Le Pilier fournit à la fois du matériel aux toxicomanes mais aussi un accompagnement aux personnes rencontrées lors de permanences ou de maraudes. © id/bart dewaele

Freddy, accro au crack, vient en aide aux toxicomanes à la rue: « Je veux faire des choses utiles »

Mathieu Colinet Journaliste

Le comptoir d’échanges de seringues accueille les toxicomanes à la rue. Si l’équipe propose du matériel stérile, elle tente aussi de créer des liens, prémices à un accompagnement.

C’est donc à cela que ressemble un comptoir d’échanges. Un local de plain-pied dans le centre-ville de Bruxelles, de grandes tables, des banquettes et des chaises et, pour qui veut, du café et des gaufres. Le Pilier a ouvert il y a trois ans, en plein Covid, porté par une équipe de l’association Modus Vivendi, qui a fait de la réduction des risques liés à l’usage des drogues un de ses chevaux de bataille et qui a estimé que, dans ce combat, un lieu supplémentaire dans la capitale où les consommateurs pourraient trouver du matériel stérile (seringues, pipes à crack, notamment) ne serait pas de trop. «On est idéalement situé, à deux pas du piétonnier, entre la gare du Midi et la gare du Nord», précise Gaël Dedonder, le responsable.

On essaie de leur apporter du bien-être. Le reste, c’est leur parcours, il leur appartient.

Ce dernier n’est pas seul ce jour-là. Deux de ses collègues, Pauline et Nicolas, sont aussi autour de la grande table. A eux trois, ce sont, cumulées, beaucoup de permanences à accueillir les sans-abri et à leur distribuer les kits de matériel, beaucoup de maraudes également pour aller à leur rencontre dans les couloirs du métro ou dans les recoins de la ville. Pour autant, quand on évoque leur connaissance de ce monde au carrefour de la précarité et de la toxicomanie, ils se la jouent modeste: «Vous savez, nous, notre expertise vient des gens de la rue», affirme Gaël Dedonder.

Comme beaucoup d’acteurs associatifs, les trois travailleurs font le constat jour après jour de l’omniprésence de la cocaïne et de son dérivé, le crack. Deux substances dont la consommation fait rage parmi les sans-abri de la capitale sans qu’on puisse déterminer clairement si c’est la drogue qui mène à la rue ou si c’est celle-ci qui conduit à la toxicomanie. «De ce que je vois, je crois que les deux chemins sont possibles», affirme Pauline. «On constate aussi beaucoup de problèmes de santé mentale. Mais, de nouveau, il est très difficile de dire si ceux-ci étaient préexistants ou si ce sont la rue et la drogue qui les ont provoqués», ajoute Gaël Dedonder.

«Pas là pour les juger»

Le Pilier fournit du matériel aux toxicomanes. Mais il fait bien davantage, en réalité. Il propose, dès que c’est possible, un accompagnement aux personnes rencontrées lors de permanences ou de maraudes. Autrement dit, les kits distribués sont aussi des tentatives pour établir le contact avec les sans-abri, gagner leur confiance avant d’entreprendre avec eux d’autres formes de démarches. «Parfois, on en croise certains pendant très longtemps sans que rien ne soit possible, raconte Pauline. Et puis, un jour, ils décident de passer nous voir et on peut alors tenter d’aller plus loin et d’initier un suivi pour les aider.»

Les trois travailleurs sociaux sont revenus de certaines illusions. A commencer, peut-être, par celle qui voudrait qu’il suffise à un consommateur de vouloir fermement décrocher pour y parvenir. «Je pense que dans leur tête, tous veulent arrêter, illustre Gaël Dedonder. Dans les faits, c’est évidemment beaucoup plus compliqué. Pour autant, on n’est pas là pour les juger. On essaie de leur apporter du bien-être dans cette vie extrêmement difficile qui est celle de la rue. Le reste, c’est leur parcours, il leur appartient.»

C’est à ce moment de la conversation qu’arrive Freddy, un habitué du Pilier. Depuis un an, le Bruxellois a retrouvé un logement après des années passées à la rue. Un changement qui a profondément amélioré son quotidien même si le crack y reste central. «Encore aujourd’hui, alors que je ne suis plus à la rue, la drogue occupe une grande place dans ma vie et ce, malgré moi, témoigne-t-il. Comme beaucoup, au début, j’ai cru que je maîtrisais, que je pouvais faire des choses la journée et consommer seulement le soir. Mais ce n’était pas vrai. Je me suis menti. Et la drogue envahit tout depuis des années

«Des jobistes»

Les travailleurs du Pilier proposent régulièrement des formations aux personnes qui fréquentent le comptoir d’échanges. L’occasion pour celles-ci de devenir «jobistes» et de prendre part aux maraudes, par exemple. «Dernièrement, on a organisé une formation pour permettre à nos usagers de faire de la prévention contre l’hépatite C auprès des gens de la rue, explique Nicolas. C’est très gratifiant pour eux de prendre part à ces séances puis de pouvoir répercuter ce qu’ils ont appris auprès d’autres consommateurs.»

Depuis plusieurs mois, Freddy est l’un de ces jobistes. Un rôle qui l’amène notamment à participer aux maraudes et aux permanences menées par les équipes du Pilier. Sa motivation: «Faire des choses utiles, aider un maximum de personnes avant qu’elles ne s’enfoncent et leur donner l’opportunité de recommencer à zéro», indique-t-il.

Jusqu’ici, l’homme au regard doux n’a pas dit grand-chose de son parcours personnel. Il se dévoile un peu tout à coup, évoquant, sans en dire plus, la «douleur immense» qui l’a fait plonger il y a déjà longtemps et qu’il a alors cherché à ne plus ressentir par tous les moyens. «Je n’étais pas du genre à m’épancher ou à aller voir quelqu’un, poursuit-il. Aujourd’hui, je vais deux fois par semaine chez le psy. J’accepte mieux cette douleur, je la comprends et j’essaie de la dépasser.»

Une dernière question le décontenance un peu: «Que peut-on vous souhaiter?» «Je ne sais pas, répond-il après un blanc. Aujourd’hui, je n’imagine pas ma vie sans drogue. Mais peut-être qu’un jour, ce sera le cas, que j’aurai vraiment le déclic et que j’aurai parallèlement la possibilité d’être accompagné pour arrêter. En attendant, malgré la drogue, j’essaie malgré tout de me ménager une vie, notamment en faisant des choses utiles.»

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