Anne-Sophie Bailly
Delhaize: les syndicats ont-ils raison de s’acharner ?
L’annonce du passage sous franchise des quinze premiers supermarchés Delhaize soulève plusieurs questions. Dont celle de la pertinence des actions syndicales. Plutôt que d’exiger le retrait du plan de franchise, ne devraient-ils pas concentrer leurs forces sur les conditions de reprise ?
Elle a été présentée comme un premier pas vers la concrétisation du projet par la direction. Elle a été perçue comme un coup de poignard par les travailleurs, comme une piètre avancée par les observateurs. L’annonce du passage sous franchise des quinze premiers supermarchés intégrés Delhaize en octobre et novembre prochains a apporté autant de questions que de certitudes sur la restructuration, en Belgique, du groupe au lion.
Des questions sur l’avenir de nombreux « Delhaiziens ». Conserveront-ils leur emploi ? Si oui, combien de temps et à quelles conditions ? Il faut le rappeler, la convention CCT 32 bis – censée protéger les travailleurs en cas de transfert d’entreprise – ne les mettra à l’abri ni d’un licenciement pour raison économique, technique ou organisationnelle ni d’une dénonciation des conventions maison. Et puis, après un conflit social si dur, comment restaurer la confiance et la motivation sur le lieu de travail ?
Des questions sur la pertinence des actions menées par les syndicats. Cinq mois de recours en justice, de piquets de grève, de blocages d’entrepôts n’ont strictement rien changé à l’annonce initiale. Pourquoi le retrait du plan de franchise est-il dès lors toujours exigé par les représentants des travailleurs comme préambule ? Pourquoi ne jettent-ils pas leurs forces dans la bataille pour bétonner les conditions de reprise du personnel dans les points de vente, pour que les « licenciements perlés » au siège tombent sous le coup d’une procédure Renault ?
Des questions sur l’intérêt réel des candidats franchisés. Malgré les déclarations enthousiastes du distributeur sur les marques d’intérêt et le calendrier de conversion, pourquoi seulement quinze repreneurs ont-ils signé, à ce jour, un contrat de franchise ? Les nouvelles conditions imposées par Delhaize sont-elles devenues à ce point restrictives qu’elles brident la volonté d’entreprendre ?
Outre les questions qu’elle charrie, l’annonce a aussi jeté une lumière crue sur certains mirages. Ceux qui laissaient croire que grèves et blocages allaient faire revenir le distributeur sur son plan. Que des actions du type boycottdelhaize.be allaient emporter l’adhésion du public et grever le chiffre d’affaires jusqu’à infléchir la direction batave. Que le sort des supermarchés belges, activité historique du groupe, avaient, à défaut d’un poids financier significatif, encore une portée symbolique pour Ahold Delhaize. Que les pouvoirs publics pourraient intervenir pour, au mieux, cadrer cette dérive sociale, au moins, renouer le fil de la concertation.
La réalité n’est pas celle-là. Elle est celle d’un groupe de distribution international coté qui met à exécution un plan pour ramener une de ses entités au niveau de rentabilité des autres, dans un marché hyperconcurrentiel. Qui a choisi pour cela le recours à la franchise, pour diluer son risque tout en gardant un maillage serré de points de vente. C’est celle d’un groupe qui table sur la lassitude des travailleurs, l’oubli des consommateurs et la perte d’intérêts communs pour aboutir. C’est celle d’un groupe qui a fixé une échéance : 2028. Celle d’un groupe qui pourrait, après cette date, sortir de ses cartons un plan B plus douloureux.
Bienvenue du côté de la vraie vie.
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