2e (Antwerp) à la 29e journée (Standard).

Genk est capable de produire un football attrayant, mais aussi de s’imposer à l’énergie, comme à St-Trond.

C’est ce qui s’appelle la motivation. La volonté de gagner le match. L’envie d’être champion.

A partir de quand avez-vous pensé que cette saison-ci pourrait être celle de Genk?

J’ai rapidement vu que l’équipe avait des capacités. Au Nouvel An, j’étais persuadé que nous pourrions lutter jusqu’au bout pour les places d’honneur. Mais le titre, on n’a commencé à y songer que fort tard.

La période délicate s’est-elle située pendant la Coupe d’Afrique des Nations?

Nous nourrissions quelques craintes à ce sujet, mais nous sommes restés sereins et nous avons franchi le cap sans encombre. Nous n’avons engagé qu’un seul footballeur durant la trêve hivernale: le jeune Jurgen Colin, du PSV. Nous nous refusons à transférer à tout bout de champ. Le président le répète souvent: -Nos meilleurs transferts sont ceux que nous n’avons pas réalisés! En janvier, nous avons affronté Beveren, l’Antwerp et La Louvière avec une équipe amputée de plusieurs éléments. Si nous avons demandé le report du match contre Anderlecht, ce n’était pas parce que l’adversaire était d’un autre calibre, mais parce que cinq ou six joueurs avaient deux cartons jaunes à leur compteur et étaient sous la menace d’une suspension. Les remplaçants ont bien fait leur boulot durant la Coupe d’Afrique des Nations. Bruges possède un noyau de 28 joueurs, mais j’estime qu’il est moins large que le nôtre. Car les 28 joueurs de Bruges ne sont pas animés de la même motivation que les 25 joueurs de Genk.

« A chacun son rôle »

On a souvent résumé le succès de Genk à son duo d’attaquants Sonck-Dagano. N’est-ce pas trop réducteur?

Certainement. Il est logique que l’on parle énormément d’un duo aussi productif. Cependant, seuls ils ne seraient rien. On a prétendu que la défense était le point faible de l’équipe. Lorsque le « quatre » arrière évolue cinq ou dix mètres à peine derrière la ligne médiane, il est logique qu’il laisse des espaces dans son dos. Ces espaces, Jan Moons les couvre à la perfection. C’est pour cela qu’il a été préféré à Istvan Brockhauser. Dans une équipe plus défensive, le Hongrois aurait peut-être été titulaire. Dans l’entrejeu, on ne peut passer sous silence le travail effectué par Bernd Thijs et Josip Skoko. Sans oublier les flancs. Souvenez-vous du match contre Mouscron. Nous étions menés 0-1 à la mi-temps. Il n’y avait qu’un réglage à effectuer pendant la pause: jusque-là, Hakran Roumani et Marco Ingrao s’étaient neutralisés parce que l’un n’indiquait pas assez clairement à l’autre quand il allait s’engager et quand il fallait assurer la couverture. Dès que ce problème fut solutionné, le flanc gauche a beaucoup mieux fonctionné et, par voie de conséquence, Wesley Sonck est entré beaucoup plus souvent en possession du ballon. Avec le résultat que l’on connaît. Je le répète: chacun a un rôle à remplir. Et chacun est prié de s’y tenir. Il y a des moments où l’on peut -ou non- appeler le ballon en profondeur. Il y a des endroits où l’on peut -ou non- commettre une faute. Chaque détail a son importance. Sef Vergoossen est parvenu à trouver la bonne combinaison, à mettre chacun à sa place et à former un ensemble dont tous les rouages s’imbriquent. Et il a très rarement dû modifier la composition de cet ensemble.

Ce fut aussi l’une des chances de Genk?

On peut parler de chance. On pourrait aussi creuser plus profondément. Et se demander pourquoi, à Anderlecht, il y a constamment 10 ou 15 joueurs à l’infirmerie, et pas à Genk. Si un adversaire marche sur la jambe de Wesley Sonck, on ne peut rien faire. Mais rien de ce que l’on peut contrôler n’est laissé au hasard. Pour ne prendre qu’un exemple: un diététicien s’est entretenu avec chacun de nos joueurs, individuellement et en groupe. En leur expliquant ce qu’ils pouvaient manger, quand et pourquoi.

« Le Limbourgeois est bosseur »

Si Bernd Thijs réussit beaucoup mieux à Genk qu’au Standard, c’est parce qu’il évolue dans un contexte propice à son épanouissement?

J’avais moi-même connu Bernd au Standard. A l’époque, il avait disputé 24 matches sous ma direction. Léon Semmeling l’avait déjà souligné: il avait deux problèmes. Le premier, vis-à-vis des supporters: il jouait avec une telle aisance technique qu’il apparaissait nonchalant, ce dont on a horreur à Sclessin. Le second, vis-à-vis des équipiers: il était toujours un temps en avance sur eux. Bernd a besoin de savoir exactement ce que l’on attend de lui. C’est le cas à Genk. Les mentalités limbourgeoise et liégeoise sont aussi très différentes. Un Limbourgeois connaît les vertus du travail et ne se met pas à planer après deux ou trois succès. Roger Petit l’avait d’ailleurs fort bien compris. Ce n’est pas un hasard s’il y a toujours eu beaucoup de Limbourgeois au Standard.

Genk a aussi apporté la preuve qu’on pouvait obtenir des résultats en misant sur les jeunes…

Parmi les titulaires, si l’on excepte Jan Moons (30 ans) et Josip Skoko (26 ans), tous les joueurs ont moins de 23 ans. Même Wesley Sonck entre encore dans cette catégorie! Je tiens à souligner un autre fait remarquable: sur les 25 joueurs du noyau, il y en a neuf qui jouaient en Juniors UEFA avec mon fils Koen voici deux ans et demi. C’est plus d’un tiers de l’effectif. Miser sur les jeunes, c’était un risque, mais un risque calculé.

A Genk, les jeunes reçoivent une chance. Ailleurs pas.

Il ne m’appartient pas de juger les autres. Chez nous, c’est l’optique prise par Sef Vergoossen. Il regarde d’abord s’il ne trouve pas la solution dans son propre groupe. Si non, il sonde le marché des jeunes joueurs belges. En dernier recours, il se tourne vers l’étranger.

Pour prévenir un éventuel départ de Wesley Sonck ou de Moumouni Dagano, Genk a déjà engagé Kevin Vandenbergh. Anderlecht, à la recherche d’un attaquant, a misé sur l’Australien Clayton Zane. Ce simple choix ne reflète-t-il pas toute la différence de philosophie?

Ce n’est pas parce que nous avons engagé Kevin Vandenbergh que nous n’engagerons pas, aussi, un attaquant étranger. Il faut être réaliste. Si Wesley Sonck s’en va, ce que nous ne souhaitons pas, nous disposerons de beaucoup d’argent. Mais, même avec espèces sonnantes et trébuchantes à l’appui, nous ne parviendrons pas à le remplacer par un joueur étranger de classe européenne. Ces joueurs-là ne viennent plus en Belgique, pas même aux Pays-Bas. Nous essayons donc d’attirer chez nous, le plus tôt possible, les jeunes talents belges. C’est valable pour Kevin Vandenbergh, mais aussi pour Denis Dasoul et d’autres.

« Un incroyable public »

Le Limbourg produisait depuis longtemps d’excellents footballeurs, mais n’avait pas de club de pointe. Aujourd’hui, ce club existe et la réponse du public ne s’est pas faite attendre.

Les Limbourgeois ont toujours eu le football dans le sang. Jadis, Waterschei attirait aussi beaucoup de monde, mais bien sûr, c’était sans commune mesure avec l’engouement que l’on connaît aujourd’hui pour Genk. Dimanche, il y avait 8.000 supporters à Westerlo et 20.000 autres au Stade Fenix, pour suivre le match sur écran géant. Derrière l’enceinte principale, on a construit une petite tribune pour ceux qui veulent assister aux matches des Réserves sur le terrain B. Lorsque nous avons accueilli Anderlecht, elle était pleine: 1.800 personnes. Chaque semaine, on voit arriver de nouveaux supporters. Des familles entières, avec femme et enfants. Genk est devenu le club de tout le Limbourg. Chacun veut en faire partie et contribuer au succès, en mettant si nécessaire la main à la pâte. On commence même à recruter des supporters au-delà des frontières de la province. Les résultats expliquent en grande partie cet engouement, mais le club fait tout également pour tendre la main aux supporters et transformer chaque événement en une véritable fête populaire. L’une de ces initiatives est symbolisée par les conférences organisées tous les 15 jours dans le café à thème. A chaque fois, un joueur, un dirigeant ou l’entraîneur prend la parole devant un parterre de sympathisants qui peuvent poser les questions qu’ils souhaitent. L’accès est gratuit. Il y a régulièrement 400 ou 500 personnes. Cela contribue à créer des liens. On ne ressent pas cette barrière qui existe quelques fois ailleurs entre les joueurs et les supporters. Le midi, il n’est pas rare qu’un groupe de huit ou neuf joueurs aillent déjeuner à la cafeteria et taillent un brin de causette avec les sympathisants présents.

Professionnalisme et convivialité peuvent donc aller de pair?

Tout à fait. Les mêmes méthodes sont utilisées pour le business. Depuis quelques semaines, les détenteurs de sièges VIP sont invités à dîner. Au cours de la soirée, on leur explique les objectifs du club et la manière envisagée pour les atteindre. Par groupes de 80 ou 90 personnes, chacun est convié à tour de rôle. Et l’on crée ainsi une interaction.

La saison prochaine, ce sera la Ligue des Champions. L’expérience précédente s’était révélée douloureuse, avec une élimination au tour préliminaire des oeuvres de Maribor.

L’équipe avait trop peu de matches dans les jambes au moment d’aborder cette échéance. C’est aussi une leçon que nous devrons retenir.

Daniel Devos,

« Il ne faut pas hésiter quand on peut intégrer le staff d’un grand club »

« A l’inverse de Genk, le Standard crée ses propres problèmes »

« Nos meilleurs transferts sont ceux qui n’ont pas été réalisés »

« Pourquoi tant de blessés à Anderlecht et pas chez nous? »

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