pêche poissons mer du nord

Cabillaud, sole, hareng: la mer du Nord vidée de ses poissons? « Des choses étranges se passent »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La mer du Nord, bientôt « vidée » de ses poissons ? L’hypothèse est redoutée par plusieurs organisations environnementales. Elles dénoncent des techniques de pêche de plus en plus destructrices. Auxquelles s’ajoutent l’effet du changement climatique, qui rend les eaux plus chaudes et provoque la migration de plusieurs espèces vers le nord. Plus inquiétant encore: les scientifiques ont de plus en plus de mal à expliquer la raréfaction de certains poissons.

L’industrie de la pêche rame pour devenir plus durable. Elle tenterait même de noyer le poisson. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude menée par l’ONG française BLOOM, qui a analysé la pêche atlantique de la côte hexagonale, étroitement liée à la situation belge. Un message, plus alarmiste encore, est délivré par le groupe environnemental flamand Climaxi : « Le sud de la mer du Nord est vidée de ses poissons », avise leur rapport. « Il ne reste plus de sole et presque plus de crevettes. Nous réalisons les pires captures depuis quarante ans », y témoigne un pêcheur.

Alors, l’heure est-elle si grave ? « Le sud de la mer du Nord n’est pas si vide : il regorge encore d’une grande quantité de poissons, rassure Hans Polet, directeur scientifique à l’Institut de recherche pour l’agriculture, la pêche et l’alimentation (ILVO). Mais il est vrai que la situation est mauvaise pour certaines espèces », ajoute-t-il.

Pêche électrique hollandaise, destructrice de poissons

Concernant la sole, en particulier, le problème semble bien réel. « Ce poisson a souffert d’une surpêche pendant plus de dix ans », dénonce Hans Polet. Source de la surexploitation : la pêche électrique hollandaise. « Depuis 2010, les Hollandais ont commencé une pêche intensive et commerciale avec cette méthode, qui équipe près de 100 bateaux. Ce système est si efficace pour la pêche de la sole que des graves conséquences se font maintenant ressentir », pointe le scientifique.

Mais la sole n’est seule. D’autres espèces, comme le cabillaud, sont fortement impactées. La cause est cependant différente. « C’est surtout le changement climatique qui touche directement ce poisson populaire. Les températures plus chaudes en mer l’ont repoussé vers le nord », observe Hans Polet.  

Le hareng ou le maquereau ? Il ne sont pas non plus épargnés. « Je ne vais pas dire que leur existence est en danger, mais depuis 2016, plusieurs nouvelles espèces sont affectées. Malgré le fait que l’UE ait diminué sa flotte et introduit des quotas très stricts. La période de surpêche la plus intense date cependant des années 1990 », rappelle Hans Polet. D’autant plus que, selon lui, les bateaux de pêche n’ont pas augmenté dans nos régions. « Au contraire, ils ont même diminué. »

« Les poissons n’ont pas les comportements auxquels on pourrait s’attendre »

Scientifiquement, la raréfaction de certaines espèces est difficilement cernable. L’écosystème marin est changeant, et frappé par une multitude de perturbations. Il est un terrain d’analyse de moins en moins propice pour les prédictions. « Il n’y a pas seulement un mouvement vers le nord, précise Hans Polet. Cela fait des années que les poissons n’ont pas les comportements auxquels on pourrait s’attendre. Des choses étranges se passent. Et souvent, ce n’est pas bon signe. »

Les poissons n’ont pas les comportements auxquels on pourrait s’attendre. Des choses étranges se passent. Et souvent, ce n’est pas bon signe.

Hans Polet, directeur scientifique (ILVO)

Par exemple, selon les scientifiques, l’état de la plie, poisson plat, est très bon dans la mer du Nord. Elle y séjourne en nombre. Mais quelque chose cloche. « Les pêcheurs belges ne les trouvent pas. On en déduit donc que cette espèce ne vit plus dans les endroits où elle vivait avant », note le directeur scientifique.

Flyshoot

En plus de la pêche électrique affectionnée par les Pays-Bas, une autre technique, la pêche au chalut, parfois appelée « flyshoot », est fortement pointée du doigt. En quoi consiste-t-elle ? C’est assez simple : les bateaux déposent deux câbles dans le fond, qui forment un demi-cercle. Le cercle rétrécit petit à petit, de façon à concentrer les poissons, qui se retrouvent ainsi coincés dans le chalut.

« Le problème est que les câbles sont devenus trop épais et trop longs. La zone pêchée est devenue très grande : elle s’étend parfois sur 3 ou 4 kilomètres. Si cette technique est appliquée par plusieurs bateaux dans une petite région (la Manche ou le sud de la mer du Nord), on rejoint des conditions de surpêche », décrit le membre d’ILVO. Et surtout, ils pêchent des espèces qui ne sont pas soumises aux quotas, poursuit-il. Cela signifie qu’ils peuvent donc pêcher autant qu’ils veulent jusqu’au moment où il ne reste rien. Le problème est qu’il manque des données scientifiques sur le sujet. Etant donnée qu’ils visent des espèces sans quota, ils ne sont pas surveillés », déplore-t-il.  

Cependant, le scientifique reste optimiste pour l’avenir. « Avant 2016, on a vu qu’il était possible d’avoir une pêche rentable et durable. Car la gestion de la pêche par l’UE est assez stricte, même si le temps de réaction des institutions est trop lent. Par exemple, le problème du flyshoot est connu depuis plusieurs années, mais pas encore réellement pris en charge par Bruxelles.»

« La pêche au chalut n’est plus tenable »

Auteur du rapport « Changer de cap », fruit du travail d’un consortium de chercheurs concernant la pêche dans l’Atlantique nord-est, l’ONG française BLOOM, qui se veut « contre la destruction de l’océan, du climat et des pêcheurs artisans », fait état de conclusions édifiantes. « Notre recherche se veut multifactorielle (écologique, économique, sociale) et comparative », cadre Léna Fréjaville, coordinatrice de projet.

Les sardines, le marlin bleu, le lieu noir, le cabillaud, ou encore le merlan font partie des espèces les plus surexploitées.

Léna Fréjaville (ONG BLOOM)

L’organisation dénonce les limites des navires de pêche industrielle, les chaluts de fond. D’un point de vue environnemental (impact des navires sur les fonds marins, surexploitation, émission de CO2, captures accidentelles,…). Mais aussi d’un point de vue économique. « Les conséquences sont aberrantes : les navires qui utilisent le chalut de fond n’ont aucune plus-value d’un point de vue économique. Ils créent trois à quatre fois moins d’emplois que les petits navires en pêche côtière », regrette Léna Fréjaville.

Parmi les stocks les plus surexploités, l’ONG cite notamment les sardines, le marlin bleu, le lieu noir, le cabillaud ou encore le merlan.

« La petite pêche côtière a un bon potentiel : création d’emploi, bonne rentabilité par kilo pêché, impact environnemental moindre, liste Léna Fréjaville. Le seul point noir réside dans les captures accidentelles (mammifères ou oiseaux), qui sont plus nombreuses. »

La membre de BLOOM appelle ainsi à arrêter les dégâts causés par le chalut. « Le rapport montre que cette technique n’est plus tenable. En outre, des sujets comme la taille des mailles des filets, les quotas, ou la redistribution des subsides (la pêche au chalut en capte une grande partie) doivent être mis sur la table. Le secteur de la pêche n’a pas encore amorcé sa transition écologique », conclut-elle.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire