Le 1er août 1936, l’athlète allemand Fritz Schilgen, dernier relayeur de la flamme olympique, donne le coup d’envoi des Jeux de Berlin. © Getty Images

L’étrange passé nazi de la flamme olympique

Puissant symbole, elle sera embrasée le 16 avril prochain à Olympie avant d’entamer les relais qui la mèneront aux Jeux de Paris. Une mise en scène introduite pour la première fois en 1936, au service du régime nazi.

Bien sûr, il y a les anneaux olympiques. Cinq cercles d’autant de couleurs différentes représentant l’union des cinq continents dont les athlètes se rassemblent tous les quatre ans sous la bannière immaculée des Jeux d’été. Pourtant, plus encore que ce drapeau, c’est bel et bien la flamme olympique qui est le symbole le plus marquant du grand événement sportif international. Le 16 avril, elle sera allumée au cœur du temple de la déesse Héra, sur le site antique d’Olympie, puis prendra le départ d’une longue course de relais qui la conduira jusqu’à Paris.

La cérémonie de l’embrasement est spectaculaire, animée par des acteurs en costume d’époque qui font naître le feu grâce à un miroir concave réfléchissant la lumière du soleil. Tout est organisé pour faire de l’événement une piqûre de rappel des lointaines origines de la tradition olympique. Pourtant, la torche olympique n’a jamais été allumée dans l’Antiquité. Le premier lien entre les Jeux et le feu fut initié par Pierre de Coubertin, père spirituel de la version moderne des JO. Lors de la réunion fondatrice du Comité international olympique (CIO), en juin 1894, le Français avait été charmé par l’organisation d’une course aux flambeaux et son très fort impact visuel. Trente ans plus tard, dans son discours de clôture des Jeux de Paris de 1924, il avait glissé: «Puisse la flamme olympique poursuivre à travers le temps son voyage pour le bien-être de l’humanité.»

De flamme olympique, il n’était pourtant pas encore vraiment question. Ce n’est qu’aux Jeux d’Amsterdam de 1928 que l’architecte Jan Wils inclut à l’enceinte amstellodamoise la «Marathontoren» (tour marathon). Il décide d’y placer une grande vasque embrasée, d’où l’on peut voir l’olympiade à 360 degrés. En journée, c’est la fumée qu’elle dégage dans le ciel clair de l’été qui témoigne de sa présence. La nuit, sa lueur ne peut échapper aux regards. Le symbole est né, mais le cérémonial qui l’entoure reste bien loin. «L’histoire raconte que c’est au cours de la cérémonie d’ouverture que de la fumée s’est soudain manifestée sur la tour Marathon, raconte Jurryt van de Vooren, historien néerlandais du sport. En revanche, je n’ai jamais pu identifier la personne qui avait embrasé la vasque. Les journaux de l’époque n’en disent pas un mot, et aucun témoin ne se souvient précisément de ce moment. L’homme qui a allumé le feu ce soir-là ne devait alors avoir aucune idée de la future portée historique de son geste

Le trajet de la flamme s’est mué en 3.000 kilomètres de voyage propagandiste, jalonné de drapeaux et de croix gammées.

Mouvements antifascistes

C’est le théoricien du sport allemand Carl Diem, nommé en 1931 secrétaire du Comité d’organisation des Jeux de Berlin de 1936, qui saisit le premier le symbolisme majeur de la flamme olympique: l’embrasement de la vasque dans le stade, mais aussi le départ de la torche d’Olympie. Diem, qui entretient des relations étroites avec le régime nazi, veut, avec cette «cérémonie», insister sur le lien très fort entre les olympiades antiques et les Jeux modernes, notamment parce que les nazis voyaient dans la Grèce antique le prédécesseur arien du Reich allemand. Il fait adopter le protocole du relais de la flamme en 1934. Le 20 juillet 1936, à Olympie, un miroir parabolique conçu par l’entreprise Zeiss fait naître la flamme qui sera ensuite transportée à l’aide de torches au magnésium développées dans les usines Krupp, dans le bassin de la Ruhr.

La course de relais jusqu’à Berlin fut minutieusement organisée par le régime nazi. Tout devait être mis en œuvre pour présenter au monde le troisième Reich comme un Etat dynamique à l’influence internationale croissante. Le trajet de la flamme s’est ainsi mué en 3.000 kilomètres de voyage propagandiste, jalonné de drapeaux et de croix gammées. En cours de route, la procession s’est évidemment heurtée à des mouvements antifascistes, notamment en Grèce et sur le territoire de l’ancienne Tchécoslovaquie. Joseph Goebbels, alors ministre de la Propagande, s’était néanmoins chargé de mettre en avant les nombreux atouts de ce tracé symbolique dans la presse allemande. La radio diffusait ainsi régulièrement des comptes rendus presque héroïques de la progression de la flamme à travers l’Europe, alors que la cinéaste Leni Riefenstahl était chargée d’utiliser des images pour son documentaire Olympia, passé à la postérité.

Le 1er août 1936, soit onze jours après la naissance de la flamme olympique, l’athlète allemand Fritz Schilgen entrait dans le stade de Berlin torche à la main. Il est passé devant la tribune d’honneur, où tous les regards étaient évidemment tournés vers Adolf Hitler, puis a gravi les escaliers jusqu’à la vasque qu’il a embrasée. Les Jeux de Berlin pouvaient débuter.

Aujourd’hui, 88 ans plus tard et après une vingtaine de cérémonies d’ouverture aussi variées qu’étonnantes, la flamme olympique est devenue un symbole de connexion entre les peuples et, bien sûr, de paix. La volonté initiale de Pierre de Coubertin a finalement gagné face à la scénarisation initiale de Carl Diem et Hitler, qui n’avait rien de philanthropique.

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