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La fatigue, majorée au moindre effort, compte parmi les symptômes les plus fréquents du Covid long. © BELGA IMAGE

Le Covid long, l’angle-mort de l’épidémie: ses symptômes, ses victimes, ses mystères (décryptage)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

On les appelle les « malades long-courriers ». Ils ne sont pas passés par l’hôpital, n’ont pas développé de forme grave du Covid-19 mais, des mois après leur infection, ils souffrent toujours de symptômes, parfois très handicapants. Le Covid long n’est toujours pas reconnu comme une affection de longue durée, au grand dam des malades.

Deux ans après le début de la pandémie, le Covid long reste un mystère. Pourtant habitués à observer des symptômes postinfectieux, les médecins avaient été déroutés par l’arrivée, à partir de mars 2020, de patients présentant toujours le même tableau clinique plusieurs semaines après avoir été infectés par le Sars-CoV-2: une fatigue intense, des maux de tête, une faiblesse musculaire, des reflux, une tachycardie, des troubles de la mémoire, de la concentration, de l’élocution, de l’humeur…

Si l’expression « Covid long » est d’abord apparue sur les réseaux sociaux, sa définition vient enfin de faire l’objet d’un consensus international.

Si les spécialistes y voient un peu plus clair sur les contours du Covid long et constatent que « la grande majorité des patients évoluent favorablement, de nombreux points restent en suspens« , indique la Dr Tatiana Besse-Hammer, cheffe de clinique à l’unité de recherche clinique au CHU Brugmann. Elle est l’une des premières à recevoir des malades de longue durée, dès mars 2020 – rompant ainsi avec la position de certains confrères considérant qu’il s’agit de manifestations post-traumatiques. Comme Anne-Sophie Spiette, qui vient d’intégrer le programme de la Dr Besse. Toujours pas débarrassée des effets du Sars-CoV-2, elle se plaint d' »épuisement », de « troubles de la mémoire, de la concentration » et de « tremblements », presque deux ans après avoir contracté le virus, qui s’était alors traduit par de fortes douleurs à la poitrine, de la fièvre, de la fatigue, des céphalées. Pour cette éducatrice auprès de déficients mentaux adultes de 38 ans, la gêne respiratoire a disparu ; les troubles neurocognitifs et les tremblements, en revanche, sont apparus plusieurs mois après la phase aiguë. Anne-Sophie Spiette a toutefois repris le travail à temps plein en avril 2021. « Mais j’ai beaucoup de mal à supporter les stimuli, les bruits, les lumières trop fortes. Ce qui génère une grande fatigabilité. » Et hélas, en janvier dernier, des céphalées l’ont conduite à l’hôpital durant deux semaines à cause d’une rechute.

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Majoritairement des femmes

Combien de personnes infectées sont-elles dans le même cas? Difficile de connaître la prévalence exacte du Covid long. Les données épidémiologiques restent très variables selon les sources. Mais des études montrent qu’au moins un patient sur sept souffre encore de symptômes six mois après l’infection(voir infographie ci-dessous). Trois mois après le diagnostic, près d’un patient sur deux (47%) déclare garder un symptôme et 34% au moins deux symptômes, estime une étude de l’institut de santé publique Sciensano, à partir des données de santé de près de 1 700 Belges.

Le Covid long semble concerner majoritairement des femmes, des personnes sans facteurs de risque de forme grave, mais qui ont développé des symptômes lors de l’épisode initial, des sujets plus jeunes (en moyenne, entre 40 et 45 ans) que ceux à risque de développer un Covid-19 sévère. Sa définition vient enfin de faire l’objet d’un consensus international.

Le Covid long, l'angle-mort de l'épidémie: ses symptômes, ses victimes, ses mystères (décryptage)

L’expression « Covid long » apparaît d’abord sur les réseaux sociaux, à travers des témoignages de patients, dès le printemps 2020. Il sera repris plus tard par les revues scientifiques. En Belgique, dès juin 2020, sur Facebook, des groupes voient le jour, comme « Les oubliés du Covid long en Belgique » ou « Covid long, nous existons ». D’autres, comme « Covid-19 Forme longue de la maladie », suivront. Les initiatives se traduiront, cette année, par la création d’une association de patients. Le terme de « long haulers » (« long-courriers ») est aussi utilisé aux Etats-Unis. Certains préfèrent les expressions « symptômes post-Covid-19 », « Covid-19 postaigu » ou encore « syndrome de Covid-19 chronique ».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a retenu le terme de « Covid long » et le définit par trois critères: une « histoire probable ou confirmée d’infection au Sars-CoV-2 », avoir des symptômes « durant au moins deux mois » et qui se développent « habituellement trois mois après le début du Covid-19 » et « non expliqués par un autre diagnostic ». Ce dernier point est fondamental et il importe d’explorer toutes les pistes afin d’écarter d’autres maladies, préviennent les médecins.

En Belgique, dès juin 2020, sur Facebook, des groupes voient le jour, comme
En Belgique, dès juin 2020, sur Facebook, des groupes voient le jour, comme « Les oubliés du Covid long en Belgique » ou « Covid long, nous existons ». D’autres, comme « Covid-19 Forme longue de la maladie », suivront.

Des symptômes polymorphes

Ces symptômes sont ainsi à distinguer des complications des personnes après une hospitalisation ou des séquelles consécutives à un séjour prolongé en réanimation.

Chez ces patients, un trouble de stress post-traumatique peut aussi être observé dans environ 20% des cas. « Ce syndrome comporte à la fois des manifestations physiques, psychologiques et cognitives – faiblesse musculaire extrême, pertes de mémoire, difficultés à s’exprimer, entre autres », indique un rapport du Centre supérieur de la Santé.

Le Covid long est également à distinguer de manifestations psychosomatiques ou d’états dépressifs. « Au départ, des psychiatres nous ont rapporté des cas de troubles post-traumatiques chez des patients infectés par le Covid-19 qui leur semblaient proches de ce qu’ils avaient observé chez des victimes des attentats de Bruxelles », rappelle Tatiana Besse-Hammer. Quand, à leur sortie d’hôpital, la médecin revoit ces patients, elle s’entend dire « non, nous allons bien, nous n’avons besoin de rien ». Son unité lance alors un appel sur Facebook. Les témoignages de personnes affluent, qui présentent des séquelles différentes de celles observées chez des patients hospitalisés, des symptômes qui durent, des patients qui ne sont pas passés par l’hôpital, n’ont pas été oxygénés, n’ont pas eu de formes graves. Leurs scanners et leurs IRM ne montrent d’ailleurs rien d’anormal. Pour objectiver leurs troubles, l’équipe du Dr Besse décide de pratiquer une scintigraphie par perfusion cérébrale, un examen qui permet d’évaluer les connexions entre les neurones. « Là, on s’est aperçus que des zones spécifiques du cerveau ne fonctionnaient plus chez ces patients. Surtout, ces zones ne sont pas les mêmes que celles observées lors d’une dépression. Aujourd’hui, grâce aux échelles d’évaluation neurologiques et aux imageries, on sait que l’encéphalopathie post-Covid diffère de la dépression. » Les images correspondraient à celles d’un accident vasculaire cérébral (AVC), d’atteintes cérébrales, voire d’un syndrome dysautonomique cérébral – c’est-à-dire un dysfonctionnement des fonctions autonomes du corps, comme la respiration, la régulation à l’effort, de la température corporelle, du rythme cardiaque, de la digestion… En quelques mois, la consultation du CHU Brugmann croule sous les demandes.

Les symptômes du Covid long sont polymorphes, tantôt persistants, tantôt nouveaux, parfois fluctuants, souvent déclenchés par des efforts physiques ou intellectuels. Ainsi, Muriel Bas, 47 ans, a eu un Covid-19 modéré en octobre 2021. « Il s’est déclaré comme une grosse grippe. La fatigue était importante, avec des maux de tête et un essoufflement à l’effort. » Quatre mois après l’infection, la dyspnée respiratoire a disparu, mais restent la fatigue, toujours très présente, des migraines qui se sont aggravées et l’apparition de douleurs musculaires fulgurantes, des avant-bras jusqu’à la nuque. « Je me lève avec ces douleurs le matin. Elles persistent toute la journée et, parfois, s’amplifient le soir. »

Au total, des dizaines de symptômes ont été répertoriés. La fatigue, majorée au moindre effort, est le plus fréquent. S’y ajoutent une anosmie (perte de l’odorat), une agueusie (perte du goût), des troubles de la mémoire, de l’humeur, une désorientation, des symptômes cardiovasculaires (dyspnées, tachycardies…). Mais, également, des symptômes digestifs, intestinaux, cutanés, des sensations de brûlures, de fourmillements le long des membres, des insomnies… « Ils évoluent par poussées, entrecoupées, parfois, de périodes d’accalmie », décrit Tatiana Besse-Hammer.

Les patients parlent de « brouillard cérébral ». « Ils n’arrivent plus à suivre une conversation, quelque fois même à parler ou à écrire. Ils ont du mal à effectuer deux activités intellectuelles en même temps », constate la spécialiste.

« J’éprouve des difficultés à m’organiser, à planifier. Je dois me servir de check-lists, afin de cocher les cases au fur et à mesure. Par exemple, il m’arrive d’oublier ce que je fais dans la cuisine ou dans la salle de bains. Je ne me reconnais plus », avoue Muriel Bas. Elle qui était active a dû arrêter son travail. « Je vis au ralenti et je ne peux rien prévoir. C’est long, c’est difficile de ne pas savoir si on récupérera tout. »

Beaucoup de questions en suspens

Pourquoi ces troubles se manifestent-ils encore des mois après? D’où viennent-ils? Combien de temps dureront-ils? Pour l’instant, on ne connaît pas le mécanisme physiopathologique et aucune piste ne fait encore consensus. Les questions restent d’ailleurs nombreuses. Pourquoi, par exemple, chez les Covid longs trouve-t-on un plus grand nombre de personnes ayant un terrain atopique ou allergique (une moyenne de 60% à 80%, contre une moyenne de 30% à 50% en population générale)? Pourquoi existe-t-il une différence de genre, les hommes étant plus à risque de faire des formes graves, les femmes semblant plus à risque de souffrir de symptômes persistants dans la durée? Parmi les autres incertitudes, l’effet de la vaccination, qui pourrait réduire le risque de Covid long, ou les conséquences peut-être différentes de chaque variant. Au CHU Brugmann, si la liste d’attente ne se tarit pas, depuis quelques semaines, elle n’augmente plus. Ce qui fait penser qu’Omicron, provoquant des symptômes moins violents, n’entraînerait pas le même type de complications neurocognitives.

On s’est aperçus que des zones spécifiques du cerveau ne fonctionnaient plus chez ces patients.

Une certitude: le Covid long concerne non seulement une population différente mais présente également un mécanisme différent. Chez les « aigus », ceux qui ont connu un séjour en hôpital, leur évolution défavorable est liée à une décharge de cytokines (une hyperinflammation du système immunitaire) qui agresse le cerveau, le rendant plus vulnérable. En plus des conséquences inflammatoires de l’infection, les cytokines laissent des séquelles – comme il y a des séquelles pulmonaires ou cardiologiques – qui augmentent le risque de pathologies psychiatriques. Pour les Covid longs, l’hypothèse d’une maladie autoimmune ou d’une réponse immunitaire inappropriée, avec des mécanismes immunologiques proinflammatoires qui favoriseraient ces syndromes post-Covid-19 chroniques, ne semble plus être étudiée, à ce jour.

Pour décrire leur état, les victimes d'un Covid long parlent souvent d'un
Pour décrire leur état, les victimes d’un Covid long parlent souvent d’un « brouillard cérébral », qui les empêche de suivre une conversation, quelque fois même de parler ou d’écrire.© GETTY IMAGES

L’hypothèse actuelle est celle d’une atteinte endothéliale, cette fine couche de cellules qui forme le revêtement interne des vaisseaux et qui sont donc au contact direct avec le sang, par le virus. « Il existe, en effet, des récepteurs au niveau pulmonaire, des bulbes olfactifs, des artères aussi: des lésions se produiraient là », détaille le Dr Tatiana Besse-Hammer. Mais ce n’est pas tout, des anticorps antiendothéliales se développeraient, entraînant une anoxie, soit une diminution de la quantité d’oxygène que le sang distribue aux tissus et provoquant ce que les spécialistes appellent des « microthrombi » – la formation de multiples petits caillots. « Or, le tissu neurologique étant le plus sensible à l’anoxie, l’hypothèse demeure cohérente. »

Quelles qu’en soient les causes, les patients présentent bien des atteintes neurologiques. Pour l’heure, il n’existe aucun traitement. Les médecins ne peuvent pas proposer de médications spécifiques (qui soignent la maladie) aux patients, mais seulement des traitements symptomatiques. A cela, s’ajoute une prise en charge passant par une revalidation neurologique, qui permet a priori de réduire le temps de récupération. « Au bout de trois mois, des patients nous disent qu’ils peuvent enfin conduire leur voiture », commente la médecin, qui rappelle que les patients, après quelques mois, récupèrent et ont une évolution favorable.

Les effets à long terme d’infections par d’autres coronavirus, notamment le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), apparu en 2003, ou le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), ont déjà été décrits. Ces symptômes sont également dépeints après différentes infections virales (notamment les infections à virus d’Epstein-Barr ou la mononucléose), mais aussi bactériennes, comme la tuberculose, la brucellose ou la maladie de Lyme. Les virus tropicaux, comme la dengue ou le chikungunya, peuvent, eux aussi, provoquer une fatigabilité anormale et des douleurs musculaires durant plusieurs mois.

Pour autant, pour le Sars-CoV-2, les symptômes semblent plus intenses, plus nombreux et plus durables, avec un retentissement majeur sur la vie privée, sociale et professionnelle. Muriel Bas livre ainsi qu’elle a « l’impression, parfois, de ne pas être crue. Ce sont des douleurs que l’entourage ne voit pas. Les proches pensent qu’on exagère ou qu’on ne se soigne pas… »

Des malades en quête de reconnaissance

Un pas a été franchi, le 3 mars 2021, à la Chambre, lorsque les députés ont adopté à l’unanimité la proposition de résolution sur le Covid de longue durée. Ce texte n’est pas contraignant pour le gouvernement mais pose quelques principes, comme l’importance de proposer un parcours de soins adapté et de faciliter la reconnaissance de la maladie. Dans la foulée, le gouvernement avait demandé un rapport au Conseil supérieur de la santé (CSS), notamment par l’étude de cohortes de patients. En octobre dernier, l’organe recommandait ainsi une prise en charge spécifique, indemnisée et accessible pour les Covid longs, soit des revalidations fonctionnelles, pulmonaire et neurocognitives. Un vote symbolique? Car, depuis, rien. « Nous avons déployé une énergie monstrueuse, les députés sont tous favorables, mais aucune décision n’est prise au cabinet du ministre de la Santé. C’est l’attente, encore », indique Anne-Sophie Piette.

On est d’ailleurs encore loin d’une reconnaissance du Covid long en maladie de longue durée, qui permet le remboursement des soins à 100%, même s’il est possible de bénéficier du maximum à rembourser. « En réalité, chaque citoyen peut le demander. Il n’y a là rien de concret pour les malades et la reconnaissance de la pathologie. Depuis 2020, le Covid-19 peut également être reconnu comme maladie professionnelle, mais sous certaines conditions. Cette prise en charge est automatique pour les soignants et le personnel paramédical. Pour les autres, la décision doit remplir plusieurs conditions assez complexes à démontrer et relève, selon les patients, du parcours du combattant.

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