Laurane Wattecamps

Pourquoi les couples font-ils l’amour dans le noir? (chronique)

Tout le monde y pense, (quasi) personne n’en parle: la sexualité reste souvent cantonnée à la sphère intime et est rarement analysée comme un phénomène de société. Pourtant, sous la couette, les couples sont confrontés aux mêmes problèmes, stéréotypes, attentes. Pour les décrypter, Une sacrée paire prête ses pages durant l’été à la sexologue et journaliste Laurane Wattecamps. Cette semaine, elle aborde la question des relations sexuelles qui se déroulent majoritairement dans le noir et décrypte pourquoi.

Lumière tamisée, regards de braise, rien n’invite plus à l’intimité qu’une atmosphère érotique. Pourtant, si l’on en croit plusieurs études, dont une réalisée en 2017 par le site médical Zava, la majorité des relations sexuelles se déroulent dans le noir. Plus de la moitié des gens éteignent la lumière pour s’adonner aux plaisirs de la chair, et davantage encore les couples mariés que les célibataires. Si 57% de la population française affirme éprouver ainsi plus de confort, ce sont les Anglais (65%) qui osent le moins s’afficher dans leur nudité. Une requête émanant principalement des femmes: 64% des sondées exigent l’obscurité. En cause, notamment, des difficultés à se sentir à l’aise dans son corps et à le soumettre au regard de l’autre. Difficultés qui ne sont sans doute pas étrangères aux injonctions pesant sur l’esthétique corporelle, auxquelles la plastique des sexes n’ échappe pas.

Plus de la moitié des gens éteignent la lumière pour s’adonner aux plaisirs de la chair, et davantage encore les couples mariés que les célibataires.

Alors que les pénis sont exposés toute tête dehors dès la naissance, «entre les cuisses des femmes, il n’y a qu’ absence de phallus», énonçait Freud. A l’époque médiévale déjà, la vulve était nommée «pudendum» ; mot dérivé du latin «pudere», qui signifie «avoir honte». En résultent encore à notre époque des interrogations pusillanimes: «mes lèvres sont-elles trop grandes?», «pourquoi ne sont-elles pas symétriques?», «mon vagin est-il suffisamment serré?». Des questions qui font subsister la honte et qui s’ajoutent à la liste de nombreuses angoisses liées au physique, au point de ne plus oser se dévêtir à moins d’éteindre la lumière. Et qui font écho au complexe du vestiaire touchant la gent masculine: «mon pénis a-t-il la taille moyenne?»

Sauf que les hommes optent plus volontiers pour la lumière. Le stéréotype de genre affirmant qu’ils ont besoin de stimuli visuels pour maintenir leur excitation entre en résonance avec les résultats des diverses études: ils seraient 75% à préférer un corps exposé à la beauté du jour. Au point de sacrifier le confort de leur partenaire? Rien n’est moins sûr. «L’ amour, c’est comme la photographie, ça se développe dans le noir», affirmait-on bien avant le numérique. Mais si la technologie a évolué, l’adage n’a pas pris un pli. Corps lissés par la pénombre, vergetures camouflées dans la nuit, imaginaire érotique boosté par moins de visuel, les stratagèmes mis en place pour faire fi des complexes laissent entrevoir un soupçon de lâcher-prise. Une stratégie souvent nécessaire pour accéder au plaisir, surtout pour 67% des femmes qui se disent mal à l’aise dans leur corps, selon une enquête réalisée, en 2020, par la société de sondage YouGov auprès de plus de mille femmes de 18 ans et plus.

Alors que les hommes s’inquiètent davantage d’avoir une érection et de la maintenir, les femmes seraient plus centrées sur elles-mêmes et chercheraient à éteindre leurs pensées parasites en même temps que la lampe de chevet. Un phénomène, nommé «spectatorisation», que l’on observe largement en consultation sexologique: les moues d’expression de l’orgasme vont aussi de pair avec une angoisse d’apparence qui empêche bien souvent l’accès à la jouissance. Une inquiétude plutôt paradoxale, surtout dans les couples hétérosexuels, puisque les hommes désignent cet élément comme un facteur excitant. A l’origine de ce mal-être, des représentations qui manquent cruellement de diversité, que ce soit dans les médias, les films ou la publicité et qui, en démultipliant les modèles inaccessibles, induisent une série de croyances erronées sur le corps et la sexualité. C’est sans doute à ce niveau que des pistes de solutions existent. En témoignent les initiatives bodypositives et la quête de «visibilisation» de l’infinité de corps en tout genre qui peuple le monde. De quoi mettre la lumière sur ces plis et creux qui nous habitent et, petit à petit, apprendre à s’en délecter, sans pour autant attendre la validation d’un regard extérieur.

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