Carte blanche

Comment purger la démocratie des « démocrasseux » ?

« La polémique actuelle sur les compléments de pension octroyés à des mandataires publics ravive l’éternelle question : être légal suffit-il pour être moral ? La réponse est non, à l’évidence, quand des as de l’ingénierie fiscale détournent l’esprit de la loi pour gruger l’État », écrit François-Xavier Druet, Docteur en Philosophie et Lettres.

Les griefs à l’égard des femmes et des hommes politiques se multiplient et se diversifient. Ils se sont concentrés il y a peu sur leur rapport à l’argent et sur leurs rémunérations. Mais, comme souvent, un sujet en chasse un autre. Or ce serait dommage que cette question passe au bleu sans recherche de remède. Car les politiques voient leur image se dégrader sous les coups de révélations successives. Risquons un néologisme, les « démocrasseux », qui pourrait regrouper tous les individus engagés en politique dont le comportement salit à fois la gent politique et l’esprit démocratique. Et voyons s’il est imaginable de les mettre sur la touche.

Ce serait trop facile et simpliste de les rattacher à un parti plutôt qu’à un autre. Encore que le modèle d’un parti puisse favoriser plus qu’un autre ces égarements. Même si ces dérives sont imputables aux consciences individuelles, elles prennent souvent aussi un caractère collectif, qu’on pourrait dire « corporatiste ». La classe politique n’est-elle pas la mieux placée pour veiller aux (sur)intérêts de la classe politique ?

Dès l’Athènes de Démosthène, la démocratie a pâti de ce piège tendu aux représentants du peuple. Au IVe siècle avant notre ère, l’orateur déplore la dégradation des mœurs politiques. Il relève qu’auparavant, la maison du politicien n’en jetait pas plus que celle du voisin[1]. Chacun se sentait obligé de faire croître la richesse commune plutôt que sa fortune personnelle. Désormais, regrette-t-il, certains visent à s’enrichir grâce aux affaires publiques. « Devenus esclaves de la faveur qui assure les votes, ils rêvent des hautes charges au lieu de prendre en main le bien de la cité[2]. »

D’emblée, les tenants de la démocratie se sont rendu compte de l’inévitable tension entre l’intérêt personnel et le bien commun. En fait, cette tension n’est pas l’apanage des hommes politiques. Elle habite tous les citoyens d’une démocratie, tentés de puiser dans le bien commun de quoi alimenter leur cagnotte privée. Difficile de préciser – sur quelle base ? – lesquels sont majoritaires : ceux qui succombent à la tentation, à petite et à grande échelle, ou les citoyens vertueux qui ménagent harmonieusement leurs affaires et le bien commun ?

Admettons que le politicien soit simplement sujet à la même tentation que le citoyen. Sa position est pourtant différente. Car en se présentant au suffrage des électeurs, il se définit comme gestionnaire responsable du bien commun. Par essence, l’engagement politique postule un respect sans failles du bien commun. Tant mieux si, dans sa sphère privée, le politicien choisit de montrer un bon exemple de citoyen vertueux. Mais, dans son action publique, la logique démocratique ne lui autorise qu’un seul choix : la stricte observance du bien commun.

Présumons notre candidat élu par le peuple. Le voici au pouvoir. La tentation se fait plus insidieuse, car le pouvoir et l’argent sont des comparses opportunistes. Nous découvrons leurs manigances de révélations en divulgations. Là encore, pots-de-vin, prises d’intérêts, favoritisme, conflits d’intérêts, abus de biens sociaux, détournements de fonds, etc., n’ont pas l’exclusivité du pouvoir politique. N’empêche que de telles pratiques indignent davantage lorsqu’elles impliquent les représentants élus par le peuple, pour le peuple.

La polémique actuelle sur les compléments de pension octroyés à des mandataires publics ravive l’éternelle question : être légal suffit-il pour être moral ? La réponse est non, à l’évidence, quand des as de l’ingénierie fiscale détournent l’esprit de la loi pour gruger l’État. Elle reste non aussi quand des parlementaires échafaudent un système de privilèges à usage personnel. Par qui et comment s’instaurera une juste procédure pour éviter que les politiques puissent être juges et parties ? Ils seraient dépossédés du pouvoir d’édicter lois et règlements discriminatoires en faveur de leur caste.

Ce premier pas, nécessaire, empêcherait un entre-soi dont l’expérience démontre qu’il ne parvient pas à se réguler lui-même, moralement parlant. Au moins, ce ne serait pas avec la protection de la loi que la démocratie serait bafouée et souillée. Les « démocrasseux » ne se compteraient plus que parmi les bourreaux de la loi.

En définitive, l’équilibre périlleux entre intérêt personnel et bien commun renvoie chacun, citoyen comme politicien, à sa conscience personnelle. L’indignation du citoyen face aux errances politiques en la matière est tout à fait légitime. Elle sera d’autant plus bénéfique si elle encourage chaque citoyen à regarder aussi dans sa propre assiette.

François-Xavier Druet, Docteur en Philosophie et Lettres.


[1]     Démosthène, Olynthiennes, III, 26.

[2]     Démosthène, Sur l’organisation financière, 19.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire