Carte blanche

La relocalisation de l’agroalimentaire passera par l’innovation (carte blanche)

Le Covid puis la guerre en Ukraine ont remis en avant la nécessité de relocalisation de la production alimentaire. Mais comment, pourquoi, où ? L’avis de François Héroufosse, general manager de Wagralim.

C’est une évidence: la pandémie du Covid a, dès le début de l’année 2020, provoqué d’importants problèmes d’approvisionnement dans la chaîne agroalimentaire, logiquement suivis d’augmentations des prix. Pas seulement dans la chaîne agroalimentaire d’ailleurs : le problème d’approvisionnement des masques était profondément révélateur…

Ajoutée à cette pandémie, la guerre en Ukraine a achevé de mettre en exergue les dangers d’une trop
grande dépendance vis-à-vis de l’étranger dans l’approvisionnement de l’Europe
. En première ligne, toujours l’agroalimentaire, mais également les composants électroniques causant des retard énormes dans la livraison de certains bien utilisant de la technologie au sens large, des voitures aux téléphones portables. Le remède ? La relocalisation de la production en Europe d’une série de produits essentiels…

Focalisons-nous sur les difficultés de l’agroalimentaire dans un premier temps symbolisées par les difficultés d’exportation d’huile de tournesol et du blé ukrainiens. Tout d’abord, la Commission européenne, confrontée à une hausse des prix des denrées alimentaires et des coûts liés à la production (énergie, engrais…) a présenté il y a peu une série d’actions à court et moyen termes afin d’améliorer la sécurité alimentaire mondiale et de soutenir les agriculteurs et les consommateurs européens.

Mais surtout, début juin, Antonio Guterres a explicitement tiré la sonnette d’alarme en déclarant dans de nombreux médias : « L’impact de la guerre sur la sécurité alimentaire, l’énergie et les finances est systémique, grave et s’accélère (…). Pour les populations du monde entier, la guerre menace de
déclencher une vague sans précédent de faim et de misère, laissant dans son sillage le chaos social et économique (…). Si la crise alimentaire de cette année est liée à un manque d’accès aux denrées alimentaires, l’année prochaine pourrait être une question de manque de nourriture ».

Les consommateurs européens n’ont toutefois pas attendu cette actualité pour réagir. La relocalisation des systèmes alimentaires rime avec des principes comme la durabilité des exploitations, la résilience des territoires, la maîtrise de la qualité et bien sûr la souveraineté alimentaire… Les initiatives qui ont fleuri un peu partout sont essentiellement locales, et prouvent l’implication citoyenne dans le principe.

Ainsi, les ceintures alimentaires qui se développent autour des villes, et concernent surtout les activités de maraichage, sont de véritables laboratoires pour repenser en partie l’approvisionnement de demain. Dans le même ordre d’idées, des initiatives publiques cherchent par exemple à favoriser l’approvisionnement local de cuisines de collectivité. Une dernière preuve si besoin était de l’intérêt du citoyen européen dans cette réflexion : les diverses chaines de distribution, généralement peu portées sur l’aspect éthique, mettent en avant des produits issus de filières nationales ou régionales, ou de transformateurs régionaux.

Ces initiatives sont sans conteste utiles… mais ne suffisent pas. Le système alimentaire reste mondial, globalisé. Surtout qu’avec la baisse du pouvoir d’achat, on constate que le consommateur a tendance à se détourner du circuit court et à retourner dans le circuit « classique ». La relocalisation qui s’impose n’a aucune chance de réussir sans un important effort d’adaptation et surtout d’innovation.

Prenons un exemple : la filière de la protéine végétale, pour laquelle l’innovation agit sur toute la chaîne de valeur. Tout d’abord au niveau de l’approvisionnement, où il faut adapter l’itinéraire technique pour obtenir des rendements agricoles satisfaisant et s’adapter aux fortes fluctuations climatiques (inondation, sécheresse…). Ensuite, il faut intégrer la réduction des molécules disponibles en matière de protection des plantes contre les maladies (une orientation prise dans le Pacte Vert européen). Enfin il faut adapter le
traitement post-récolte aux nouvelles formes de mise en culture, comme par exemple le tri destiné à éviter toute trace de gluten de blé dans les légumineuses issues de cultures mixtes. Ou maitriser la qualité pour orienter les produits vers l’alimentation animale ou humaine. On peut ajouter à cette chaîne de valeur une réflexion sur la transformation alimentaire, pour laquelle des techniques qui respectent le « clean label » demandées par le marché deviennent incontournables… In fine, il reste surtout à convaincre le consommateur en lui présentant de nouveaux concepts de produits qui s’écartent des imitations de la viande, disponibles aujourd’hui en qualités variables.

Ces innovations, c’est à souligner, ne sont pas l’apanage d’acteurs locaux, mais sont également portées au travers de collaborations internationales, qui réagissent tant à la situation de la production mondiale qu’aux desiderata de clients de plus en plus nombreux.


L’agriculture raisonnée tend ainsi à s’étendre, comme avec le principe d’agriculture régénérative, capable de régénérer les sols notamment en portant une attention particulière sur le carbone.


Mais nous en sommes aux prémices… L’innovation en agroalimentaire a devant elle un avenir aussi large que varié. Un avenir sous forme de questions, notamment dans le champ des nouvelles sources alimentaires : peut-on lancer de nouvelles filières, comme le chanvre (protéines, huile, applications textile…) tout en atteignant une rentabilité suffisante pour les maillons de la chaine ? Quels avantages tirer des pratiques d’économie circulaire en valorisant mieux les co-produits ? Est-il possible voire souhaitable de produire en quantité et qualité en s’appuyant sur la fermentation, les microalgues, ou même la viande in vitro ? Quelle est la place de l’agriculture urbaine dans ce mix ? Et bien sûr, ces réflexions doivent être menées dans le plus profond respect des critères de durabilité, en intégrant une
dimension de responsabilité sociétale, et en minimisant la demande en énergie fossile…

Les questions ne se limitent toutefois pas aux nouvelles sources alimentaires. Ainsi, les modèles de transformation sont également en première ligne dans cette vaste réflexion… Ces modèles doivent-ils évoluer vers des équipements flexibles voire mobiles, capables de traiter différents types de matières premières, pour produire des gammes plus larges de produits ? Et quelle sera la place de la digitalisation, en plein essor, qui devrait permettre une meilleure gestion des flux et une meilleure anticipation de la demande (connexion supply chain – transformation – consommateur) ?

La relocalisation de l’agroalimentaire, qui ne peut s’imaginer qu’à l’échelle d’un continent afin de spécialiser certaines productions tout en gardant une flexibilité maximale au service de la résilience, donne lieu à beaucoup de questions, mais également à une certitude : sans innovation, pas de relocalisation possible…

François Héroufosse, General Manager Wagralim

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