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Macron, combien de divisions?

Le Vif

Il a manqué neuf voix aux opposants à la réforme des retraites en France pour mettre en échec le gouvernement d’Elisabeth Borne. En 1990, le Premier ministre socialiste Michel Rocard avait réchappé à une motion de censure à cinq votes près sur la contribution sociale généralisée. Deux ans plus tard, Pierre Bérégovoy s’en était sorti grâce à trois voix seulement sur le dossier de la politique agricole commune. Cet accouchement dans la douleur de la réforme des retraites ne devrait donc pas être en soi synonyme de couperet pour la Première ministre, unique successeure d’Edith Cresson en 23 ans. Mais une époque n’est pas l’autre, un contexte n’est jamais similaire.

On a déjà beaucoup glosé sur les erreurs de timing du gouvernement, la définition des objectifs et la communication de la réforme des retraites. Ses opposants s’en sont légitimement saisis pour forger une large mobilisation populaire et une contestation politique presque suffisante, avec le concours inattendu de députés du centre et du parti de droite Les Républicains, pour provoquer la chute de l’exécutif. La façon dont la majorité relative macroniste a réussi à faire adopter en bout de course sa réforme n’est pas glorieuse. Il n’en reste pas moins qu’aucune majorité alternative n’a pu être forgée pour la bloquer et que le recours à l’article 49.3 est prévu par la Constitution. La démocratie n’a donc pas été bafouée.

Mais à la démocratie représentative, les contempteurs de la mesure et du président opposent la démocratie de la rue et des sondages. La réforme des retraites a suscité une vaste et digne mobilisation dans toutes les villes de France et dans toutes ses classes sociales. Trois quarts des Français y sont défavorables. La popularité d’Emmanuel Macron a renoué avec les seuils qu’il avait connus (28% d’opinions positives) au moment de la crise des gilets jaunes de 2018. Faire primer la démocratie populaire sur la démocratie représentative serait dangereux pour la démocratie tout court. Mais la France est dans une situation politique telle qu’aucune issue (dissolution, référendum, retrait de la réforme, remaniement gouvernemental) ne semble praticable pour éviter une forme de paralysie du pouvoir pendant les quatre dernières années du mandat actuel.

L’impasse politique, le ressentiment, l’hostilité à la personne d’Emmanuel Macron font craindre, en outre, une montée des violences. Cette perspective inquiète d’autant plus que cette crise survient après celle des gilets jaunes et celle du Covid. La première a donné du crédit au constat que la violence peut aider à la satisfaction de revendications. La seconde a entretenu l’espoir – jusqu’à présent déçu – des nombreux travailleurs de première ligne que leur sort serait amélioré. Ce contexte n’est pas de nature à contribuer aujourd’hui à l’apaisement des passions.

Le défi du sursaut est donc immense pour Emmanuel Macron. Mais à force d’avoir pulvérisé la gauche et la droite de gouvernement, oublié de bâtir un parti au service de son programme, négligé les corps intermédiaires et malmené certaines catégories de la population, se pose la question: Macron, combien de divisions?

Gérald Papy est rédacteur en chef adjoint au Vif.

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