En Wallonie, le nombre de places en crèche a chuté en trois ans, passant de 34.300 en 2019 à 32.543 en 2022.

Est-il facile de trouver une place en crèche dans votre commune? Faites le test avec notre carte interactive

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Entre 2019 et 2022, la capacité d’accueil pour la petite enfance a diminué en Wallonie. Alors que le manque de places était déjà criant, les crises successives ont poussé de nombreuses crèches indépendantes à mettre la clé sous le paillasson. Les effets du «Plan Cigogne», censé élargir le réseau, tardent à se faire ressentir.

C’est un casse-tête qui incombe à tous les jeunes parents, parfois même de longs mois avant la naissance de leur progéniture. Trouver une place en crèche s’apparente aujourd’hui à un véritable parcours du combattant. Selon le Baromètre 2024 de La Ligue des Familles, publié mi-avril, plus de six parents sur dix ont éprouvé des difficultés à trouver une solution de garde pour leur bambin en 2023. Avec des conséquences non négligeables sur le bien-être et l’épanouissement professionnel: ainsi, plus d’un parent sur quatre a été contraint de diminuer, voire de complètement arrêter de travailler faute de place dans une structure d’accueil. Sans surprise, ce sont les femmes qui font majoritairement les frais de cette pénurie: quand un enfant ne va pas à la crèche, c’est sa mère qui s’en occupe dans 53% des cas, contre 20% pour les pères.

La situation, déjà problématique, s’est empirée ces trois dernières années. En tout cas en Wallonie. Entre 2019 et 2022, le nombre de places d’accueil a significativement diminué, passant de 34.300 à 32.543 (-1757). Une chute particulièrement marquée dans les milieux d’accueil non subventionnés (par opposition aux milieux 100% publics, subventionnés par l’Office de la Naissance et de l’Enfance, l’ONE) où près de 2.000 places ont fermé en trois ans (lire plus loin). Le taux de couverture, soit le rapport entre le nombre total de places d’accueil et une estimation du nombre d’enfants en âge de les fréquenter, a forcément lui aussi diminué, passant de 38% en 2019 à 36,6% en 2022. Ce taux a toutefois positivement évolué en quinze ans: en 2006, il ne s’élevait qu’à 25,3%, soit un peu plus de 25 places d’accueil pour 100 enfants.

Le Hainaut à la traîne

De nombreuses disparités s’observent entre les provinces. C’est dans le Brabant wallon que le taux de couverture est le plus élevé (51,5%), suivi par Namur (40,9%) et le Luxembourg (40,9%), Liège (35,3%) et enfin le Hainaut (30,9%). S’il fait toujours la course en tête, le Brabant wallon a tout de même vu son taux de couverture baisser en trois ans. Car, contrairement au Hainaut ou à Liège, il comporte un pourcentage plus élevé (environ 40%) de structures non subventionnées, dont certaines ont fermé leurs portes depuis 2019. Ces différences s’expliquent par la capacité contributrice des parents: la participation financière demandée étant plus élevée dans les crèches «privées» que «publiques», il n’est pas étonnant que la part de ces premières soit plus importante dans les zones économiquement plus aisées, souligne l’Institut wallon de statistique (Iweps).

En Région de Bruxelles-Capitale, le bilan s’avère davantage positif. Avec un taux de couverture de 38,8%, la capitale n’est toujours pas la zone la mieux lotie du pays, mais elle revient de loin: moins d’un enfant sur quatre (23,3%) se voyait octroyer une solution d’accueil il y a dix ans. Contrairement à la Wallonie, le nombre de places dans la capitale (toutes structures confondues) n’a cessé de croître depuis 2019.

Les taux de couverture varient également fortement d’une commune à l’autre. Alors que Daverdisse (117,6%) et La Hulpe (106,4%) se distinguent par un nombre de places supérieur aux besoins de leur population, d’autres localités souffrent de pénuries criantes. C’est notamment le cas à Trooz (seulement 8 places d’accueil pour un taux de couverture de 4,1%) et à Manage (30 places, pour un taux de 4,8%). Avec un taux de couverture de 0%, Meix-devant-Virton faisait jusqu’ici office de lanterne rouge. L’ouverture, en 2023, de la toute première crèche sur le territoire de la commune devrait toutefois permettre à la localité luxembourgeoise de mieux se positionner lors des futurs recensements.

Une question de volonté politique

Ces disparités communales s’expliquent notamment par des ambitions politiques différentes. Si certains pouvoirs locaux font de la création de crèches une priorité, c’est loin d’être le cas partout. «La petite enfance est généralement le parent pauvre de la politique, observe Jean-François Husson, professeur de politiques familiales à l’UCLouvain. Simplement car les bébés ne votent pas, et que la proportion des personnes âgées est davantage représentée dans l’électorat que celles des jeunes parents.»

La création d’une crèche nécessite également des moyens importants, dont certains communes ne disposent pas, ou qu’elles préfèrent allouer à d’autres projets. Dès lors, la Fédération Wallonie-Bruxelles soutient les pouvoirs locaux dans l’ouverture de telles structures en leur octroyant des financements. C’est l’objectif du Plan Cigogne +5200, initié par la ministre de la Petite Enfance Bénédicte Linard (Ecolo) en collaboration avec l’ONE, qui vise à créer plus de 5.000 places subventionnées supplémentaires (2.100 à Bruxelles et 3.143 en Wallonie) d’ici 2026, principalement dans les communes aux taux de couverture les plus faibles. «Ces 5.200 places ne vont pas solutionner tous les problèmes de pénurie, car nous sommes dans un contexte très tendu, mais cela va significativement améliorer la situation», promet Sylvie Anzalone, porte-parole de l’ONE. Le problème, c’est que les effets de ce plan tardent encore à se faire ressentir. Ouvrir une crèche prend du temps: les travaux sont complexes, les démarches administratives encore plus. «Ce n’est pas garanti que toutes ces places pourront réellement être créées d’ici 2026, s’inquiète Damien Hachez, chargé d’études à la Ligue des Familles. Des mauvaises surprises dans la délivrance de permis d’urbanisme, par exemple, peuvent compromettre les plans de certaines communes

«La petite enfance est généralement le parent pauvre de la politique»

Jean-François Husson

Professeur de Politiques familiales à l’UCLouvain

Au-delà de sa création, la gestion d’une crèche s’avère également très complexe, notamment sur le plan financier. Les crises récentes (Covid-19, énergie) ont étouffé de nombreuses structures indépendantes. «Avec l’inflation, les loyers ont explosé, tout comme les coûts salariaux, expose Sylvie Anzalone. En parallèle, certains parents n’ont plus eu les moyens de faire garder leurs enfants dans ces établissements non subventionnés et se sont tournés vers le public.» Résultat des courses : des tas d’établissements privés ont été contraints de fermer leurs portes ces dernières années. «Nous avons tenté de trouver des solutions d’urgence avec les propriétaires, en cherchant des locaux plus abordables ou d’éventuels repreneurs, insiste la porte-parole de l’ONE. Mais toutes les crèches n’ont pas pu être sauvées. »

Des normes contre-productives?

Les difficultés de recrutement n’arrangent rien. «Le métier d’accueillante est extrêmement pénible», observe Damien Hachez. Les conditions de travail (charge lourde, horaires décalés, douleurs musculosquelettiques) combinées à des salaires peu valorisants peinent à attirer. «On se retrouve avec du personnel épuisé, voire sans personnel du tout, ce qui résulte en la fermeture des structures», résume M. Hachez.

L’élaboration de nouvelles normes de qualité (modification de la structure juridique, obligation de certains diplômes etc.), décrétées en 2019 par la réforme des milieux d’accueil, a également poussé certains établissements – incapables de satisfaire à ces impératifs - à mettre la clé sous le paillasson. «Je comprends l’objectif du gouvernement et de l’ONE, qui souhaitaient sortir le milieu de la petite enfance du secteur marchand, mais in fine, le résultat obtenu est contre-productif», regrette Jean-François Husson. «Améliorer la qualité de l’accueil sans imposer de normes contraignantes, c’est quasiment impossible», rétorque la porte-parole de l’ONE.

Enfin, la complexité institutionnelle du secteur de la petite enfance n’est pas de nature à optimiser son efficacité, souligne Jean-François Husson, qui plaide pour sa régionalisation. «Aujourd’hui, trois ministres compétentes (ndlr: Bénédicte Linard, en charge de la Petite Enfance à la Fédération; Valérie De Bue, responsable des infrastructures de la Petite Enfance à la Région; et Christie Morreale, en charge de l’Emploi dans ces structures à la Région) doivent intervenir dans le cadre des mêmes projets, déplore l’expert de l’UCLouvain. On n’est pas dans la version caricaturale des neuf ministres de la Santé, mais ce saucissonnage reste beaucoup trop lourd. Si nous voulons assurer une certaine cohérence, intégrons toutes ces matières dans un seul portefeuille plutôt que de jouer dans ce triangle institutionnel.»

De son côté, la Ligue des Familles plaide pour la création de 10.000 places supplémentaires dans les années à venir (en plus des 5.000 prévues dans le Plan Cigogne) afin d’atteindre un taux de couverture de 50% à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle appelle également à une revalorisation du métier de puéricultrice, en prévoyant notamment des aménagements de fin de carrière, et à un meilleur encadrement, en faisant respecter la norme d’un temps plein et demi pour 7 enfants.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire