(1) La Mort en échec, par Isabelle Choko et Pierre Marlière, Grasset, 112 p. © National

Face aux simplifications actuelles, il est utile de rappeler ce que fut l’horreur nazie

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Isabelle Choko, dans La Mort en échec, et Ginette Kolinka, dans Une vie heureuse, nous replongent dans l’enfer de la Shoah au moment où la rhétorique autour de la guerre en Ukraine tend à la banaliser.

Prétendre dénazifier le pouvoir à Kiev, assimiler Poutine à Hitler…: l’invasion russe de l’Ukraine et la légitime résistance ukrainienne donnent lieu à des rhétoriques puisant dans la période dictatoriale nazie, dont les objectifs et les conséquences furent pourtant différents. Il n’est donc pas inutile de se remémorer ce que fut le nazisme conçu par le führer. Les témoignages de deux rescapées du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau y contribuent: La Mort en échec, d’Isabelle Choko (1), et Une vie heureuse, de Ginette Kolinka (2).

Même aujourd’hui, si je me plains de quelque chose dans ma tête, ça me ramène là-bas. Je me dis: “T’as pas le droit.”

«A peine quelques heures se sont écoulées depuis que nous sommes arrivées, et nous voilà déjà transformées, défigurées, comme ces “malades mentales”, qu’on avait aperçues en descendant du train», se rappelle Isabelle Choko de ses premiers pas avec sa mère dans le camp d’Auschwitz- Birkenau en septembre 1944. Considérée comme suffisamment valide pour travailler, elle est transférée vers le camp de Waldeslust. Après cinq mois de labeur à la limite du supportable, elle est à nouveau déplacée vers un autre site, le camp de Bergen-Belsen, où sa mère décédera et où elle-même connaîtra les pires moments de sa déportation. Le paradoxe veut que la bonne nouvelle de la proximité de la défaite nazie entraîne, pour les détenues du camp, une aggravation des conditions de survie: alimentation encore réduite, apparition du typhus dévastateur… C’est à l’état de corps décharné à l’article de la mort que les soldats britanniques trouveront Isabelle Choko à la libération du camp. L’épreuve n’est pourtant pas encore terminée. «Trop de déportées, affamées, se sont ruées sur la nourriture apportée par les soldats britanniques – des rations de militaires absolument pas adaptées à nos intestins détraqués et atrophiés par tous ces mois de privation. Certaines en sont mortes», explique l’autrice.

(2) Une vie heureuse, par Ginette Kolinka, avec Marion Ruggieri, Grasset, 96 p.
(2) Une vie heureuse, par Ginette Kolinka, avec Marion Ruggieri, Grasset, 96 p. © National

Pour survivre, la chance

Il a fallu cinquante ans après la fin de la guerre pour qu’Isabelle Choko accepte de témoigner, comme elle le fait désormais dans les écoles de France: «Jusqu’alors, c’était impossible. Je devais me reconstruire et construire ma vie, c’est à ce prix-là, celui du silence, que j’ai pu être heureuse.»

Une vie heureuse (2), c’est ce qu’estime avoir vécu Ginette Kolinka, malgré les mois passés à Auschwitz-Birkenau puis dans les camps de Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt, dont elle avait témoigné dans Retour à Birkenau (Grasset, 2019, lire Le Vif du 29 août 2019), et malgré une réinsertion compliquée dans la société de l’après-guerre. «Même aujourd’hui, si je me plains de quelque chose dans ma tête, ça me ramène là-bas. Je me dis: “T’as pas le droit”, lâche la rescapée.»

Elle dénie avoir eu de la volonté ou du courage pour parvenir à survivre à l’enfer des camps nazis: «Je n’avais plus rien, plus de sentiments, je faisais les choses comme un robot. J’ai eu de la chance.» Elle aussi, aujourd’hui, témoigne pour les plus jeunes: «Ça nourrit mon mental, mon moral. Je peux causer des heures mais dès que j’arrête, je ne suis plus dans les camps. C’est ma chance.» Ainsi nous livre-t-elle une incroyable leçon d’optimisme.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire