Anne-Sophie Bailly
Agriculteurs en colère: comment trouver les clés pour un modèle durable et rentable (édito)
Les abondants récits de ces heures interminables assis aux commandes d’un tracteur, de ces soirées passées à prendre soin du cheptel, de ces week-ends à veiller sur l’exploitation agricole, pour terminer le mois avec quelque mille euros en poche, contribuent à sensibiliser le grand public à la colère de ces agriculteurs qui bloquent les routes de Belgique, de France, des Pays-Bas ou d’Allemagne. Certains chiffres nourrissent d’ailleurs cette colère, comme celui du rapport entre la charge de travail et le revenu moyen d’un fermier ou ce fameux 80-20, selon lequel 20% des agriculteurs bénéficient de 80% des subventions de la PAC (Politique agricole commune de l’Union européenne).
Une rémunération juste ne suffira pas à opérer une transition vers un modèle durable et rentable.
Parmi les cibles de cette grogne, on l’a entendu: les géants de la distribution. En effet, en y recourant comme débouché principal de leur production, les agriculteurs sont devenus à ce point dépendants de l’industrie agroalimentaire et des grandes chaînes qu’ils ont perdu la main sur la fixation du prix final de leurs produits. Au point de devoir parfois vendre à prix coûtant. D’où cette actuelle pluie d’appels pour rééquilibrer le rapport de force. Voire pour instaurer en Belgique une sorte de loi Egalim sur le modèle français, dont le but est d’offrir «aux agriculteurs un revenu digne en répartissant mieux la valeur». Sauf que l’efficacité de cette loi est aujourd’hui largement dénoncée par les cultivateurs et éleveurs de l’Hexagone. Sauf que la distribution, en souffrance elle aussi, tente de sauver ses billes en appliquant la recette qui a fait ses heures de gloire: augmenter ses volumes et accroître ses marges.
Qui plus est, instaurer une loi Egalim à la Belge et installer des garde-fous pour assurer une rémunération correcte suffira peut-être à calmer la colère d’aujourd’hui et à voir les tracteurs quitter les autoroutes pour reprendre le chemin des champs. Cela ne suffira pas à opérer une transition vers un modèle agricole durable et rentable. Or, c’est le véritable enjeu du débat actuel. Comment trouver les clés d’une agriculture durable, respectueuse de la transition écologique, qui protège la santé du consommateur et offre une rémunération juste au producteur? Pourquoi cette mutation s’avère-t-elle aussi complexe? Pourquoi a-t-elle pris tant de retard? Comment concilier le désarroi des cultivateurs et éleveurs les plus vulnérables et la nécessité de préserver l’environnement, tout en proposant un prix abordable au consommateur?
Ce sont ces questions qui doivent transcender l’émotion suscitée par les récits de ces trop longues heures passées au volant d’un tracteur. Sous peine de ne répondre qu’à l’urgence, aussi importante soit-elle.
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