La ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) et le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) vont devoir composer avec les sept membres de la Vivaldi pour accoucher d'une réforme des pensions.

« Ça doit inquiéter tout le monde » : l’immobilisme de la Vivaldi sur les pensions risque de coûter (très) cher

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Incapable de satisfaire aux exigences de la Commission en termes de pensions, la Belgique se voit actuellement privée de sa première tranche du plan de relance européen. Dans l’intervalle, l’Etat est contraint d’« emprunter » plus de 400 millions d’euros pour continuer à soutenir ses projets. Alors que les taux d’intérêt s’envolent, les finances publiques risquent de s’en voir sérieusement impactées.

S’il y a un dossier qui empoisonne la vie de la Vivaldi depuis le début de la législature, c’est sans conteste celui des pensions. En concluant un accord au forceps l’été dernier, le gouvernement pensait s’ôter une belle épine du pied. Mais ce n’était que l’amorce d’ennuis plus profonds. Les calculs du Bureau du Plan, publiés dans la foulée, étaient sans appel : la « réformette » de la ministre socialiste Karine Lalieux entraînerait un surcoût budgétaire estimé entre 0,1 et 0,3% du PIB à l’horizon 2070. Loin de satisfaire aux conditions de soutenabilité du régime de pension à long terme.

Il a donc fallu mettre l’ouvrage sur le métier. Et rapidement. Car une réforme des pensions neutre budgétairement (a minima) faisait partie, entre autres, des exigences de la Commission européenne pour octroyer à la Belgique la première tranche de son plan de relance, soit quelque 850 millions d’euros. Dans les faits, le gouvernement avait jusqu’au 13 janvier pour revoir sa copie et ainsi introduire sa demande officielle de libération des fonds auprès de la Commission. Mais quatre mois plus tard, après moult reports, tergiversations et propositions avortées, les discussions sont toujours au point mort.  

Un « emprunt » de 408 millions d’euros

Faute d’accord, et donc, de fonds européens, l’Etat belge se voit contraint d’emprunter sur les marchés pour continuer à financer ses nombreux projets de relance. S’il ne s’agit pas d’un emprunt à proprement parler – le gouvernement a plutôt relevé le plafond de sa ligne de crédit existante – il faudra tout de même un jour s’acquitter d’un montant, non-négligeable, de 408 millions d’euros. A l’heure où les finances publiques sont déjà exsangues et que les taux d’intérêt explosent, ce remboursement inquiète sérieusement.

« L’indécision de la Vivaldi sur la réforme des pensions a désormais un coût en monnaie sonnante et trébuchante »

A commencer par le président de Défi, François De Smet, qui a interpellé le Premier ministre Alexander De Croo à ce sujet à la Chambre, jeudi. « L’indécision de la Vivaldi sur la réforme des pensions – et sur de nombreux autres dossiers – a désormais un coût en monnaie sonnante et trébuchante », confie le député, inquiet par la remontée spectaculaire des taux d’intérêt ces six derniers mois. « On aurait été à une autre époque, par exemple il y a deux ans avec des taux d’intérêts nuls voire négatifs, on aurait pu se dire que ce n’est pas trop grave d’emprunter pour sa propre relance. Mais ce n’est pas le cas. » Alors que la dette de l’Etat s’élève aujourd’hui à 8,5 milliards d’euros et que les prédictions tablent sur 16 milliards d’ici 2028, l’horizon budgétaire belge n’est pas au beau fixe. « On va bientôt arriver à dix milliards par an de charges d’intérêts de dette, c’est énorme. C’est de l’argent du contribuable qui pourrait être investi dans autre chose », insiste François De Smet.

Pensions: « C’est pitoyable »

De son côté, le Premier ministre se veut rassurant. L’impact financier de cet « emprunt » sera « extrêmement réduit », promet le libéral flamand, sans toutefois pouvoir le calculer précisément. Quel qu’il soit, il serait en tout cas regrettable que la Belgique passe à côté de cette première manne européenne. D’autant plus qu’elle conditionne l’octroi de la seconde tranche du plan de relance, et par extension le financement des projets des Régions et des Communautés, tributaires du fédéral.

« L’Europe ne nous demande pas une révolution »

Pour Pierre Devolder, professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain, l’immobilisme de la Vivaldi sur le dossier pensions devrait « inquiéter tout le monde ». «  C’est pitoyable, tonne l’expert. C’est quand même assez invraisemblable que pour des raisons de disputes entre partis et d’électoralisme, on ne parvienne pas à se mettre d’accord sur des mesures minimalistes. » Car pour le professeur, l’enveloppe européenne est à portée de main et ses exigences sont loin d’être inatteignables : « L’Europe ne nous demande pas une révolution. Par exemple, elle n’exige pas d’augmenter l’âge du départ à la retraite à 75 ans. La Commission a même plutôt une vision assez minimaliste sur le court-terme : elle veut au minimum que la Belgique démontre que sa proposition assure une certaine soutenabilité du système, ce qui me semble quand même frappé de bon sens. »

Deadline: 21 juillet

Bien consciente de l’enjeu, la Vivaldi peine pourtant à accorder ses violons depuis des mois. Sur ce dossier, comme sur nombre de thématiques sociales, la fracture entre l’aile droite et l’aile gauche du gouvernement est particulièrement profonde. Alors que socialistes et écologistes, emmenés par la ministre Karine Lalieux, tablent sur une simple correction des mesures présentées en juillet afin d’en neutraliser le coût budgétaire et l’impact genré, la famille libérale et les chrétiens-démocrates veulent une réforme plus ambitieuse, qui permettra des économies sur le long terme. « Il ne faut pas penser qu’on va satisfaire la Commission européenne avec un chat dans un sac, glisse une source libérale. Il est grand temps de présenter un projet concret, chiffré, qui va au-delà de la simple révision des mesures de juillet. » Au vu de cette approche diamétralement opposée, François De Smet en vient à douter des capacités de la Vivaldi à accoucher d’une réforme digne de ce nom. « On est vraiment dans un nœud, et je ne vois pas comment on va s’en sortir rapidement. »

« Il ne faut pas penser qu’on va satisfaire la Commission européenne avec un chat dans un sac »

Qu’importe. L’objectif de la Vivaldi reste intact : aboutir d’ici le 21 juillet. Les équipes de Lalieux et De Croo travaillent de concert pour tenter de déminer le dossier, assure le cabinet socialiste, qui précise que les discussions reprendront « prochainement » au sein du kern (Conseil des ministres restreint, NdlR).

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