Un honnête Tom

En trente ans, Tom Hanks est devenu l’un des acteurs favoris du public, qui plébiscite ses personnages positifs et son attitude irréprochable. Mais pourquoi est-il si gentil ? Rencontre, alors que sort sur les écrans Capitaine Phillips.

Tom Hanks est indubitablement une star. Et pas n’importe laquelle : la plus populaire dont le cinéma américain peut actuellement s’enorgueillir. Jamais un mot de travers, un immuable visage de poupon malgré ses 57 ans, une vie privée bien rangée, une carrière jalonnée de succès planétaires (Philadelphia, Forrest Gump, Il faut sauver le soldat Ryan, Da Vinci Code…). Et, parce qu’il n’a ni les muscles de Bruce Willis ni le sex-appeal de Brad Pitt, à lui les personnages de  » M. Tout-le-Monde « , de types ordinaires confrontés à des situations extraordinaires. Dans son dernier film, par exemple, il est le Capitaine Phillips, un commandant de marine marchande américain pris en otage par des pirates somaliens. Hanks se transforme-t-il pour autant en héros salvateur ? Non. Il est courageux mais pas téméraire, malin mais pas inconscient. En un mot, humain.  » L’histoire est authentique, explique-t-il. On n’allait pas en faire un thriller standard. Et puis Paul Greengrass (le réalisateur) et moi sommes très attachés à la logique et à la vérité.  »

En clair, Tom Hanks ne triche pas. Jamais. L’accueil est chaleureux et sans ambages. Debout, dans le salon d’une suite d’hôtel parisien, il remarque le téléphone mobile posé sur la table en guise d’enregistreur et engage illico la conversation autour de la nouvelle interface iOS 7, qu’il hésite à installer sur son iPhone. Il y a sujet plus passionnant, mais la vedette dialogue si naturellement que vous en oubliez son statut. En un instant, Tom Hanks devient sinon un pote, au moins une connaissance, transformant l’interview en discussion. Sympa. Ou gentil, puisque c’est l’adjectif qui revient systématiquement quand on parle de lui ou de ses rôles. A force d’être posée, la question est d’ailleurs devenue une antienne :  » Vous n’en avez pas marre d’avoir cette image de gentil ?  » Et il n’en a pas marre qu’on lui demande cela ?  » Non, répond-il tout sourire. Je véhicule cette image malgré moi. Je ne me force pas. J’ai une bonhomie naturelle qui est devenue un créneau, mais sur laquelle je ne cherche pas à surfer.  » Mais qu’il ne cherche pas non plus à détruire. L’a-t-on déjà vu dans la peau d’un méchant ? A la rigueur dans Les Sentiers de la perdition, de Sam Mendes, où il était un tueur à gages.  » J’abattais les gens d’une balle dans la tête mais, comme je vengeais ma femme, on me disait que j’avais de bonnes raisons d’agir ainsi. Mon apparence prend toujours le dessus !  » Comme James Stewart, à qui on ne cesse de le comparer. Et qu’il a rencontré au milieu des années 1990. Conseil de l’ancien :  » Continuez de cartonner au box-office.  » Le jeune Hanks suivra la recommandation à la lettre. En outre, il aurait été parfait dans La vie est belle, L’Appât ou L’homme qui en savait trop. Mais sa rage sous-jacente exploitée dans quelques séquences de Cloud Atlas, la roublardise dont il fait preuve dans La Guerre selon Charlie Wilson le rapprochent également de Spencer Tracy, avec qui il partage le rare privilège d’avoir reçu deux années de suite l’oscar du meilleur acteur. Du coup, on verrait volontiers Tom Hanks en Dr. Jekyll et Mr. Hyde ou en rescapé d’un lynchage comme dans Furie (deux rôles phares de Spencer Tracy). Il en convient :  » Ce sont de belles références. De même que si on me proposait d’être Richard III ou Iago (dans Othello), j’accepterais sur-le-champ. Mais on ne m’a jamais présenté de tels rôles. Aujourd’hui, le problème du méchant au cinéma est son manque de structure. Il est juste maléfique, manipulateur, dépourvu d’un comportement humain cohérent.  » Plus ou moins récemment, seuls les vilains joués par John Malkovich dans Dans la ligne de mire et par Javier Bardem dans Skyfall ont trouvé grâce à ses yeux. Et il rappelle que dans 2001 : l’odyssée de l’espace, son film de chevet,  » il n’y a pas de bad guy « , alors…

Alors Tom Hanks, comme sujet d’article, n’est pas loin d’être une plaie. Le portrait d’un Bisounours n’a jamais rien de mordant ou de piquant. Si encore il avait eu une enfance malheureuse… Des plumes ambitieuses s’y sont frottées : sous prétexte que papa et maman ont divorcé quand il était petit et qu’il a été ballotté entre un père chef cuistot, une mère administratrice d’hôpitaux et une flopée de beaux-parents agrémentée de demi-frères et de demi-soeurs, on a pu lire ici et là que l’acteur avait été perturbé.  » Pas plus qu’un autre, tempère l’intéressé. J’étais souvent seul dans mon coin, mais heureux de l’être, avec un père extraordinaire dans sa satisfaction d’être un homme ordinaire.  » Ah ben, voilà ! Tout s’explique. Pour le reste, à savoir sa vocation de comédien, elle naît au gré de ses plages de solitude, durant lesquelles il s’évade avec John Wayne, Henry Fonda, Bette Davis, Akira Kurosawa, François Truffaut… Il voit tout. Lit tout. Finit par monter sur les planches. Accessoirement, vend du pop-corn et porte les valises dans un grand hôtel pour payer le loyer. Une sitcom, Bosom Buddies, lui apporte un début de notoriété. Mais c’est une petite participation à la série Les Jours heureux qui va changer sa vie. Ron Howard, alors plus connu sous le nom de son héros, Richie Cunningham, prépare une comédie romantique autour d’une sirène, Splash. Allez savoir… Si, à ce moment-là, Hanks n’avait pas été écarté du casting de Risky Business (au profit de Tom Cruise) et avait obtenu le rôle principal, un proxénète en herbe, il n’aurait pas été le jeune romantique tombé à l’eau et repêché par Daryl Hannah. A quoi tiennent une image et le fil d’une carrière… Son personnage de grand gamin dans Big, autre triomphe tout public, pérennise l’étiquette  » gendre idéal « . Sauf que. L’acteur est docile mais pas idiot.  » Entre 1984 et 1992, j’ai bien joué dans une douzaine de films médiocres « , reconnaît-il. De L’Homme à la chaussure rouge, calamiteux remake du Grand Blond avec une chaussure noire, au totalement raté Bûcher des vanités de Brian De Palma, Hanks va à la soupe, comme on dit. Il prend son chèque et fait n’importe quoi. Un boulot comme un autre.

Il préfère l’intéressement aux recettes à un gros cachet : jackpot !

Changement de braquet pour Une équipe hors du commun, où il prend 15 kilos et apprend à jurer et à cracher pour être un entraîneur de base-ball crédible.  » Je n’allais pas jouer les jeunes premiers toute ma vie ! Je voulais être moche et vieux ! Comme je n’avais que 35 ans, j’ai un peu forcé le trait. C’est la seule fois de ma vie où j’ai fait un choix en fonction d’un plan de carrière.  » Bien lui en a pris. Peu de temps après, il est préféré à Bill Murray et à Robin Williams pour être l’avocat condamné par le sida et par la société dans Philadelphia. Premier oscar. L’année suivante, c’est Forrest Gump. Deuxième oscar. Et jackpot ! Car le charmant Tom Hanks se révèle, en plus d’un excellent comédien, un fin joueur. Plutôt que de prendre un énorme cachet, auquel il peut prétendre, il préfère un intéressement aux recettes. Choix risqué car, avant que Forrest Gump ne voie le jour, personne ne comprend rien au projet. Un quidam qui apprend à danser à Elvis, s’enrichit grâce à la pêche aux crevettes et devient un héros de la guerre du Vietnam… Evidemment, cela désarçonne.  » Ce n’est rien par rapport à Seul au monde, où je converse avec un ballon de volley sur une île déserte ! se rappelle Tom Hanks. A Hollywood, tout le monde nous prenait pour des fous ! Et, à l’arrivée, vous avez vu le box-office…  » On a vu, oui. Mais revenons à Forrest Gump, dont le plébiscite ne rapportera pas moins de 65 millions de dollars à sa vedette.  » Tant que cela ? Franchement, je ne connais pas la somme exacte, mais je sais qu’elle est énorme. C’était le Graal ! Car, à partir de là, je n’ai fait que ce que je voulais.  »

A savoir : réaliser des films (That Thing You Do !), prêter sa voix dans des dessins animés (Toy Story), produire aussi… D’abord, il coproduit, avec son épouse, Rita Wilson, Mariage à la grecque, comédie avec des inconnus : 5 millions de dollars de budget, pour une recette mondiale avoisinant les 350 millions ! Ensuite, Mamma Mia !, fameuse adaptation de la comédie musicale : 55 millions de dollars engagés, plus de 600 millions récoltés. Le type normal, gentil, poli et tout ne cacherait-il pas un redoutable homme d’affaires ?  » Mais pas du tout ! Chaque film est un retour à la case départ. Quand vous signez, vous ne savez jamais ce qui vous attend. Quand ça marche, on vous tresse des lauriers. Quand c’est un bide, on vous fusille. Prenez Da Vinci Code. Le film a été incendié à Cannes et dans la presse en général. Heureusement, il s’est révélé très rentable au box-office.  » Ce qui explique pourquoi Hanks empochera un cachet de 50 millions de dollars pour la suite, Anges & démons… C’est donc sans peine qu’il a dû se glisser, pour Dans l’ombre de Mary (sortie en février 2014), dans la peau de Walt Disney, icône populaire pleine aux as.  » Au début, tout le monde le prenait pour un fou, lui aussi !  » précise Tom Hanks, dont le secret de la gentillesse réside dans une exceptionnelle clairvoyance.

Capitaine Phillips, de Paul Greengrass. En salles le 4 décembre. Voir également notre récit  » Piraterie  » en page 64.

Par Christophe Carrière

 » Le problème du méchant au cinéma est son manque de structure : aujourd’hui il est juste maléfique, manipulateur  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire