Jan Van der Veken © NICK PROOT

Doux comme un Agneau

L’illustrateur gantois Jan Van der Veken a fait le choix du livre illustré pour raconter l’incroyable histoire de L’Agneau mystique. Un sujet en or pour ce graphiste rétrofuturiste et pour  » l’année Van Eyck « .

On ne dira pas que la rencontre entre les frères Van Eyck et Jan Van der Veken était prédestinée – a priori, quel rapport entre le maniérisme et le sens du détail des primitifs flamands, et les monochromes et la ligne claire rétrofuturiste de ce graphiste très demandé dans le privé ? – mais même ce dernier, après avoir achevé la trentaine d’illustrations de pleine page qui rythment ce nouvel ouvrage sur L’Agneau mystique (1), a fini par voir des signes.  » En tant que Gantois, j’ai évidemment grandi avec « , confie-t-il.  » De temps en temps quand j’étais petit, mes parents m’emmenaient voir le tableau, et quand vous avez un intérêt pour le dessin, la peinture, il vous fait évidemment une impression énorme. Depuis, j’ai aussi appris que le vol de 1934 a eu lieu un 10 avril, jour de ma naissance (NDLR : Les Juges intègres, le panneau inférieur du retable est toujours porté disparu), et que l’un des derniers restaurateurs de l’oeuvre porte le même nom que moi (NDLR : Jef Vanderveken, qui a réalisé en 1945 la copie du panneau volé et disparu). J’ai surtout été fasciné par la manière dont ce tableau est devenu au fil de l’histoire un véritable personnage romanesque, qui a vécu mille aventures, et ça, ça m’intéressait : dans mon monde, j’ai toujours du mal avec les personnages, ce sont toujours des figurants qui n’ont pas de psychologie. Je suis beaucoup plus à l’aise avec l’inanimé qu’avec l’humain. C’est pour ça sans doute que je ne dessine pas des BD – il faut un personnage. Là, j’en tenais un qui me convenait !  »

Doux comme un Agneau
© JAN VAN DER VEKEN

De Van Eyck à Tardi

L’idée de ce livre illustré consacré au plus célèbre tableau des frères Van Eyck, d’abord coédité en néerlandais avec la ville de Gand, et désormais traduit et disponible chez Casterman, n’est pas venue spontanément à l’esprit de Jan Van der Veken. Gantois très demandé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne par la presse ou la publicité (il a ainsi rejoint le club très fermé des coveristes du New Yorker), quand la ville l’a contacté pour participer à son  » année Van Eyck  » – une série d’événements qui devaient rythmer l’année 2020, pour l’instant tués dans l’oeuf par le confinement – , il finissait les illustrations à la fois techniques et superbes d’un… cours d’aviation, une de ses premières passions. Rien à voir donc.  » Les organisateurs souhaitaient quelque chose pour le merchandising, mais j’ai tout de suite voulu me lancer dans un projet plus ample, qui mettait vraiment en valeur l’oeuvre et l’artiste. Pas dans de grandes théories artistiques, non, ça a déjà été fait mille fois, par meilleurs que moi, mais dans une démarche plus légère, qui se centrait sur l’histoire personnelle du tableau, sur ses aventures. J’ai alors rencontré Harry De Paepe, un prof d’histoire et déjà auteur, qui se lit facilement, qui est très direct et avec qui ça a collé tout de suite. Le livre illustré est alors devenu une évidence. Ça ne se fait plus beaucoup mais j’adore cette tradition née avec Jules Verne et Gustave Doré, et qui a été poursuivie par des auteurs comme Loustal ou Tardi, qui m’ont beaucoup marqué. Je trouvais aussi que le principe faisait bien le lien entre une oeuvre du xve siècle et mon propre style, qui navigue lui-même entre vintage et futurisme.  »

(1) L'Agneau mystique, admiré et volé, par Harry De Paepe et Jan Van der Veken, traduit du néerlandais par Lieven Van der Auwera, Casterman, 112 p.
(1) L’Agneau mystique, admiré et volé, par Harry De Paepe et Jan Van der Veken, traduit du néerlandais par Lieven Van der Auwera, Casterman, 112 p.

Humour et tradition

Dont acte : cet Agneau mystique-ci donne un véritable coup de fouet de modernité à cet Agneau mystique-là, dont les rocambolesques aventures ont traversé six siècles d’histoire. Racontées avec beaucoup d’allant par Harry De Paepe, elles deviennent soudain très contemporaines par la grâce du graphisme et des compositions de Jan Van der Veken, qui ne manquent ni de références –  » J’ai grandi avec l’hebdo Humo et ses illustrateurs Ever Meulen, Joost Swarte, Serge Clercq  » – ni d’humour –  » J’ai choisi d’utiliser strictement des monochromes rouge et bleu, juste ces deux couleurs, comme on les trouvait dans les vieilles BD imprimées bon marché. J’ai aussi grandi avec les albums souples de Nero, Bob & Bobette ou Jommeke, une autre tradition flamande !  » Une rencontre avec Jan Van Eyck, même avec six siècles d’écart, qui a d’ailleurs tourné au dialogue entre artistes gantois pour Jan Van der Veken :  » C’est bien sûr un autre monde, il était peintre, je suis dessinateur. Moi c’est les lignes, lui c’est les atmosphères, les dégradés… Mais en devant l’intégrer à mon propre univers graphique, je me suis rendu compte qu’on n’est jamais très éloigné des primitifs flamands : en analysant l’oeuvre pour la redessiner, j’y ai vu la géométrie, la composition… c’est le même boulot.  »

Doux comme un Agneau
© JAN VAN DER VEKEN

Doux comme un Agneau

L’Agneau mystique en quatre dates

1432 Après six ans de travail, le retable de L’Adoration de l’Agneau mystique, entamé par Hubert Van Eyck et achevé par son frère Jan après sa mort, est placé sur l’autel de la chapelle du commanditaire privé, dans l’église Saint-Jean (qui deviendra plus tard la cathédrale Saint-Bavon), à Gand. Ce polyptyque peint sur bois est composé de 24 panneaux encadrés, offrant aux spectateurs deux scènes différentes, selon que ses deux volets latéraux soient ouverts ou fermés. Il est considéré comme l’un des plus grands chefs-d’oeuvre des primitifs flamands.

1794 Des soldats français emportent les parties centrales du retable, qui seront exposés au Louvre, à Paris. L’oeuvre est démantelée ; les panneaux mobiles finiront par devenir la propriété du roi de Prusse, à l’exception des deux panneaux représentants Adam et Eve, jugés trop choquants (l’Etat belge les rachètera en 1861). Il faudra attendre 1920 pour que tous les panneaux soient à nouveau réunis.

1934 Les panneaux dits des Juges intègres et de saint Jean-Baptiste sont volés par le sacristain de l’église. Si le premier fut restitué, le second reste l’un des plus grands mystères de l’histoire de l’art : il n’a jamais été retrouvé (mais remplacé par une copie fidèle) et fait toujours l’objet d’intenses chasses au trésor, infructueuses jusqu’ici.

1940 Le tableau est envoyé au Vatican au début de l’invasion allemande mais est saisi, en chemin, par l’ennemi. Hitler l’entreposera dans une de ses mines de sel autrichiennes, qu’il tentera d’ailleurs de faire sauter. Le retable est finalement retrouvé par les Monuments Men américains, et restitué à la Belgique. Il retrouve Gand et la cathédrale Saint-Bavon en 1946.

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