Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Quand les hommes racontent un viol comme une anecdote drôle

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Les hommes sont-ils violés par des femmes? (Très) rarement. Mais ça arrive. S’ils s’en rendent compte: ceux qui subissent des rapports sexuels non consentis ont tendance à évoquer cela comme une anecdote drôle. Emprisonnés dans ce mythe de la sexualité masculine insatiable.

Matthieu (1) venait de se séparer de son épouse (temporairement, mais ça, il ne le savait pas encore) et, bon, il avait comme qui dirait l’envie de tremper son biscuit dans le plus de tasses possible. Il en avait ramené une chez lui, après une soirée où il n’avait pas affonné que du thé, tant et si bien qu’il s’était endormi dans le canapé avant de pouvoir l’honorer. Jusqu’à ce qu’il soit réveillé par une sensation… étrange. La demoiselle avait visiblement eu envie de gober un biscuit.

Lui, vu son état comateux, aurait davantage souhaité vomir que déguster, mais il s’était laissé faire, aime-t-il à raconter mi-rigolard, mi-vantard. Décrire comment une femme («quelle dingue!») vous a «sauté dessus», ça fait toujours mouche face à une assemblée masculine.

Mais si les rôles avaient été inversés? Si un homme avait enlevé la culotte d’une dame bourrée, endormie dans un fauteuil, pour la ramener à la conscience à coups de langue? Coucou, le consentement. L’agression sexuelle. Le viol.

C’est l’histoire d’un mythe. Celui de la sexualité masculine débridée, impulsive, insatiable.

Une enquête européenne, publiée le 16 avril, démontre que près de 10% des femmes ont subi des violences sexuelles (durant l’enfance ou à l’âge adulte), contre moins de 3% des hommes. Au sein du couple, plus de 7% des 5.800 répondantes belges déclaraient avoir subi une tentative de viol ou de violence sexuelle de la part d’un (ex-)partenaire; la proportion du côté masculin était tellement faible qu’elle se situait sous le seuil de diffusion.

«Etre une femme en Belgique signifie être surexposée à la violence», résume cette étude (comme toutes les autres sur cette thématique). Bien plus qu’être un homme, rien ne pourrait remettre ça en question. Ni le fait que les agresseurs (de filles comme de garçons), dans leur immense et écrasante majorité, appartiennent au genre masculin.

Mais les hommes aussi, parfois, rarement, sont violés par des femmes. Sauf que les stéréotypes de genre les empêchent de s’en rendre compte. C’est l’histoire d’un mythe. Celui de la sexualité masculine débridée, impulsive, insatiable. Celui d’une disponibilité continue, d’une envie permanente, d’un garde-à-vous perpétuel. Selon un sondage réalisé par Amnesty International Belgique en 2020, le stéréotype «sexualité masculine = pulsions incontrôlables» était le plus partagé parmi les répondants: 38% des hommes approuvaient, pour 43% des femmes.

Parfaite illustration de la persistance d’un modèle hétérosexiste, comme le nomme la philosophe Manon Garcia, autrice de La Conversation des sexes (Flammarion, 2021). Où tout le monde pense, en somme, «que les hommes veulent sans cesse du sexe, qu’ils ne peuvent pas s’en empêcher, et qu’il revient aux femmes – que l’on présume vouloir de l’amour plutôt que du sexe – de les arrêter ou de les laisser faire», écrivait-elle dans une tribune au Monde, publiée en décembre 2023. Ajoutant: «Les hommes [dans cette vision] ne peuvent pas être violés, les femmes ne peuvent pas être à l’origine d’un rapport sexuel, et seul le comportement des femmes – leur refus ou leur accord – distingue le sexe du viol.»

Ainsi sont-elles éduquées. Dans l’idée que leur corps est une offrande, leur intimité un cadeau à faire déballer. Et que pour plaire, elles doivent satisfaire. Toujours. Quitte à s’affairer sur le membre d’un partenaire endormi. Qui, lui, se sentira obligé d’accepter ce supposé présent comme un biscuit tombé du ciel en pleine famine. Quitte à ensuite raconter à ses potes en rigolant (voire en se vantant) cette anecdote qui se résume, en fait, en un seul mot: viol.

(1) Le prénom a été modifié.

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