Le choc des cultures

Barbara Witkowska Journaliste

Hamadi et Soufian El Boubsi, père et fils à la ville et sur scène, reviennent avec Sans ailes et sans racines, un excellent spectacle  » coup de poing « , primé à Avignon Off en 2009.

Le Vif/L’Express : Comment est née l’idée de ce duel verbal entre le père qui a définitivement penché pour les valeurs de la démocratie laïque occidentale, et le fils qui a choisi de devenir un musulman militant ?

Hamadi El Boubsi : Notre travail est nourri depuis toujours par le politique, à savoir comment les gens vivent ensemble, quels sont les liens qui les unissent. C’est un spectacle intergénérationnel. L’affrontement se fait sur l’héritage et la transmission, sur l’acceptation ou le refus de certaines valeurs et sur les enjeux de la religion.

Vous avez joué cette pièce 130 fois. Comment réagit le public ?

On n’est ni dans la provocation ni dans le manichéisme. Il y a des choix de vie et de société assumés, de part et d’autre. Ce sont deux vérités qui s’affrontent. Nous avons voulu montrer la complexité des trajectoires de ces deux personnes, leurs paradoxes, leurs failles et leurs faiblesses. Les spectateurs ne sont pas dans l’agressivité mais parfois dans l’incompréhension. Dès lors, ils ont envie de discuter, ballottés entre ces deux personnes qui ont toutes les deux raison à un certain moment de leur vie.

Le sens de la vie ne serait-il pas ailleurs, en dehors de ces espaces envahis de certitudes ? Tel est votre message ?

Soufian El Boubsi : Oui, c’est une des réponses possibles. Cela dit, il n’y a pas de message clair et définitif. Notre objectif est de poser des questions. Chacun se réapproprie le débat qui nourrit la discussion. Le rôle du théâtre n’est pas d’asséner des réponses.

En tant qu’artistes et intellectuels, avez-vous des solutions pour l’intégration des jeunes ?

Hamadi : La question des jeunes se résume à une scolarité et à un emploi convenable. Or il n’y a jamais eu de volonté politique pour leur offrir un ascenseur social. On parle toujours du plan Marshall économique. Il faudrait peut-être mettre sur pied un plan Marshall centré sur l’homme. On a créé des chancres dans les villes et on se demande toujours :  » Que faisons-nous des Belges issus de l’immigration ?  » Il faudrait peut-être se poser la question :  » Que faisons-nous des Belges ? « 

Soufian : La frustration est là et débouche sur la violence, mais on ne veut pas le voir, on l’occulte.

Quels sont vos parcours respectifs ?

Hamadi : Je suis arrivé du Rif, au Maroc, à l’âge de 7 ans. Après des études de traducteur-interprète, j’ai réalisé mon rêve : écrire des histoires. Tout a vraiment démarré à Huy en 1987 avec L’îuf du serpent. J’ai monté une quinzaine de spectacles. Je joue aussi et je fais de la mise en scène.

Soufian : J’ai toujours voulu être comédien, j’ai terminé l’Insas il y a dix ans. Je voudrais jouer les grands classiques mais probablement je ne le ferai jamais… Le plafond de verre existe réellement. Depuis quelques années, je crée des spectacles avec Hamadi.

Vos projets ?

Hamadi : Je viens de terminer Les Barbares. La pièce sera créée à Wolubili, en janvier 2012. Soufian sera seul sur scène. J’aborde la thématique des exilés, des voyageurs sans papiers et des clandestins. Il n’est pas question d’angélisme. Derrière, il y a aussi de la violence, de la traîtrise et de la lâcheté. Une fois de plus, je montre la complexité de ces trajectoires. Comment traiter dignement le Sud qu’on exploite depuis des années ? La pièce est un appel à la justice entre le Nord et le Sud. L’immigration choisie est une escroquerie.

Lundi 25 juillet (21 heures) et jeudi 1er septembre (20 h 30), dans le cadre du festival Bruxellons, au château du Karreveld, 3, rue Jean de la Hoese, à 1080 Molenbeek, tél. : 02 724 24 24, www.bruxellons.net

BARBARA WITKOWSKA

 » L’immigration choisie est une escroquerie « 

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