Séisme: la Turquie étonnamment entourée, la Syrie abandonnée à son sort (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La Turquie pourra compter sur l’assistance internationale après le séisme qui a ravagé le sud-est du pays. Mais les besoins sont tellement vastes que rien n’indique qu’elle suffise. Les Syriens, eux, seront abandonnés à leur sort.

LE CONTEXTE

Un séisme de magnitude 7,7 à 4 h 17 du matin alors que la majorité des habitants dormaient, un autre de 7,5 quelques heures plus tard, des répliques multiples : c’est bien l’enfer qu’ont vécu, le 6 février, des millions de Turcs et de Syriens dans les régions de Gaziantep, Dyarbakir, Adiyaman, Alep…

Le bilan s’établissait en milieu de semaine à plus de 9 500 morts. Mais tout portait à croire qu’il sera beaucoup plus lourd, rappelant le tremblement de terre très meurtrier enregistré en 1999 dans la région d’Istanbul, où 17 000 personnes avaient perdu la vie. D’autant que l’étendue du territoire touché rend l’aide particulièrement compliquée.

L’effroi ne peut que nous étreindre quand on voit un immeuble de dix étages s’effondrer en quelques secondes. L’ émotion ne peut que nous envahir lorsque l’on découvre une fillette ense­velie sous les gravats d’une habitation. Elle est en vie. Elle pourra être sauvée. Mais à côté de ce que les médias et les réseaux sociaux montrent de la terrible catastrophe qu’a provoqué, dans le sud-est de la Turquie et dans le nord de la Syrie, le séisme d’une magnitude de 7,7 survenu dans la nuit du 5 au 6 février à 4 h 17, suivi d’une réplique presque aussi forte (7,5) à 13 h 24, il y a tout ce que l’on ne peut pas voir, la dévastation dans les zones que les secours n’ont pas pu atteindre faute de voies accessibles, faute de moyens suffisants. Là, hors la chance et un travail incommensurable de riverains, aucun survivant ne pourra être sauvé.

L’ aide étrangère proposée à la Turquie a été rapide et massive (quelque 45 pays), même si elle ne l’est jamais assez quand il s’agit de sauver des vies dans une extrême urgence. Elle témoigne de la place majeure occupée par le pays de Recep Tayyip Erdogan sur l’échiquier international.
A l’aune de la fracture actuelle entre pro-Ukrainiens et pro-Russes dans la guerre en Ukraine, la Turquie s’est vu proposer de l’assistance des deux camps, à la fois de la part de l’Inde, de la Chine et de la Russie, à la fois dans le chef des Etats-Unis, de l’Union européenne et de… l’Ukraine. Une multiplicité d’interventions à l’image du rôle de médiateur que s’attache à jouer le président turc dans le conflit.

La Grèce a fait fi des tensions qui l’opposent depuis des années à son grand voisin et fut un des premiers Etats à y envoyer des secours. Israël n’a pas attendu le réchauffement durable de ses relations avec la Turquie, à peine rétablies dans une certaine normalité après un sérieux refroidissement, pour proposer son assistance. Même l’ Arménie, qui a des griefs à opposer à Ankara en raison du soutien turc à l’Azerbaïdjan dans la récente reprise de la guerre du Haut-Karabakh, a proposé ses services. Dans son extrême malheur, la Turquie est donc entourée.

La suite de l’article après l’infographie

Syrie, un pays éclaté

L’ acheminement de l’aide à la Syrie est autrement plus compliqué, pour de multiples raisons. Malgré les efforts récents de la Turquie, de la Jordanie et des Emirats arabes unis pour l’y réintégrer, le régime du président Bachar al-Assad reste un paria sur la scène internationale. Pour preuve, et si le fait est en soi anecdotique, il est aussi significatif : si Volodymyr Zelensky a proposé l’aide de son pays à la Turquie, il ne l’a pas fait pour la Syrie. Elle fait partie de rares pays qui soutiennent de façon inconditionnelle la Russie dans le conflit en Ukraine. Cette position ne favorise pas l’entraide.

Surtout, le territoire syrien touché par le tremblement de terre du 6 février s’étend sur quatre zones dirigées par des forces différentes (voir le graphique ci-dessous). Un vestige de la guerre jamais terminée. Le gouvernement de Damas a le contrôle sur la région d’Alep. Des groupes islamistes, dont le principal est le Hayat Tahrir al-Cham, l’exercent sur celle d’Idlib, au nord-ouest du pays. Des groupes proturcs sur le nord. Et le Parti de l’union démocratique (PYD), kurde, et son bras armé, les Unités de protection du peuple (YPG), sur le nord-est. Un c  asse-tête logistique pour les institutions internationales et les organisations humanitaires. Ainsi, une aide acheminée à Damas ne pourrait être transférée qu’aux milices proturques, peu ou prou alliées de Bachar al-Assad. Et il n’est pas acquis que l’assistance destinée aux Kurdes de Syrie pourrait transiter par la Turquie, Ankara étant en guerre ouverte avec ceux-ci.

La suite de l’article après l’infographie

Ce 8 février, le bilan provisoire du séisme dénombrait quelque 7 000 morts en Turquie et plus de 2 500
en Syrie
. Il devait sans doute s’alourdir, peut-être dans une proportion plus grande encore entre Alep et Hassaké. Dans le malheur, Syriens et Turcs ne sont donc pas égaux. Les premiers seront moins aidés. La faute à la guerre menée contre son peuple par Bachar al-Assad.

Quel impact politique ?

Le soutien international que réussit à attirer la Turquie n’empêche pas pour autant les critiques. Une fois les recherches pour trouver des survivants closes, une fois l’aide humanitaire répartie dans tous les territoires touchés, une fois les efforts pour reloger les rescapés entrepris, surviendra le temps des questions. Les règles antisismiques fixées dans une loi de 2014 ont-elles été respectées lors de la construction des nouvelles habitations ? Un plan d’urgence a-t-il été élaboré en cas de séisme ? Le sud-est du pays n’est-il pas de manière récurrente victime d’un sous­-investis­sement public par rapport à d’autres régions ?

A trois mois des élections présidentielle et législatives du 14 mai, Recep Tayyip Erdogan n’échappera pas à ces questionnements. La logique voudrait que le sentiment d’unité nationale qui préside à la gestion de cette catastrophe naturelle favorise le rassemblement derrière le chef. Mais si les informations sur les circonstances du séisme et l’acheminement de l’aide humanitaire révèlent de graves manquements, la position du président au pouvoir depuis 2014 – depuis 2003 si on prend en compte ses mandats de Premier ministre – pourrait en être fragilisée, dans un contexte de forte inflation et de récession économique qui affectent beaucoup de Turcs au quotidien.

De surcroît, s’il est habitué à agiter la fibre nationaliste en provoquant des confrontations avec les Kurdes de Turquie ou des pays voisins avant chaque élection, il pourra difficilement user de ce stratagème cette fois-ci alors que ces populations, côté turc et côté syrien, figurent parmi les principales victimes du tremblement de terre. Cependant, la situation de l’opposition turque ne préfigure pas l’émergence d’une alternative. Six partis se sont coalisés pour faire chuter Recep Tayyip Erdogan. Mais ils n’ont pas encore établi de programme commun, ni déterminé le candidat unique qui pourrait les représenter à
la présidentielle. Or, la gestion de l’après-séisme occupera tous les esprits dans les prochaines semaines. Un contexte qui ne va pas faciliter le débat démocratique. Puisse-t-il au moins faire prendre conscience aux futurs dirigeants que face à un tremblement de terre, des outils de prévention existent, si on veut bien leur consacrer des moyens.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire