Les fonds marins :  » ratissés  » comme une pelouse

La mer du Nord vit-elle un grand chambardement silencieux ? On sait, depuis bien longtemps, qu’elle fait partie, comme tout l’Atlantique du Nord-Ouest, des espaces marins les plus durement prospectés au monde par une flotte de pêche de plus en plus sophistiquée. Chaque mètre carré du plateau continental belge est ratissé 1,2 à 1,3 fois par an, en moyenne par un chalut. Selon l’Ifremer (France), d’autres zones, plus au nord, subiraient jusqu’à 8 passages par an ! Certaines techniques de pêche, comme celles qui consistent à promener de lourdes chaînes métalliques pour déloger les crevettes et les poissons plats enfouis dans les sédiments, entraînent une mortalité de 10 à 50 % chez les crustacés et les gastéropodes présents au fond de l’eau. Et jusqu’à 80 % chez certains coquillages. Or tous ces animaux jouent un rôle vital dans la vaste et complexe chaîne alimentaire qui, un jour ou l’autre, fournit nos assiettes.

Il y a six ans, en Belgique, l’Unité de gestion du modèle mathématique de la mer du Nord (UGMM) avait déjà noté que plusieurs espèces, autrefois communes, étaient alors pêchées d’une façon excessive. Elles ne devaient leur survie, dans cet espace maritime théoriquement riche en biodiversité, qu’à l’application de quotas. Particulièrement concernés : le cabillaud, le hareng, le maquereau, la plie, la sole, etc. Cet été, le service de la pêche maritime, à Ostende, signale que les estimations récentes sur ces deux dernières espèces û la plie et la sole, très prisées par les pêcheurs belges û font état de stocks situés sous le seuil de précaution. Cela signifie que, malgré les quotas européens, on continue à pêcher d’une façon non durable ; les stocks ne parviennent pas à se renouveler.

En fait, certaines estimations globales s’avèrent trompeuses. Il arrive, en effet, que les chiffres de débarquement (les quantités ramenées au port) traduisent le maintien, voire l’amélioration, des prises par les pêcheurs. Mais, en réalité, une tonne de poissons n’est pas l’autre : les animaux récoltés sont, pour la plupart des espèces, de plus en plus petits. Leurs facultés de reproduction et de migration sont plus faibles.  » On a fini par oublier que la morue ( NDLR : le cabillaud) est théoriquement un gros poisson, qui peut vivre vingt ans et mesurer un à deux mètres « , estimait récemment un expert halieutique français.

Si, au rayon des grands maux qui frappent la mer du Nord, la  » surpêche  » semble prendre une part de plus en plus grande, d’autres nouvelles sont moins sombres. Ainsi, grâce à des efforts politiques drastiques, de nombreuses matières dangereuses, comme les métaux lourds, sont en nette diminution depuis 1985. Il faut pourtant mettre quelques bémols à ce constat. Les effets de certains produits chimiques, notamment de nouvelles molécules utilisées dans les pesticides, sont encore mal connus. En fait, c’est dans la mer, notamment, qu’on réalise l’urgence de réviser la méthodologie de mise sur le marché des molécules chimiques, comme le prévoit le projet européen Reach.

Un autre problème majeur est l’eutrophisation. Ce phénomène d’asphyxie trouve son origine dans les torrents d’azote vomis par les élevages industriels, via les grands fleuves européens (dont l’Escaut). Même si le combat contre la pollution devait continuer à marquer des points à l’avenir, les protecteurs de la mer û et ceux qui en vivent chaque jour û vont probablement continuer à se faire du souci. L’étude des effets du réchauffement du climat (0,6 degré en mer du Nord, entre 1962 et 2001) commence en effet à livrer ses premiers résultats. Des chercheurs britanniques ont récemment estimé que 13 espèces de poissons, dont le cabillaud, se sont déplacées vers des zones plus au nord sur une distance variant entre 48 et 403 kilomètres. Ils ont ainsi calqué leur déplacement sur celui du plancton animal et végétal. Selon ces experts, ce petit degré supplémentaire a suffi à réorganiser complètement l’écosystème marin. La perspective de créer de véritables zones marines, intégralement protégées, voire de proclamer la fermeture pure et simple de la pêche industrielle des espèces les plus mal en point (comme les anguilles), est de plus en plus souvent évoquée.

Ph.L.

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