« On sent qu’il y en a qui attendent trop », les galères des généralistes depuis le début de la pandémie

Eglantine Nyssen
Eglantine Nyssen Journaliste au Vif, multimedia editor

Audrey Bonnelance est généraliste à Bruxelles, et administratrice au GBO, le syndicat des généralistes francophones. Covid oblige, son quotidien a été bouleversé. Elle voit moins de visages, plus son téléphone et son ordinateur.

« Cabinet médical, bonjour. » Il est 8 heures, il fait encore noir et Anne, ancienne infirmière devenue secrétaire médicale, a déjà son casque vissé sur la tête. Peu importe où elle va, il l’accompagne. « Votre enfant tousse, vous préférez reporter son rappel de vaccin ? Attendez, je regarde une prochaine disponibilité. Mardi, 15h40, ce serait bon pour vous ? »

« Heureusement qu’elle est là. » Audrey Bonnelance vient d’arriver au cabinet. Quand cette médecin généraliste à Woluwe-Saint-Pierre s’est lancée en février 2013, elles étaient deux. Maintenant, elles sont trois médecins et deux assistants. Engager une secrétaire, et même deux depuis le Covid, était pour elle une obligation. « Si on tient le coup, c’est aussi grâce à elles. Elles se sont plongées dans les règles Covid dès le premier jour, ont fait suivre les organigrammes, on a des guides… Je comprends que le médecin solo, il ne sache pas faire tout ça en plus. »

Sonneries

Aujourd’hui, c’est un jour « normal » pour Audrey Bonnelance. Les médecins du cabinet ont organisé une alternance de matinées et de soirées. Deux jours par semaine plus ou moins, elle commence tôt, deux autres jours elles finissent plus tard et le dernier est un jour normal. Enfin, normal… « Un peu spécial quand même, parce que j’ai une réunion de défense professionnelle, et cet après-midi je vais donner un séminaire. » « Je fais beaucoup de choses en plus parce que je trouve que c’est ça qui rend métier super intéressant. Depuis toujours je me suis investie dans le scientifique, les défenses professionnelles, l’enseignement. »

Son téléphone sonne. Elle ne décroche pas. « Ça, c’est le grand grand luxe, je ne décroche que quand je vois que c’est mon assistante ou ma secrétaire qui m’appelle. Sinon, non. Parce que je m’en suis donné les moyens. Sinon c’est impossible, il y a trois lignes quasi tout le temps. »

Son gsm sonne. Un message. Là par contre, la docteure regarde. « Le grand changement avant-après, c’est la multiplicité des canaux. Avant, quand un patient avait une demande, on disait ‘prenez rendez-vous’. Point. Maintenant, il y a toute une série de patients qui ont peur d’aller chez le médecin, ou qui n’osent pas déranger parce qu’ils lisent partout que les généralistes sont débordés. Ça, on l’entend souvent. ‘Je n’ai pas osé vous déranger mais quand même j’ai un souci donc je vous envoie un mail’, ou ‘je vous envoie un sms’ ou alors, c’est un appel. » (Pas les Whatsapp, ça la docteure Bonnelance y tient, c’est pour le privé.)

Rendez-vous téléphoniques

Elle prend le temps de regarder son planning du jour. En bleu, ce sont les rendez-vous en présentiel, en gris les consultations téléphoniques. Parce que oui, il y a des espaces réservés au téléphone dans sa journée. Principalement pour des rendez-vous liés au covid : résultats, quarantaines, vaccins… « On les planifie parce que sinon, c’est ingérable. La secrétaire fixe des rendez-vous téléphoniques. On n’avait jamais ça auparavant, c’est tout nouveau. Avant la crise sanitaire, il y avait aussi des consultations libres avec des tranches libres, maintenant plus du tout. »

Elle fait défiler les mois de son agenda vers le passé. Février 2020. « Les patients en vert, ce sont des libres. On avait une accessibilité plus performante. Quand je n’avais plus de place, la secrétaire pouvait toujours dire au patient ‘venez à la libre le soir’. Je vidais la salle d’attente. Je restais jusque tard mais tout le monde était vu. »

Parfois des consultations téléphoniques s’ajoutent dans les rendez-vous, « parce qu’il n’y a plus assez de place ». « Il reste quand même le souci de ne pas faire venir le patient si ce n’est pas strictement nécessaire. Et cela est resté dans la culture des patients et des soignants. Un frein s’est installé. Du coup, les consultations sont plus complexes qu’avant. Le patient ne vient plus juste pour un vaccin. Il ne voulait pas nous déranger. Il a attendu que sa liste soit bien longue. Ça, c’est plus difficile. On sent qu’il y en a qui attendent trop. Et certaines choses qui ne sont pas prises tout de suite, c’est plus compliqué à guérir, à résoudre. On a aussi moins de place pour la prévention. » Il y a des rendez-vous téléphoniques le soir aussi. Mais ça, c’est pour plus tard.

Heureusement, cette semaine toute l’équipe est présente. Et ses enfants sont à l’école. « Avec cette crise, le moindre couac, c’est plus difficile à gérer. La semaine dernière j’étais en consultation, mon mari et ma maman n’étaient pas là et j’ai eu un appel de l’école parce qu’il y a deux cas dans la classe. » Le cabinet a connu une période plus compliquée. Une collègue en congé de maternité, puis deux médecins testés positifs, quarantaine, elle malade pendant quelques jours.

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Diminuer l’angoisse

Sur son bureau, Audrey Bonnlance garde le guide créé par le cabinet. Un guide mis à jour régulièrement avec les liens et les bonnes pratiques pour prendre rendez-vous pour un test, pour demander un code, etc.

La pédagogie fait partie inhérente de son quotidien. Et autant dire que l’explications des mesures Covid prend du temps. « Déjà pour nous c’est compliqué. Ça vient de changer mais c’était quand ? Ils ont changé les règles dans la presse mais pas encore sur Sciensano. Donc qu’est-ce que je dois dire au patient ? Je ne sais plus. Je prends ma fiche du coup. Ok je lui dis qu’il doit faire son test le cinquième jour. « Oui mais le tracing m’a dit que c’était demain. Mais quand je me connecte, je n’arrive pas à prendre rendez-vous. » C’est que ce système informatique est déjà à jour mais que la personne du tracing est encore avec les anciennes règles. « Oui mais j’ai fait un test rapide, on m’a dit d’aller faire un test PCR et quand je veux prendre rendez-vous et que j’introduis mon code, il est périmé. » Fin bref. Ça ce n’est pas évident, parce que vous devez vraiment être très à jour et très sûr de vous pour essayer de diminuer l’angoisse chez les gens due aux informations contradictoires. » « Je pourrais écrire un livre sur ces deux dernières années », rajoute Anne. « Si vous appelez au testing, vous aurez sept personnes différents en ligne et autant d’avis différents. Et puis il faut penser aux personnes plus âgées. Pour prendre rendez-vous pour se faire vacciner, il faut rentrer un code, des majuscules, des minuscules, des chiffres…Parfois je m’en occupe pour eux. »

Pas toujours facile non plus quand on n’adhère pas toujours à ces mesures et qu’on y est pas souvent associé. « Il y a beaucoup de résilience. C’est comme ça. On ne comprend pas toujours les règles. Mais on doit les appliquer. Ce n’est pas toujours évident. Parce qu’on n’adhère pas toujours. Alors expliquer quelque chose à quelqu’un qui ne comprend pas ou qui n’a pas envie de comprendre alors que vous n’êtes pas totalement en adéquation, ça rajoute des difficultés. »

Retour vers le généraliste

Une pensée remet le sourire sur le visage d’Audrey Bonnelance. La confiance des citoyens envers les généralistes. Même si, elle l’admet, elle remarque une impatience grandissante chez les patients. « On est quand même toujours le référent du patient et c’est extraordinaire, c’est pour ça qu’on fait ce métier. Quand il y a quelque chose qui l’angoisse ou qu’il ne comprend pas, il va toujours appeler son généraliste. La crise a montré que le généraliste avait vraiment une place importante dans le système de soins du patient. On l’a remarqué plus qu’avant encore. La grande satisfaction, c’est qu’on a senti qu’on était indispensable à la population. Je pense qu’aujourd’hui plus qu’avant. »

Après ses consultations, et son séminaire, viendra le moment d’aller chercher les enfants. « Je tiens le coup parce que j’ai énormément d’aide pour mes enfants. J’ai une maman super présente, un mari qui m’aide beaucoup. C’est une demande très forte de la jeune génération, de pouvoir combiner vie privée et vie professionnelle. Encore plus la génération Z que la mienne. C’est très cliché mais avant le médecin, souvent un homme, restait constamment à l’étude, et sa femme s’occupait de tout à la maison. Maintenant, la profession se féminise et les médecins ont des conjoints qui travaillent, parfois même plus qu’eux (rires). »

Après sa journée, elle trouvera encore du temps pour prendre sa casquette de cheffe d’entreprise: commander des masques, répondre aux stagiaires, calculer ses charges, appeler le plombier pour purger le chauffage. « On se met quand même une demi-journée de repos, de break durant la semaine pour tenir le coup. Mais très souvent cette demi-journée se transforme en administratif, cabinet ou gestion. » Puis caler encore quelques rendez-vous téléphoniques. « Il faudrait énormément investir dans la première ligne et cette pandémie l’a montré. Il faut valoriser les infirmiers, valoriser les généralistes. Et tous les gens qui sont en première ligne pour éviter que cela arrive après dans les hôpitaux. Mettre des outils informatiques en soutien ça ne résout pas tout. Parce qu’une fois sur deux le patient reviens vers nous, il ne sait pas comment remplir le document, et c’est notre fonction de l’aider. Il n’y a pas que le formulaire. »

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