L’arrondi solidaire, un don de quelques centimes qui fait la différence? « Il ne faut pas être naïf, mais… »
Certaines enseignes comme Carrefour ou McDonald’s proposent d’arrondir le ticket de caisse à l’euro supérieur, « pour la bonne cause ». Elles soutiennent des associations, dans un geste autant commercial que généreux.
Proposer aux clients d’une enseigne d’arrondir à l’euro supérieur leur ticket de caisse « pour la bonne cause ». Voilà le principe de l’arrondi solidaire, formule de micro-don encore trop peu connue du grand public. « J’applaudis ce genre d’initiative, car c’est une forme de don accessible à tout le monde. Chacun peut contribuer à l’effort collectif, et ce peut être un premier pas dans l’engagement pour les jeunes », affirme Ludwig Forrest, conseiller en philanthropie auprès de la Fondation Roi Baudouin. En Belgique, l’institution accompagne les entreprises qui seraient intéressées par l’arrondi solidaire.
Une manière de faire de la philanthropie qui a son petit succès en France et au Royaume-Uni, mais tarde à éclore en Belgique. « On manque d’un acteur qui prenne le sujet en charge », déplore Ludwig Forrest. Un constat partagé par la Croix-Rouge de Belgique, qui estime que l’arrondi solidaire est jusqu’ici surtout utilisé dans des contextes d’urgence. « Pour qu’un tel don fonctionne, il faut qu’il fasse l’objet d’un réel partenariat avec les entreprises, d’un engagement sur la durée ». Ce type de micro-don ne représente que 10% du montant total des dons récoltés pour l’association de lutte contre le cancer du Sein Pink Ribbon (via Carrefour). Pour la Croix-Rouge de Belgique, ça ne dépasse pas le petit pour cent.
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Qui bénéficie de l’arrondi solidaire?
Une somme que l’ONG reçoit de Carrefour Belgique, son partenaire. « On propose aux clients d’arrondir leur ticket de caisse à l’euro supérieur afin d’apporter une contribution importante à une bonne cause avec quelques centimes », explique la chaine de supermarchés. Concrètement, Carrefour met en place deux types d’action : le soutien d’urgence (470.000€ récoltés pour les victimes des inondations en Belgique, 270.000 pour les réfugiés ukrainiens), en partenariat avec la Croix-Rouge, et le support à des partenaires de longue durée comme Pink Ribbon.
90.000 euros ont ainsi été récoltés en octobre dernier pour l’association de lutte contre le cancer du sein. Moins que les années précédentes : 120.000 euros en 2022, 450.000 en 2021. Il n’existe pas encore en Belgique de chiffres globaux sur l’arrondi solidaire et les micro-dons.
« Les clients sont méfiants en sortant de la caisse »
Pietro Zidda, chercheur en marketing (UNamur)
Le chercheur de l’UNamur Pietro Zidda a travaillé sur ce sujet. Ce spécialiste du marketing et du management a travaillé sur les points fidélités en caisse, système semblable à celui de l’arrondi solidaire. « Les résultats d’une telle opération ne sont pas concluants. Les clients étaient méfiants en sortant de la caisse, car ils n’avaient pas eu le temps de réfléchir avant d’arrondir. On a remarqué aussi que les gens n’étaient pas toujours bien informés. Pour que ça fonctionne, il faut qu’une campagne de communication soit mise en place ».
Quel intérêt pour les entreprises de favoriser l’arrondi solidaire?
Si son apport financier reste limité, l’arrondi solidaire serait une façon privilégiée de se faire connaitre aux yeux du grand public pour les associations qui en bénéficient. Mais pas à n’importe quel prix. Du côté de la Croix-Rouge, les partenariats avec les entreprises doivent respecter une charte. Traduction : on ne s’associe pas avec un acteur qui pourrait aller à l’encontre de la cause prônée par l’association.
Et pour les entreprises, quel intérêt d’instaurer ce genre d’opération philanthropique ? « Cela leur permet de s’engager pour l’intérêt général, explique Ludwig Forrest. Mais cela doit s’inscrire dans une vision plus globale au sein de l’entreprise ». « S’engager pour des œuvres caritatives peut permettre à une entreprise de redorer son blason auprès du personnel », note pour sa part Pietro Zidda. Gare aux éventuelles incohérences entre l’image de l’entreprise aux yeux du public et son engagement sociétal affiché. « Il faut que l’action soit congruente avec le positionnement de l’entreprise, confirme l’expert en marketing. Sinon, l’impact peut s’avérer contre-productif, et porter atteinte à l’image de marque ».
« Je ne vois pas ce que l’arrondi solidaire pourrait faire de mal »
Ludwig Forrest, conseiller en philanthropie à la Fondation Roi Baudouin
McDonald’s: « Certains qualifieront l’opération de greenwashing »
Le chercheur en marketing prend l’exemple de McDonald’s. L’enseigne de fast-food propose l’arrondi solidaire à ses bornes, afin de permettre aux parents d’enfants malades d’être à leurs côtés. Une campagne portée en Belgique par le Diable Rouge Kevin De Bruyne et son épouse Michèle. « Le problème, c’est que l’image de McDonald’s n’est pas bonne. Certains qualifieront l’opération de greenwashing, quand d’autres la considéreront simplement comme inutile. Et ce, alors que ce genre de démarche est toujours positif ». « Il ne faut pas être naïf, mais je ne vois pas ce que l’arrondi solidaire pourrait faire de mal, complète Ludwig Forrest. À part si une entreprise investit trop dans la communication autour de l’opération en comparaison de ce qu’elle lui rapporte ».
La pauvreté et la faim dans le monde restent les causes préférées des entreprises
Reste une question : les entreprises favorisent-elles certaines causes ? D’après l’entreprise microDON, 60% des associations bénéficiaires œuvrent pour réduire la pauvreté, 55% pour mettre un terme à la faim dans le monde, et 37% pour la santé et le bien-être. Avec 5% des associations, la lutte contre le changement climatique occupe le bas du classement.
Qu’en conclure ? Que les entreprises récoltent des dons pour les causes les plus rassembleuses, moins nuisibles à leur image de marque ? « Dans la littérature scientifique, il y a deux visions des choses, pose Pietro Zidda. D’un côté, ceux qui pensent le rôle d’une entreprise n’est pas de collecter des dons pour une association, mais d’assurer le paiement du salaire à ses employés. De l’autre côté, on retrouve ceux qui disent que Carrefour, par exemple, touchera beaucoup plus de monde que la Croix-Rouge et que donc l’arrondi solidaire a sa place dans une entreprise. Dans ce cadre, on peut comprendre qu’un supermarché cherche une cause qui intéressera le plus grand nombre et ne heurtera pas sa clientèle ».
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