Et s’il fallait s’habituer à vivre sans croissance ?

La croissance serait un phénomène récent et ponctuel à l’échelle de l’Histoire.

(1) Le thème du meeting 2012 s’intitulait :  » Wanted : 360° growth  » ( » Pour une croissance à 360 degrés « ).

(2) NBER Working Papers n° 18315.

 » Seule la croissance apporte l’espoir et le bonheur  » : Dominique Reiniche, la Française la plus influente au monde depuis qu’Anne Lauvergeon a quitté Areva – elle est 16e au classement mondial de Fortune -, a donné le ton lors du Women’s Forum 2012, à Deauville (1), la semaine dernière. C’est une évidence : les entreprises dont le chiffre d’affaires ne progresse pas offrent peu de perspectives aux individus qu’elles emploient. Les Etats ont tout autant besoin de croissance économique pour rembourser leur dette ou atteindre le plein-emploi.

Et pourtant ! Non seulement la majorité des pays européens semble engluée dans la récession, mais rien n’indique qu’un retournement puisse avoir lieu dans les prochaines annéesà sinon l’habitude que nous avons de voir alterner les (courtes) périodes de crise avec de (longues) périodes de croissance.

Or cette vision serait un trompe-l’£il. Cette croissance si naturelle serait un phénomène récent et ponctuel à l’échelle de l’histoire humaine. C’est en tout cas la thèse de Robert J. Gordon, professeur à l’université Northwestern (Illinois). Cet économiste américain, qui fut l’un des rares à ne pas croire à la  » nouvelle économie  » des années 2000, a lancé un pavé dans la mare en publiant un article baptisé  » Is US Economic Growth Over ?  » [ » La croissance américaine est-elle finie ?  » (2)]. Cet article décrit l’évolution de la croissance au Royaume-Uni depuis l’an 1300, puis aux Etats-Unis à partir de 1906. Il explique qu’avant le XVIIIe siècle l’évolution du PIB par tête se limitait à 0,2 % par an environ. La production de richesses n’augmentait qu’avec la progression de la population. La croissance s’est déclenchée après 1700 dans les pays les plus productifs de la planète, battant tous ses records après la Seconde Guerre mondiale (les Trente Glorieuses). Depuis, elle a régressé, avec un sursaut entre 1996 et 2004. Elle devrait continuer de décélérer au cours de ce siècle, jusqu’à revenir aux très faibles niveaux antérieurs. Les deux siècles et demi qui viennent de s’écouler auront ainsi constitué un épisode unique dans l’histoire de l’humanité.

Comment Gordon explique-t-il cette parenthèse enchantée ? Elle est le résultat de la première révolution industrielle (1750-1850 : la marine à vapeur et le chemin de fer), mais surtout de la deuxième avec toutes ces grandes inventions qui ont transformé nos vies et fait exploser notre productivité : l’adduction d’eau potable, l’électricité, la radio, le téléphoneà En comparaison, la troisième révolution – celle d’Internet – semble plus modeste. D’ailleurs, qui échangerait aujourd’hui les toilettes et l’eau courante contre un PC et Internet à haut débit ?

Les innovations technologiques ont désormais moins d’impact sur la productivité parce que les grands changements ont déjà eu lieu et ne se reproduiront pas : il est impossible d’aller plus vite (Concorde a vécuà), de baisser de manière aussi spectaculaire la mortalité infantile ou de libérer davantage les femmes des corvées ménagères (sinon en les partageant avec les hommes !). La croissance sans fin est doncà un mythe.

Au Women’s Forum, l’économiste néo-zélandaise Marilyn Waring s’est taillé un beau succès en renvoyant dans leurs buts ses confrères de l’école de Chicago et la notion même de produit intérieur brut (PIB) : comment, a-t-elle dit en substance, un indice qui croît avec les embouteillages et décroît avec l’allaitement maternel pourrait-il mesurer sérieusement le développement d’un pays ? Consolons-nous : si la croissance du PIB est vouée à disparaître, celle du bonheur national brut a encore de beaux jours devant elle.

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