Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi les voix des GPS sont féminines (et pourquoi c’est un problème)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Les voix des GPS, comme celles des assistants vocaux, sont toutes (par défaut) féminines. Un détail qui n’en est pas un. Car il s’agit d’une manière d’ancrer dans les consciences que les femmes sont avant tout des assistantes. Dociles, en plus.

Comme quoi, un président peut avoir mené un mandat peu glorieux et néanmoins avoir révolutionné la société. Car quand il ne s’embourbait pas dans des scandales d’espionnage politique, Richard Nixon donnait l’impulsion qui conduirait à la création du premier système GPS conçu par le département américain de la Défense en 1973, il y a pile cinquante ans.

Alors c’est un peu étonnant, finalement, que la voix métallique qui guide quotidiennement des millions d’utilisateurs n’ait pas été masculine. Une bonne grosse intonation militaire: «Tournez à gauche!», «Faites demi-tour!», bande d’ignares de l’orientation. Il paraît que c’était un héritage de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’une voix féminine était utilisée dans le système de navigation du cockpit des avions de chasse, censément pour se distinguer du vacarme du moteur. Il paraîtrait, aussi, qu’une directive féminine serait plus aisément compréhensible.

Mouais. Tous les assistants vocaux ont ensuite privilégié la même option. Alexa (Amazon), Siri (Apple), Cortana (Microsoft), «hey Google»: que des filles. De gentilles filles, en plus. Toujours disponibles, parfaitement serviables, extrêmement polies, même pas besoin de leur donner du «s’il vous plaît» ou du «merci». Jamais offusquées, même lorsque certains lançaient un «Siri, you’re a bitch». Il aura fallu huit ans (soit lorsque des utilisateurs s’en sont offusqués, en 2019) pour que la réponse ne soit plus «Je rougirais si je le pouvais». Pendant longtemps, sa copine Alexa répliquait un «Bon, merci pour le feed-back» suite à un «Tu es une traînée», ou encore «C’est gentil de dire ça» lorsque quelqu’un lui lançait «Tu es chaude».

Et si les voix des technologies d’assistance étaient féminines parce que les femmes restent synonymes de dévouement et de servilité?

Et si c’était (inconsciemment?) pour ça que les voix des technologies d’assistance étaient féminines? Parce que les femmes restent synonymes tout à la fois d’aide, d’assistance (le fameux care), de dévouement et de servilité? Parce que ces voix sont les prolongements virtuels de toutes ces assistantes, secrétaires, réceptionnistes? Parce que les ingénieurs militaires ou de la Silicon Valley sont, dans leur immense majorité, des mâles blancs cisgenre qui reproduisent les clichés sexistes dans lesquels ils ont baigné toute leur vie?

«Les assistants vocaux d’intelligence artificielle à l’apparence féminine perpétuent [des] stéréotypes sexistes préjudiciables», concluait, en 2019, un rapport de l’Unesco (long de 146 pages) sur le sujet. Qui notait, par exemple, que «beaucoup d’entreprises continuent à recourir à des voix masculines pour fournir des services ou des renseignements importants et à des voix féminines pour répondre aux simples demandes d’assistance». Pour le sociologue américain Calvin Lai, cité dans cette analyse, «plus la culture apprend aux gens à faire le parallèle entre femmes et assistance, plus les femmes seront vues comme des assistantes et pénalisées si elles ne le sont pas».

En 2019, le cabinet de recherche Gartner prédisait que, dès 2020, beaucoup de gens converseront davantage avec leurs assistants numériques qu’avec leur conjoint. Bah oui. Alexa, Siri, Cortana: des femmes, en mieux. Qui ne l’ouvrent que lorsqu’on le leur demande.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire