Bertrand Candelon

Ne tirez pas sur les prévisionnistes (chronique)

Bertrand Candelon Professeur de finance à l'UCLouvain et directeur de la recherche Louvain-Finance.

Avant de jeter l’opprobre sur les prévisions, il convient de mieux comprendre comment elles sont faites.

Le 18 février, le gouvernement français a annoncé une réduction de presque 50% de ses prévisions de croissance pour 2024. Cette révision est loin de constituer une exception et s’ajoute à la longue liste des erreurs commises par les prévisionnistes quant aux futurs niveaux de l’inflation, du prix du pétrole ou des taux de change. Certains analystes en viennent à s’interroger sur la nécessité de continuer à réaliser de tels exercices. Avant de jeter l’opprobre sur cette activité, il convient de mieux comprendre comment elle est faite.

Les prévisions se font à partir de modèles, qui exploitent les propriétés statistiques des variables. Ils partent de l’hypothèse que les évolutions passées se reproduiront, dans une certaine mesure, dans le futur si les conditions sont identiques. Par exemple, l’inflation présente la particularité d’être très persistante, ce qui signifie que lorsqu’un choc survient et pousse les prix à la hausse, cette augmentation ne se résorbera que très lentement. Les modèles de prévision reposent aussi sur des lois comportementales étudiées par la théorie économique. Ainsi, entre autres, les études ont montré qu’une augmentation des taux d’intérêt réduit l’investissement. Le modèle prédictif prendra donc en compte ce lien causal et estimera sa force (appelée «l’élasticité») afin de produire une prévision. Finalement, les modèles peuvent aussi inclure des relations comptables, qui constituent des liens automatiques et, par construction, entre variables. Par exemple, le produit intérieur brut à partir duquel se calcule la croissance se construit comme la somme de la consommation, de l’investissement, des exportations nettes et des variations de stocks.

Les prévisions ainsi produites sont donc sujettes à plusieurs types d’incertitudes. Tout d’abord, elles dépendent du modèle considéré. Certains donnent plus de poids aux équations comptables, d’autres préfèrent mettre l’accent sur les propriétés de persistance ou de volatilité, aboutissant forcément à des projections différentes. Ensuite, les prévisions sont sujettes à une incertitude de paramètres. Les équations comportementales sont estimées, elles ne retracent pas exactement tous les liens causaux. Enfin, comme une prévision repose sur des informations passées, il est impossible de considérer avec certitude la survenue de chocs futurs, qui sont, par définition, imprévisibles (comme le Covid) ou peu probables. Compte tenu de ces aléas, une prévision ne devrait jamais prendre la forme d’une valeur ponctuelle mais d’un intervalle de confiance comme «à 95%, la croissance future se situera entre 0,2% et 1,5%».

Le fait de réduire la prévision de croissance à 0,9% ne signifie donc pas que les modèles sont inopérants mais que le choix de cette valeur était trop optimiste au moment de la prévision et que compte tenu des nouvelles informations, la valeur réalisée se situera dans le bas de l’intervalle de confiance. Toute prévision évalue et inclut donc une dimension d’incertitude et c’est ce qui la rend scientifiquement supérieure à une prédiction provenant de la lecture d’une boule de cristal. Les analystes critiquant ces exercices devraient donc mieux les comprendre avant de se permettre de les juger.

Toute prévision inclut une dimension d’incertitude et c’est ce qui la rend scientifiquement supérieure à une prédiction.

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