Michiel Tack, avec sa compagne Evelien: «L’un de mes médecins pensait que je frimais avec mes lunettes de soleil sur le nez.» © DR

Syndrome de fatigue chronique: « Ce n’est pas vivre, mais survivre »

Le Vif

Pour la médecine, le syndrome de fatigue chronique, ou EM/SFC, reste un mystère. Pour les patients, mal compris et mal soignés, « ce n’est plus vivre, c’est survivre ».

«Je vais payer cette conversation pendant une semaine, affirme Michiel Tack, 31 ans, lorsque nous entamons notre appel vidéo. Mais je me sacrifie volontiers pour donner à cette maladie mal comprise l’attention qu’elle mérite

Michiel est allongé sur son lit dans un appartement d’un blanc immaculé, son portable sur les genoux. Après chaque tâche ménagère, c’est ce lit qu’il cherche pour reprendre des forces. A ses côtés, sa petite amie néerlandaise, Evelien, 39 ans. Tous deux portent des lunettes de soleil. Ils ne supportent pas la lumière du jour. Evelien est particulièrement limitée dans son fonctionnement ; c’est même un miracle qu’elle soit encore en vie. Au début de sa maladie, elle ne parvenait ni à parler ni à se lever. Elle a survécu, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Cause inconnue

«Parfois, tout s’arrête, soupire Michiel. Il y a une semaine, nous avons dû dire au revoir à une patiente aux Pays-Bas. Après une épreuve épuisante, elle a opté pour l’euthanasie. Elle s’est toujours battue avec courage dans l’espoir de guérir, mais après sept années de souffrances insupportables, on atteint la limite du supportable.»

Leur maladie à tous, c’est le syndrome de fatigue chronique (SFC), une pathologie invisible et multisystémique dont la cause est encore inconnue. Michiel préfère l’appellation «encéphalomyélite myalgique/syndrome de fatigue chronique (EM/SFC)», terme couramment utilisé dans la littérature scientifique.

«L’appellation syndrome de fatigue chronique est beaucoup trop englobante et trompeuse, car la maladie va bien au-delà des symptômes de fatigue et en implique d’autres, physiques, graves», estime-t-il. L’EM signifie littéralement «inflammation de la moelle épinière».

L’EM/SFC n’est pas un burn out

Les symptômes de l’EM/SFC sont multiples: épuisement anormal et total qui ne disparaît pas avec le sommeil ou le repos, intolérance à l’exercice, douleurs musculaires, crises de migraine, troubles de l’équilibre et du sommeil, sensibilité à la lumière et au bruit, fatigue mentale, appelée brain fog ou brouillard cérébral.

La différence avec le burnout? Les symptômes ne sont pas liés au stress (professionnel). Plutôt à des infections et des inflammations. De nombreux virus tels que le virus d’Epstein-Barr, qui provoque la mononucléose, et le coronavirus sont inoffensifs pour la plupart des gens, mais causent chez d’autres beaucoup de souffrance.

L’approche psychosomatique actuelle ne fonctionne pas. Nous n’allons pas mieux.

Aucun traitement pour l’EM/SFC

C’est une telle infection, contractée lors d’un voyage scolaire en Sicile, qui a contraint Michiel à mettre de côté ses projets d’avenir il y a quinze ans. Ce qui semblait être un banal rhume s’est transformé en enfer: étudier, travailler, voyager, sortir n’étaient plus envisageables.

Brutalement, sa vie sociale s’est effondrée. Les médecins n’ont pas pu lui dire de quoi il souffrait. Il n’existe aucun test de diagnostic pour l’EM/SFC, encore moins de traitement efficace.

Michiel a pourtant tout essayé. De la thérapie par l’exercice à la nutrition, en passant par des traitements expérimentaux, en désespoir de cause. Comme les trente mille autres patients atteints d’EM/SFC en Belgique, il fut orienté vers un psychologue pour une thérapie cognitivo-comportementale. Il a fini par abandonner toutes les thérapies.

Une morte, vivante

Michiel et Evelien ne font pourtant pas partie des cas extrêmes. Certains patients atteints d’encéphalomyélite myalgique deviennent complètement grabataires et dépendants au fil du temps. Michiel évoque une patiente qui passe sa vie au lit, dans le noir, avec des toilettes de camping à côté d’elle. Elle est trop malade pou rester debout pendant de longues périodes, peut à peine voir son fils en bas âge et ne tolère ni le toucher, ni la lumière, ni les sons. «Une morte, vivante», comme ils l’appellent.

Une existence digne

«Est-ce une existence digne si l’on ne peut plus se doucher, manger ou aller aux toilettes? s’interroge Michiel. Ce n’est pas vivre. C’est survivre. Certains patients sont même trop malades pour demander de l’aide. Le bruit et les nombreuses questions liées aux soins les épuisent. De plus, il n’existe pas en Belgique d’hôpitaux spécialisés offrant des soins sur mesure.

Les patients atteints d’EM/SFC très grave ne parviennent même pas à se rendre à l’hôpital en raison d’un manque extrême d’énergie, ce qui empêche les médecins d’entrer en contact avec eux. La gravité de leurs symptômes les fait disparaître de la vie publique, ils forment une communauté cachée.»

© getty images

Pas crus, pas compris

Il n’est pas rare non plus que les patients soient traumatisés par les prestataires de soins de santé qui les poussent régulièrement au-delà de leurs limites. «J’entends des histoires horribles de malades qui ne sont pas crus ou compris. Auxquels on fait suivre des programmes de formation, alors que la science montre que cela ne les aide pas et qu’ils ne peuvent pas faire face à la situation. Pour nous, patients, il est extrêmement frustrant d’entendre les médecins nous donner des conseils tels que “faites plus d’exercice” ou “ne vous focalisez pas trop sur les symptômes”. C’est comme s’ils parlaient d’une maladie complètement différente. L’un de mes médecins ne savait pas que la sensibilité à la lumière était l’un des symptômes de l’EM/SFC et pensait que je frimais avec mes lunettes de soleil sur le nez. C’est vraiment le monde à l’envers quand les patients doivent expliquer aux médecins ce que signifie exactement leur maladie.»

Bataille entre les visions

Alors que, dans d’autres pays, l’approche de l’EM/SFC se concentre sur la recherche de marqueurs physiques de la maladie, le point de vue dominant en Belgique est le modèle biopsychosocial.

«Les experts jonglent avec les mots holistiques, mais dans la pratique, les patients atteints d’EM/SFC sont toujours orientés vers la psychiatrie, regrette Michiel. Il est d’ailleurs révélateur que dans les centres de traitement du SFC des hôpitaux universitaires, ce soient principalement des psychologues et des psychiatres qui travaillent. Au début, les médecins se montrent amicaux et compréhensifs, mais lorsque toutes sortes de tests se révèlent négatifs, ils ressortent la rengaine familière selon laquelle il pourrait s’agir d’une maladie imaginaire, tout cela pour ne pas avoir à admettre qu’ils ne savent pas. Car il existe des maladies que nous ne connaissons pas encore.»

La science médicale est en constante évolution, comme l’a montré la dernière pandémie. Le Covid long, qui touche un patient sur vingt, présente des similitudes frappantes avec l’EM/SFC. Une grande partie des patients atteints du Covid se rétablissent, mais certains développent un tableau clinique similaire à celui de Michiel et Evelien. La question qui se pose est la suivante: aurions-nous aujourd’hui une réponse au Covid si l’EM/SFC n’avait pas été négligée par la science?

Lit de malade au Parlement

Soudain, Evelien tourne le portable de Michiel vers elle et parle lentement et sereinement: «Depuis des années, il est clair que l’approche psychosomatique actuelle ne fonctionne pas. Nous n’allons pas mieux. Pourquoi le monde médical n’adapte-t-il pas sa vision? Cela fait 25 ans que je suis malade. Génération après génération, on entend le même refrain. Si on veut que l’EM/SFC soit vraiment multi- disciplinaire, l’aspect biomédical doit être pris en compte.»

Pour appuyer sa demande, Evelien s’est fait transporter sur son lit médicalisé au Parlement européen en 2019. Elle y a plaidé en faveur d’une recherche fondamentale sur les causes de l’encéphalomyélite myalgique, à l’instar de la recherche sur les causes du cancer.

L’appel à la recherche

Autrefois, on pensait que le cancer était causé par des idées noires refoulées, la sclérose en plaques était appelée «paralysie hystérique» et le sida était censé être causé par le stress lié à l’homosexualité. Heureusement, cette époque est révolue. Grâce à la science.

Le Parlement européen appelle d’ailleurs les Etats membres à allouer des fonds pour la recherche sur les maladies inexpliquées insuffisamment étudiées par le passé. «J’espère sincèrement que quelque chose en sortira, déclare Michiel. En premier lieu pour les personnes atteintes de Covid long, car ces patients souffrent énormément. Même si je reste réaliste. C’est un travail de longue haleine et cela nécessite de gros investissements. En Belgique, il y a, en outre, le problème supplémentaire de la structure fédérale. La recherche scientifique est une compétence régionale, tandis que la santé publique relève du fédéral. Il est donc facile pour les responsables de se renvoyer la balle.»

Jamais plus seuls

Malgré l’attention actuelle portée au Covid long, Evelien et Michiel attendent toujours un changement majeur. «Hormis quelques reconnaissances ici et là, nous ne voyons que peu de mesures concrètes sur le terrain, s’offusque Michiel. La majeure partie de la recherche se limite à l’observation.

Les traitements se concentrent toujours sur l’alimentation et la thérapie comportementale. La question la plus importante reste sans réponse: pourquoi certains patients ne se rétablissent-ils pas physiquement d’une infection et deviennent-ils même plus malades?»

«J’ai abandonné l’espoir d’une percée de mon vivant, conclut Michiel, pragmatique. Mon but dans la vie est de m’assurer que les générations futures atteintes de la maladie n’aient pas à endurer la même chose que nous. Je ne souhaite à aucun futur patient une telle solitude.»

Un diagnostic difficile

Un rapport du Conseil supérieur de la Santé (CSS) de 2020 affirme que le syndrome de fatigue chronique (l’EM/SFC) est un sujet controversé, mais qu’il n’est pas d’origine purement psychologique. Le CSS ne recommande pas l’application systématique de la thérapie cognitivo-comportementale et de la thérapie par l’exercice graduel comme traitement, en raison de leur efficacité douteuse. Il souligne, en outre, le risque d’effets néfastes potentiels de l’exercice thérapeutique. Le CSS met l’accent sur l’importance de l’exercice physique adapté aux capacités du patient.

Le Centre de diagnostic multidisciplinaire pour l’EM/SFC de l’UZ Leuven, le seul du pays, reconnaît dans un rapport d’évaluation qu’il ne parvient pas à atteindre le groupe de patients atteints de la forme la plus sévère de la maladie, confinés au lit ou dans un fauteuil roulant. «Lorsque ces patients sont identifiés, il s’avère presque toujours trop difficile pour eux de venir à nous (ils ont besoin d’un fauteuil roulant, de lunettes de soleil, d’un casque, d’un accompagnateur…). Nous sommes contraints de les orienter vers un établissement résidentiel, mais en raison de la gravité de la situation et de la crainte de ne pas être compris (souvent à la suite de mauvaises expériences passées), ces patients ne donnent presque jamais suite à cette proposition.»

Bien que le nombre exact de ces patients ne soit pas connu, le rapport mentionne un nombre significatif d’entre eux qui n’ont pas un accès suffisant à des soins adaptés et nécessaires.

30 000

personnes seraient atteintes d’encéphalomyélite myalgique en Belgique.

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