Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi les voix des femmes irritent tant

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Trop aiguës, trop masculines, trop irritantes… Les voix féminines sont souvent l’objet de critiques. Pourquoi tant de haine? «On aime l’image des femmes, pas le son.»

La glottoplastie de Wendler. La thyroplastie de relaxation. Ou encore… du Botox dans les cordes vocales. Rien n’arrête la chirurgie (esthétique). Une voix trop grave, ou bien trop perçante? Ces opérations promettent d’atteindre le timbre espéré (et, accessoirement, de soigner des pathologies). Ainsi, en Corée, selon un reportage de France Inter, certaines patientes sollicitent un médecin pour devenir moins rauques, «car les Coréens préfèrent les femmes avec une voix douce et aiguë», dixit le docteur Ahn.

En Europe, ce serait plutôt l’inverse. Dans son ouvrage Une voix à soi (éd. Guy Trédaniel, 2024), Aline Jalliet décrit comment l’aigu n’est plus le bienvenu. Pour les auditeurs («une règle ancestrale de la radio veut que l’on ne diffuse jamais plus de deux voix de femmes à la suite», trop agaçantes, nasillardes, hystériques, paraît-il), comme pour les locutrices: les voix des femmes auraient tendance à devenir de plus en plus graves au fil des années, selon une étude australienne qui les avait étudiées entre 1945 et 1993.

Aline Jalliet, coach vocale ayant accompagné quelques personnalités politiques ou entrepreneuriales désireuses de trouver le bon ton, confie avoir elle-même eu tendance à baisser de quelques Hertz, pour «gagner en crédibilité, légitimité… puissance». A la Margaret Thatcher, qui avait suivi des cours en la matière. Histoire de paraître plus autoritaire.

Toutes des chouineuses. Des chieuses. Avec leurs voix de crécelles.

«Les stéréotypes auditifs continuent encore trop souvent à piéger la voix des femmes à leur insu», écrit la coach. Comme un brouilleur d’ondes qui empêche d’entendre, ou plutôt d’écouter, ce qu’elles racontent. Même quand elles braillent. En 2016, une étude franco-britannique avait ainsi révélé que les intentions attribuées à… des cris de bébés étaient différentes selon le sexe supposé du poupon. Ainsi, les pleurs des «fillettes» (qui n’en étaient d’ailleurs pas toujours) étaient souvent considérés comme moins justifiés, ne traduisant pas de réel inconfort.

Toutes des chouineuses. Des chieuses. Avec leurs voix de crécelles. Ou de poissonnières, comme ses congénères aimaient qualifier celle d’Edith Cresson, l’unique Première ministre française au début des années 1980. Quelles insultes la socialiste Laurette Onkelinx n’avaient pas dû subir, alors qu’elle était cheffe de groupe de l’opposition à l’époque de la suédoise (gouvernement MR-N-VA). «Je ne suis pas une hystérique», avait-elle dû se justifier, pour avoir trop crié lors de ses interventions.

Ce n’est en général pas (plus) la «présence» d’une femme qui dérange. Mais bien sa prise de parole. «On aime bien l’image des femmes, mais pas le son», pour paraphraser l’ancienne ministre française des Sports, Chantal Jouanno.

Une seule voix d’homme (cf. PPDA, Depardieu, Polanski, Jacquot…) a la capacité de réduire au silence celles de nombreuses femmes… pour autant qu’elle ne sonne pas trop aiguë, donc féminine, bien sûr! Car elle reste associée à la légitimité, la crédibilité, donc la vérité. Elle a l’habitude d’être entendue, elle ne craint de s’exprimer. Rien d’étonnant à la mode du vocal fry, comme disent les Américains, soit la tendance, côté féminin, à comprimer ses cordes vocales pour parler deux octaves sous la fréquence habituelle. Soit se rapprocher de la tonalité des hommes… pour être mieux entendues. Une victoire de la masculinité hégémonique sur toute la fréquence.

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