Carte blanche

Pourquoi le parlement bruxellois doit limiter l’indexation des loyers (carte blanche)

En cette période d’inflation élevée, les locataires sont exposés au risque d’une indexation extrême de leur loyer, qui peut les empêcher de faire face à cette dépense pourtant essentielle. A Bruxelles, où les locataires sont majoritaires, le gouvernement ne parvient pas à s’accorder sur une limitation de cette indexation. Il appartient dès lors au Parlement bruxellois d’adopter cette mesure à laquelle une majorité de députés est favorable, estime ce collectif de signataires (FGTB, CSC, MOC, Syndicat des locataires…)

L’inflation est au plus haut. Le prix des factures d’énergie s’envole, mais aussi celui d’autres produits comme l’alimentation. L’indexation des salaires et allocations offre une protection essentielle, mais partielle : le pouvoir d’achat de la plupart des ménages est bel et bien entamé.

Dans ce contexte, les locataires risquent de subir une double peine : à la croissance générale des prix vient s’ajouter une indexation de 8 à 10 % de leur loyer, ce qui équivaudrait à un mois de loyer supplémentaire par an. Une charge que ne connaissent pas les propriétaires qui occupent leur bien, car la quasi-totalité des prêts hypothécaires sont conclus à taux fixe et donnent donc lieu à une mensualité constante. De très nombreux locataires risquent de voir leur budget sérieusement ébranlé.

Une telle croissance des loyers constituerait un choc majeur de pauvreté, car si on peut réduire pour partie sa consommation d’énergie, voire même d’aliments, ce n’est pas possible pour son logement. Plusieurs pays européens comme la France, les Pays-Bas ou l’Espagne ont dès lors décidé de limiter temporairement l’indexation des loyers. À Bruxelles, la Secrétaire d’Etat au logement Nawal Ben Hamou, avait avancé cette proposition qui a toutefois été bloquée au sein du gouvernement par le ministre Bernard Clerfayt malgré diverses propositions d’assouplissement. 

Les arguments ne manquent pourtant pas pour justifier une telle limitation.

La pauvreté de la population bruxelloise d’abord. Le taux de risque de pauvreté et d’exclusion sociale s’élève à Bruxelles à 38 %, soit deux fois plus que la moyenne des régions européennes produisant un niveau comparable de richesses. Ce risque de pauvreté est plus de cinq fois plus important parmi les locataires que parmi les propriétaires. Les revenus des Bruxellois.es les moins nantis sont inférieurs de 25 % à la moyenne belge (1.521 € contre 1899 €).  

L’explosion des loyers ensuite. Ils enregistrent à Bruxelles des augmentations record : + 83  % de 2010 à 2020 à Bruxelles, soit près de cinq fois plus que l’inflation et près de trois fois plus que le revenu moyen des travailleurs et travailleuses. Le niveau actuel des loyers suffit donc à garantir l’attractivité de l’investissement et la rénovation immobilière, qui ne seraient donc nullement menacés par une simple limitation temporaire de l’indexation comme le prétend le Syndicat des propriétaires (SNPC). 

La part du budget affectée au logement s’élève dès lors mécaniquement, d’autant plus que la croissance des prix du logement n’est pas répercutée dans l’indexation des salaires et des allocations sociales. En Région bruxelloise, cette part du budget affectée au logement atteint désormais 35 % en moyenne et 43 % pour les plus bas revenus. En sont prioritairement victimes les isolé.es et les familles monoparentales, constituées à une majorité écrasante de femmes.

Les bailleurs ne perdraient en fait quasiment rien en cas de non indexation, en particulier ceux d’entre eux qui affectent le loyer perçu au remboursement d’un prêt hypothécaire dont la mensualité ne varie pas. D’autre part, beaucoup d’entre eux ont d’autres sources revenus qui sont indexées. Les multipropriétaires rentiers constituent une infime minorité. On ne saurait sacrifier à leur profit la situation de dizaines ou de centaines de milliers de ménages bruxellois.

L’indexation des salaires ne justifie en rien celle des loyers. Les salaires sont bridés par une marge salariale quasiment nulle tandis que les loyers sont libres d’augmenter sans limite. Si l’on veut instaurer une égalité entre les deux régimes, il faut créer une « marge locative », ce à quoi contribuerait la limitation de l’indexation des loyers.

Contrairement à ce que prétend le ministre Clerfayt, l’annulation par la Cour constitutionnelle du gel des loyers adopté en Wallonie en 2015 n’invalide pas la proposition envisagée actuellement au niveau bruxellois. La Cour a en réalité reconnu la légalité de principe d’un gel des loyers, et n’a annulé la mesure wallonne que pour des motifs techniques qui seraient sans influence aujourd’hui.

Soulignons également les propos du président de parti du ministre à l’occasion de la crise sanitaire: « Confiner chacun chez soi rappelle les inégalités criantes existantes en termes d’accès au logement, singulièrement dans les grandes villes, et plus encore à Bruxelles. »

Enfin, l’opposition du ministre Clerfayt est contraire à la Déclaration de politique régionale, qui plaide en faveur de l’accès à un logement plus abordable.

Faut-il dès lors s’incliner face à cette obstination à refuser une mesure d’urgence sociale ? Non. Face au risque d’une croissance majeure de la pauvreté, il est de la responsabilité du Parlement de se saisir en urgence de la question et de voter une ordonnance limitant l’indexation des loyers à 2 % avec effet rétroactif au 1er janvier 2022.

Estelle Ceulemans, Secrétaire générale de la FGTB Bruxelles

Paul Palsterman, Secrétaire régional de la CSC Bruxelles

Werner Van Mieghem, Coordinateur du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat

José Garcia, Secrétaire général du Syndicat des locataires

Isabelle Marchal, Co-présidente d’Inter-Environnement Bruxelles

Charlotte Renouprez, Secrétaire régionale Equipes Populaires Bruxelles

Céline Caudron, Secrétaire fédérale du MOC Bruxelles 

Le titre est de la rédaction. Titre original: « Limitation de l’indexation des loyers: le parlement bruxellois doit maintenant légiférer »

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