Les visites de jeunes dans les camps d'extermination nazis, une façon de transmettre la mémoire. © Christopher Furlong/getty images

Shoah : le devoir de mémoire à l’épreuve du temps

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La question de la transmission est au coeur des ouvrages de Ginette Kolinka, sur sa déportation à Birkenau, et d’Elie Buzyn, rare adolescent rescapé d’Auschwitz. De l’urgence de témoigner à celle de perpétuer le souvenir.

L’inéluctable épreuve du temps ravive, septante-cinq ans après la libération des camps nazis, la question du devoir de mémoire de l’Holocauste. Ce défi de la transmission, à un moment de l’histoire européenne où pullulent à nouveau les paroles et les actes antisémites et racistes, figure au coeur des ouvrages de deux rescapés des chambres à gaz, Ginette Kolinka et Elie Buzyn.

Les émissaires du réalisateur américain Steven Spielberg dépêchés dans le monde entier pour recueillir des témoignages après son film La Liste de Schindler (1993) ont convaincu la première de se livrer, elle qui  » n’avait rien à dire « . Dans Retour à Birkenau (1), elle dit beaucoup sur la cruauté, la perversité, l’inhumanité des exécutants du projet nazi.  » Vous voyez la fumée, dehors ? Ils sont là. Ce sont leurs corps, vos familles, qu’on brûle !  » assène-t-on à la jeune Française à peine débarquée.  » Tu sens l’odeur ? Tes parents sont déjà probablement dans la fumée de la cheminée des fours crématoires que tu vois là-bas « , inflige-t-on avec le même cynisme au tout jeune Elie Buzyn, transféré du ghetto de Lodz en Pologne vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Un calvaire qu’il décrit dans J’avais 15 ans (2).  » En 1942 ou 1943, les déportés qui ne sont pas immédiatement gazés meurent au bout de deux à trois mois. Mais en 1944, il y a un léger relâchement dans la discipline  » : c’est ce qui sauvera Ginette Kolinka de la mort, elle dont la seule obsession à Birkenau, puis dans les camps de Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt, est la faim. L’humanité d’un médecin allemand antinazi Témoin de Jéhovah et une incroyable résistance morale forgée par les paroles d’espoir de sa mère –  » Tu dois tout faire pour rester en vie, essayer de retrouver mes frères à Paris et leur raconter ce qui nous est arrivé  » – préserveront Elie Buzyn d’une issue fatale entre Auschwitz et la  » marche de la mort  » vers Buchenwald en 1945.

(1) Retour à Birkenau, par Ginette Kolinka avec Marion Ruggieri, Grasset, 102 p.
(1) Retour à Birkenau, par Ginette Kolinka avec Marion Ruggieri, Grasset, 102 p.

Témoins du témoin

Ginette Kolinka et Elie Buzyn, en un temps où l’urgence de témoigner s’est imposée, ont choisi tous les deux d’accompagner les jeunes qui font le voyage d’Auschwitz pour tenter de comprendre.  » Si aujourd’hui, à 94 ans, je suis comme je suis, je le dois à ces voyages, aux sentiments et aux élèves qui vont nous remplacer quand nous ne serons plus là « , avance, sereine, la déportée de Birkenau.  » Aussi longtemps que nous vivons, il nous revient de témoigner pour que cette mémoire ne se perde pas. En la transmettant à des jeunes, je les charge en quelque sorte de la transmettre à leur tour. Je les investis d’une mission : ils deviennent des témoins du témoin que je suis « , expose Elie Buzyn dans un second livre, Ce que je voulais transmettre (3).

(2) J'avais 15 ans, Vivre, survivre, revivre, par Elie Buzyn, Alisio poche, 158 p.
(2) J’avais 15 ans, Vivre, survivre, revivre, par Elie Buzyn, Alisio poche, 158 p.

Une fois les témoins partis, resteront donc pour entretenir un indispensable travail de mémoire les  » témoins des témoins « , les livres (lire l’encadré) et le souvenir des paroles des rescapés.  » Malgré le projet des nazis de nous déshumaniser, nous restions, envers et contre tout, et en dépit de notre extrême jeunesse, des êtres humains capables d’empathie et de solidarité « , se souvient le digne Elie Buzyn. Et contrairement à d’autres, il ne désespère pas des jeunes d’aujourd’hui qui comprennent bien, assure-t-il, que  » nous sommes tous égaux, que nous avons les mêmes droits et que nous pouvons tous vivre ensemble à condition qu’il y ait un respect mutuel « .

(3) Ce que je voudrais transmettre, entretien avec Elie Buzyn, Alisio, 80 p.
(3) Ce que je voudrais transmettre, entretien avec Elie Buzyn, Alisio, 80 p.
« Ils vont nous manquer »

Le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert, Le Schmock (Gallimard, 416 p., voir Le Vif/L’Express du 27 juin dernier) aborde la question du devoir de mémoire de la Shoah.  » L’humanité n’a pas de mémoire. Je veux être sa mauvaise conscience jusqu’à ma mort « , lâche un de ses personnages, Lila. Faut-il nourrir des craintes sur ce travail quand les derniers témoins auront disparu ?  » Oui, reconnaît le journaliste, parce qu’ils nous donnent mauvaise conscience. On les écoute plus que les autres. Ce sont souvent des personnalités très fortes. Je suis toujours surpris de voir leur vitalité, leur énergie… Ils vont nous manquer.  » Franz-Olivier Giesbert se raccroche, dès lors, à la force de ce qu’ils nous lèguent. Et d’insister sur le rôle des ouvrages de référence sur la Shoah : La Nuit d’Elie Wiesel (1), Si c’est un homme de Primo Levi (2), L’Univers concentrationnaire de David Rousset (3), ou encore les livres de Robert Antelme, Charlotte Delbo, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion…

(1) La nuit, Elie Wiesel, Les éditions de Minuit, 2007, 200 p. (2) Si c’est un homme, Primo Levi, 1987, Julliard, 213 p. (3) L’univers concentrationnaire, David Rousset, 2011, Hachette, 192 p.

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