L’OPA de l’élite sur les parlements

Qui sont les députés francophones ? Le Vif/L’Express a examiné leurs origines professionnelles. Résultat : leurs profils ressemblent peu à ceux des Belges qu’ils représentent.

Le Vif/L’Express a récolté les  » fiches d’identité  » des élus de la Chambre, du Sénat, des parlements wallon et bruxellois. Les chiffres publiés ici se fondent sur les déclarations fournies par les élus eux-mêmes. Et ils sont sans appel : les majorités peuvent bien changer, les parlements offrent une image déformée de la diversité de la Belgique.

Ils sont majoritairement très diplômés. Et le niveau monte. Lors de la législature 1978-1981, 54 % des députés de la Chambre étaient titulaires d’un diplôme universitaire, 23 % de l’enseignement supérieur, tandis que 23 % n’avaient pas été au-delà des humanités. Trente ans plus tard, les universitaires comptent pour la très grande majorité des élus.

Ce constat s’applique à tous les partis. Ainsi au MR, 83 % sont universitaires et 7 % ont décroché un diplôme secondaire (Yves Binon, Serge Kubla et Philippe Dodrimont). Au CDH, la proportion d’universitaires est identique, et 5 % ont leur diplôme de secondaire (dont Benoît Lutgen). Idem chez Ecolo, où seul un député bruxellois a un diplôme de secondaire (Aziz Albishari). C’est le PS qui se montre le plus ouvert : 67 % des députés sont universitaires et 10 % affichent un diplôme secondaire.

La gestion publique est devenue techniquement de plus en plus complexe et elle exige un niveau de formation important. Pour accroître ses chances de décrocher un mandat, une voie semble plus royale que les autres : le droit. La filière séduit plus de 30 % des élus.  » Fatalement, cette formation développe des compétences en droit, en économie…, nécessaires à l’exercice d’un mandat, ainsi que des talents oratoires. Par ailleurs, une fois élu, le député peut maintenir son activité professionnelle « , souligne Jean-Benoît Pilet, qui enseigne la science politique à l’ULB. Ils sont ainsi 19 députés à porter la robe noire.

Ce sont des professionnels de la politique. Au regard des chiffres, c’est bien ce constat qui frappe : le vrai métier des élus, c’est la politique. Ainsi les professionnels de la politique sont surreprésentés dans les parlements. En effet, plus d’un tiers des députés occupaient des emplois directement en lien avec l’activité politique ou administrative : ils sont attachés parlementaires, employés de parti, membres de cabinets ministériels…  » Le recrutement endogène est donc une réalité « , déclare Jean-Benoît Pilet. Toutefois, il est moins marqué au parlement wallon qu’à la Chambre. Et Ecolo et le CDH recrutent davantage d’employés et d’enseignants.

Une fois lancés, les députés ne se contentent pas d’un mandat. La durée moyenne d’un mandat d’élu atteint 15 ans. Ainsi, à la Chambre, ils sont 1 sur 5 à occuper un troisième mandat.  » Mais les études ne démontrent pas une augmentation flagrante d’occupation de mandat. En revanche, être élu est devenu un travail à temps plein « , poursuit Jean-Benoît Pilet.

Ils suivent un parcours balisé. Dans la même logique, les députés sont recrutés dans le même terreau et leur parcours est balisé. D’abord, ils ont fait leurs premières armes avec un mandat local. Au bout du compte, les trois quarts des députés ont un mandat communal. L’entrée par la politique locale constitue aujourd’hui le sas quasi obligé pour prétendre à un mandat de député.  » C’est en tout cas un capital pour être bien placé sur une liste électorale. Les partis sont soucieux de recruter des candidats qui ne dérogent pas à la ligne et aux exigences de l’appareil « , poursuit le politologue. Cet enracinement local va souvent de pair avec l’implication dans les instances de leur formation politique.

L’autre filière de recrutement, ce sont les écuries. En clair, il s’agit par exemple d’être passé par un cabinet ministériel. A la manière de Kattrin Jadin (MR), de Julie Fernandez Fernandez (PS), de Benoît Drèze (CDH) ou de Georges Gilkinet (Ecolo). Voire dans les mouvements de jeunes (chez Ecolo) ou les syndicats (au PS et au CDH). Puis, il y a aussi des  » experts purs « . A l’image encore des socialistes Amed Laaouej ou André Flahaut, passés par l’Institut Emile Vandervelde.

Bref, il ne suffit pas (plus) d’avoir un parcours de militant exemplaire. Ce dernier laisse progressivement la place à celui qui exerce une profession en lien direct avec la politique.

Un quart des élus sont fonctionnaires. Fonctionnaires et enseignants constituent le bataillon des classes moyennes. Rien d’étonnant, la Belgique étant l’un des rares pays d’Europe (avec la France notamment) où les fonctionnaires investis d’un mandat exécutif ont la certitude de retrouver leur poste si les urnes ne leur sont pas favorables. En revanche, pour un élu issu du privé, réintégrer son entreprise au même poste, avec le même salaire est beaucoup plus compliqué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains plaident pour une égalité de traitement entre le public et le privé.

Certains profils sont exclus. Les femmes représentent au plus 41 % des députées (au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale), alors qu’elles sont 51 % dans la société. Les jeunes (la moyenne d’âge au sein des assemblées parlementaires est de 52 ans) de moins de 25 ans et les 25-34 ans sont 10 % et 20 %. Et ne parlons pas du capital scolaire : si les trois quarts des députés sont universitaires, ils ne représentent que 10,1 % de la population hors de l’hémicycle.

La politique demeure l’affaire d’une élite… Mais c’est aussi parce que ce sont les élites qui aspirent plus volontiers à une carrière politique. Parmi elles notamment, les hommes ou encore les militants (de plus en plus diplômés aussi). Ensuite, il n’existe aucune préparation particulière, aucune école publique d’apprentissage. Une telle absence favorise donc ceux qui ont bénéficié d’un environnement familial favorable – la socialisation politique se fait très tôt -, ceux qui ont développé de telles compétences par de longues études ou qui ont appris à les exercer dans leur profession.

… choisie par les électeurs. Ce sont certes les partis qui filtrent les candidats. Mais le conservatisme des partis n’est-il pas le reflet de celui des électeurs ? Car, au bout du compte, il y a le choix des électeurs, qui votent le plus souvent pour les têtes de listes. Ainsi, ils élisent plutôt des hommes, entre 40 et 55 ans, universitaires, professionnels de la politique et occupant des mandats locaux…

A lire : Le profil des élus et des candidats francophones aux élections fédérales du 10 juin 2007, par Régis Dandoy, Nicolas De Decker, Jean-Benoît Pilet, Courrier hebdomadaire du Crisp. n°1981-1982.

Par Soraya Ghali

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