La vaste manifestation organisée le 14 janvier près du village de Lützerath n’a pas infléchi la position du gouvernement allemand. © belga image

Allemagne : les Verts se déchirent sur les manifestations de Lützerath et l’exploitation de charbon

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

L’évacuation du village de Lützerath pour permettre l’exploitation d’une mine de charbon illustre les compromis que le parti écologiste est amené à faire à l’épreuve du pouvoir. Un pragmatisme qui interroge de plus en plus la jeunesse militante.

En cinq jours seulement, la police et les rouleaux compresseurs du géant de l’électricité RWE ont rayé de la carte l’essentiel de ce qu’il restait du village de Lützerath. Ce hameau, situé entre Düsseldorf et la frontière belge, est niché au bord d’un gouffre géant, la colossale mine de charbon à ciel ouvert de Garzweiler qui s’étend sur 48 hectares, deux cents mètres en contrebas. Comme une vingtaine d’autres villages de la région avant lui, Lützerath doit céder la place à l’exploitation du combustible, disponible par centaines de millions de tonnes dans son sous-sol. Les habitants, expropriés et relogés par RWE, ont déserté les lieux depuis longtemps. Ne restait qu’une poignée d’irréductibles, qui se sont opposés avec virulence aux forces de l’ordre déployées en nombre le week-end des 14 et 15 janvier pour achever les évacuations.

« Les Verts obéissent à RWE. Leur rôle, en ce moment, se borne à vendre un accord de greenwashing à la population. »

A l’heure où, une fois de plus, l’Allemagne n’a pas respecté l’an passé ses objectifs climatiques, et après une année de catastrophes naturelles en série à travers le monde, les militants écologistes qui occupaient le village depuis deux ans dénoncent l’absurdité de la situation: l’agrandissement d’une mine de charbon – combustible particulièrement polluant – pour une durée limitée, puisque l’exploitation prendra fin en 2030 dans la région.

Ces militants ont une nouvelle bête noire: le parti Vert. «Les Verts obéissent à RWE. Leur rôle, en ce moment, se borne à vendre un accord de greenwashing à la population», s’énerve Florian Özcan, l’un des activistes présents sur place.

Un compromis écologique

Avec le déclenchement de l’opération d’évacuation du village la semaine dernière, les activistes ont reçu quantité de renforts. Des milliers de personnes venues de toute l’Allemagne, mais aussi de Belgique, des Pays-Bas et d’ailleurs, dont Greta Thunberg, ont manifesté le 14 janvier contre la destruction de Lützerath. La protestation s’étend cependant bien au-delà de la région. Les bureaux du ministre écologiste de l’Economie, Robert Habeck, dans sa circonscription du nord de l’Allemagne, et de sa collègue de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Mona Neubaur, ont été occupés pendant des jours.

Jusqu’alors icônes du parti Vert, tous deux sont les auteurs de l’accord négocié avec RWE à l’automne dernier. Résultat de ce compromis: Lützerath est sacrifié et l’énergéticien est autorisé à exploiter 280 millions de tonnes de houille, au nom de la sécurité de l’approvisionnement énergétique mise à mal par l’invasion de l’Ukraine. En échange, RWE renonce à exploiter la moitié du potentiel du gisement et mettra fin à l’extraction en 2030 au lieu de 2038, comme prévu par le gouvernement Merkel. Au passage, RWE épargnera cinq autres villages situés plus à l’ouest.

«Dès le début, les Verts n’avaient d’autre objectif que de défendre les intérêts de RWE et de ne pas perdre la face, explose Florian Özcan. En fait, ils montrent clairement que ce gouvernement ne va rien changer et ne stoppera pas la catastrophe climatique, que c’est à nous de les faire bouger.»

Une scission du parti?

Même à Berlin, du côté des cadres du parti Vert, Lützerath provoque un malaise évident. «Notre base regarde de très près ce que nous faisons en matière de climat. Au bout de quatre ans, nous serons jugés pour notre bilan sur les questions sociales. Mais aussi de climat», reconnaît une cadre, sous couvert d’anonymat. La situation est d’autant plus inconfortable que les critiques ouvertes ou cachées se multiplient. «Nous devons garder le dialogue avec les activistes du climat même dans les situations critiques», appelle Sven-Christian Kindler, porte-parole pour le budget du groupe parlementaire des Verts.

Lors du dernier congrès du parti, particulièrement houleux, la catastrophe avait été évitée de justesse: les partisans du compromis avec RWE, soumis à l’approbation des délégués, l’ont emporté avec 315 voix contre 294. «Lützerath rappelle dans quel dilemme se trouvent les Verts depuis leur participation au gouvernement, rappelle le politologue Gero Neugebauer, de l’université libre de Berlin.

D’un côté, ils ont leur agenda, notamment sur le climat. De l’autre, ils sont contraints aux compromis et au pragmatisme, en raison de leur accord de coalition avec les sociaux-démocrates et les libéraux. Le véritable risque pour eux, c’est celui d’une scission. Il n’est pas absurde d’imaginer qu’une partie de leurs soutiens, motivés avant tout par le climat plus que par les changements sociaux, décident de former un nouveau parti. Il y a un vrai risque pour eux de perdre le soutien des jeunes et de ceux pour qui le climat est la vraie priorité.»

Respect du contrat

Pour l’heure, la popularité du parti, toutes tranches d’âge confondues, n’a pas souffert de Lützerath. Les Verts sont crédités de 17% à 20% des intentions de vote selon les sondages, un score stable, et même supérieur aux résultats obtenus lors des élections de septembre 2021 qui les ont amenés au pouvoir. «Ce n’est pas surprenant, car en acceptant l’évacuation de Lützerath, les Verts ont respecté le contrat qu’ils ont signé avec RWE, et pour la plupart des Allemands, le respect des contrats est primordial. Mais ils restent dans une situation inconfortable», insiste Gero Neugebauer. D’autant que les couleuvres à faire avaler à leur base ne se limitent pas au charbon.

Entre la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, pour compenser la fin des livraisons de gaz russe, et les livraisons d’armes à l’Ukraine, le parti Vert autour de Robert Habeck et de la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, impose à la gauche de sa base, aux fondamentalistes et aux militants du climat, des contorsions rhétoriques de plus en plus difficiles à accepter.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire