Bernard De Commer

Tenues vestimentaire à l’école: pourquoi les jeunes doivent avoir leur mot à dire (carte blanche)

Faut-il donner ou rendre la parole aux jeunes quant aux tenues qu’ils peuvent (ou non) porter à l’école ? L’opinion de Bernard De Commer, ancien enseignant et permanent syndical.

L’UFAPEC, qui regroupe les associations francophones des parents de l’enseignement catholique, vient de publier les résultats d’une enquête très intéressante sur la problématique des fringues à l’école et de son éventuel corollaire : le port de l’uniforme ou l’usage des codes couleurs. Une enquête signée France Baie, Dominique Houssonloge et Alice Pierard.

Une enquête qui évidemment ne concerne a priori que l’enseignement catholique, mais je ne risque pas grand-chose en avançant que ce ne doit guère être différent dans les autres réseaux exceptions faite sans doute du port de l’uniforme.

Ainsi comme le souligne Guillaume Woelfle sur le site de la RTBF, le 17 mai 2022, « ces règlements interdisent les tenues jugées « excentriques » et exigent « une tenue qui soit conforme au fait de fréquenter une école » ce qui, dans un cas comme de l’autre, peut-être arbitraire, reconnaît Pierre Félix, coordinateur pédagogique de l’athénée royal René Magritte de Châtelet. Ces écoles interdisent par exemple les trous dans les vêtements, les vêtements de sport comme les joggings, les t-shirts qui arboreraient des slogans choquants ou des vêtements trop courts comme les « crop tops » ou les décolletés trop plongeants. »

Et de poursuivre son article en ces termes : « La Ministre Caroline Désir mettait en avant dans une réponse parlementaire donnée au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 10 mai dernier, et dans laquelle elle parlait des « liens indispensables avec la démocratie scolaire et la participation des élèves ». La ministre prépare par ailleurs un guide pour aider les pouvoirs organisateurs dans l’établissement de ces règlements, en « rappelant les principes de proportionnalité et de non-discrimination » et en évitant « toute stigmatisation et équivoque ». » Pour conclure que « l’adhésion des élèves reste l’enjeu principal ».

Soyons clairs : on ne se présente pas à l’école comme à la plage ni d’ailleurs dans un fitness en costume cravate. Il y a des codes sociétaux à respecter en fonction des lieux et des activités qu’on y mène.

Comme le souligne cette étude de l’UFAPEC, et je la rejoins jusqu’à un certain point : « Les règles et les limites sont nécessaires à la construction du jeune et au vivre-ensemble. Dans ce sens, l’UFAPEC considère que mettre des règles en matière de tenues vestimentaires à l’école est un apprentissage pour la vie sociale et professionnelle. L’idée n’est pas d’imposer à l’élève un certain style vestimentaire socio-culturellement marqué, mais d’amener le jeune à comprendre que là où il évolue, des codes sociaux spécifiques sont à rencontrer. 

Prendre bien conscience de certains sophismes

Prétendre, comme l’affirment certains établissements de ce réseau, que cela a le mérite de gommer les inégalités sociales est un pur sophisme.  Pour avoir moi-même dans les années 70 été instituteur dans une école imposant l’uniforme très strict, une école alors BCBG avec cependant quelques élèves de milieux populaires pour se donner sans doute bonne conscience chrétienne,  je peux dire qu’on pouvait sans difficulté repérer les enfants issus de milieux plus modestes. Un magasin proche de l’établissement proposait pour les filles (la mixité n’était pas encore présente dans cet établissement) un large éventail de produits allant du simple au double, voire au triple au niveau des prix. Un uniforme qu’il leur fallait porter cinq jours par semaine et durant toute l’année scolaire et quelles que fussent les conditions climatiques. Et donc obligation d’en avoir plus d’un à disposition. Et pour rappel, à l’époque, le port du pantalon était proscrit pour le personnel féminin sauf en période hivernale et de surveillance extérieure et le complet veston/cravate imposé aux quelques hommes  que nous étions.

Gommer les inégalités sociales en se dissimulant derrière une tenue d’apparat ne me paraît moralement pas acceptable. L’école, à son niveau, doit lutter contre les inégalités sociales avec d’autres arguments, notamment pédagogiques.

Prendre aussi comme seul argument que cela apprend aux élèves à accepter des contraintes me paraît tout autant relevant du sophisme. Cette contrainte qui touche un point sensible de nos ados doit avoir du sens à leurs yeux et n’être pas vécue comme un caprice de plus des adultes à leur égard.

L’école est le plus souvent choisie par les parents, pas par le principal intéressé. Et qu’y a-t-il de plus contraignant que se voir imposer des cours et des profs, voire une filière,  que l’on n’a pas forcément choisis ? 

En effet, l’institution scolaire est en soi contraignante pour le jeune : l’école est le plus souvent choisie par les parents, pas par le principal intéressé. Et qu’y a-t-il de plus contraignant que se voir imposer des cours et des profs, voire une filière,  que l’on n’a pas forcément choisis ? 

Et donc supporter tout cela, passer au-travers, ai-je envie de dire, sans heurts majeurs, est une éducation à la contrainte. Inutile d’en ajouter d’autres pour en ajouter.

Prétendre que le port de l’uniforme ou que les codes couleurs témoignent du partage de valeurs prônées par l’établissement, cela me laisse plus que dubitatif. Dans un mouvement de jeunesse il y a effectivement partage librement consenti, soulignons-le, de certaines valeurs et ce partage s’exprime bien au-travers d’un uniforme. Remarquons au passage quand même que dans ces mouvements le port de l’uniforme est aussi de plus en plus remis en cause. Chez certains, cela se limite désormais au foulard.

L’expression de valeurs doit pouvoir s’exprimer autrement que par un port d’uniforme ou de couleurs imposées.

Une démarche participative

C’est le règlement de l’école qui doit déterminer ce qui est acceptable ou pas en termes vestimentaires à l’école.

L’enquête de l’UFAPEC révèle que 63% des écoles du réseau qui ont répondu et 77% des parents trouvent le règlement de l’école clair à ce propos ; elle n’en révèle pas moins que 55% des élèves ne sont pas de cet avis. Et là nous sommes au cœur même de ce que j’écrivais ci-dessus : cette contrainte vestimentaire doit avoir du sens à leurs yeux.

L’UFAPEC, cependant, constate « qu’une majorité de ROI (NDLR: réglements d’ordre intérieur) ne sont plus d’actualité. Les termes y sont parfois flous et encore trop empreints de jugements de valeur (comme tenue « correcte », « décente », « vulgaire » ou « provocante »). Il convient donc de bannir ces qualificatifs et toute discrimination tout en clarifiant au mieux ce qui est attendu. »

Ces discriminations garçons/filles existent bel et bien souvent et sont ressenties négativement par ces dernières. Par exemple, le port du short est toléré  chez les garçons, proscrit chez les filles. Il faut dire que les filles, vestimentairement parlant – et c’est encore un phénomène de société en général – sont très souvent dans leur habillement sexuées, les garçons pas. A peine interdit-on à ces derniers le port de boucles d’oreille.

L’UFAPEC souligne aussi pour les élèves « le droit à la construction identitaire et citoyenne, à l’épanouissement, à la liberté d’expression, à la créativité, à l’intégration, à l’égalité et à la non-discrimination liée entre autres, au genre, au milieu social et culturel, à la corpulence et enfin le droit à la pudeur ».

La pudibonderie dans nos sociétés très largement marquées qu’on le veuille ou non par la morale dite chrétienne, cette pudibonderie  n’est jamais très loin

Ce dernier mot – pudeur – doit aussi être manipulé avec prudence : la pudibonderie dans nos sociétés très largement marquées qu’on le veuille ou non par la morale dite chrétienne, cette pudibonderie  n’est jamais très loin.

Tout est donc question de mesure et finalement d’éducation à la démocratie : la parole des jeunes se doit d’être entendue.

Existe un « Décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française » (12/01/2007). Celui-ci prévoit  la mise en place de structures participatives pour les élèves, à savoir des délégués de classe élus par leur pairs qui ensemble constitue le Conseil d’élèves défini comme ceci dans le décret :

« L’ensemble des délégués de classe d’un même cycle ou degré forme le Conseil des délégués d’élèves. Le Conseil d’élèves est un espace de parole destiné à analyser des problèmes relatifs à l’école ou à certaines classes. Il a pour mission de centraliser et de relayer les questions, demandes, avis et propositions des élèves au sujet de la vie de l’école auprès du Conseil de participation, du Chef d’établissement et du Pouvoir Organisateur. Il a également pour mission d’informer les élèves des différentes classes des réponses données par le Conseil de participation, le Chef d’établissement ou le Pouvoir Organisateur. »

La vie à l’école, bien évidemment, concerne aussi la tenue vestimentaire, importantissime pour le jeune en quête d’identité.

Et donc le Conseil des élèves et le Conseil de participation, dont j’ai pu m’entretenir dans une autre carte blanche,  sont, à mon sens, les endroits adéquats pour une co-construction des règles de vie à l’école.

 « Oser le dialogue sur ce sujet, ajoute l’UFAPEC, demande encore aux écoles de s’ouvrir à la pluralité de normes et aux diversités culturelles, sociales et de genre qui constituent notre société aujourd’hui. Cela demande aussi de renforcer les éducateurs dans un rôle d’accompagnement plutôt que de contrôle et de veiller à une certaine cohérence entre ce qui est demandé aux élèves et à l’équipe éducative. » De fait : on n’interdit pas aux élèves certaines tenues vestimentaires alors que les adultes présents à l’école sont les premiers à les utiliser dans leur pratique professionnelle. 

Mais ces structures participatives fonctionnent-elles ? On est en droit de se le demander. Et les échos que nous en avons ne vont pas dans ce sens-là. Clôturons en rappelant que le Pacte pour un enseignement d’excellence insiste fortement sur le développement d’une dynamique de participation dans chaque école.

Ainsi peut-on lire dans l’Avis n°3 ceci : « Un renforcement de la démocratie scolaire en impliquant les différents acteurs, enseignants, élèves, parents, éducateurs et personnel  extrascolaire dans la construction et la régulation du vivre ensemble au sein des écoles (par ex. créer un conseil coopératif et citoyen de la classe hebdomadaire; renforcer le système de délégation d’élèves ; élaborer le ROI de l’établissement et ses modifications dans le cadre d’une dynamique participative associant élèves,  enseignants, parents, etc.). »

Quoiqu’il en soit, cette enquête de l’UFAPEC dont j’invite les uns et les autres à prendre connaissance repose les questions du port de l’uniforme, du code couleur (blanc ou bleu marine) plus souvent imposé aux élèves que le port de l’uniforme, des sophismes de la lutte contre les inégalités via ceux-ci censés illustrer des valeurs prônées dans les établissements, mais surtout de la parole souvent, trop souvent peut-être, confisquée aux jeunes alors que des structures participatives existent bel et bien.

Pour conclure

C’est Philippe Meirieu qui écrivait que « être  pédagogue, c’est comprendre les contradictions qui se nouent dans la relation entre l’enseignant et l’élève, c’est comprendre que nous désirons la toute- puissance, que nous souffrons que l’autre s’émancipe, et que nous devons le prendre tel qu’il est pour qu’il devienne ce qu’il veut. »

Pour qu’il devienne ce qu’il veut…

Le titre est de la rédaction.

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