PIER PAOLO PASOLINI © GETTY IMAGES

«Ce n’est pas politiquement correct, mais…»

Comment se fabrique un engagement? Un livre peut-il changer une vision du monde? Une rencontre peut-elle faire bifurquer un chemin politique? Une chanson peut-elle donner du sens à un combat? Chaque mois, entre parcours intime et questions de doctrine, le podcast «Le sens de sa vue» dissèque ce qui a construit l’idéal politique d’un invité.

Cinq balises sur le chemin d’un engagement. C’est peu, et c’est beaucoup à la fois. C’est peu parce qu’une vie se résume difficilement en si peu de tournants. Mais c’est beaucoup, parce qu’il est rare qu’une personne engagée en politique puisse, sur un format si long, se présenter et développer non seulement ses idées mais aussi les impulsions, les inflexions et les torsions qu’elles ont pu connaître. Cinq chapitres, qui partiront de cinq choix posés par l’invité, devront permettre d’y voir un peu plus clair sur le sens de sa vue.

On parlera d’abord d’un savoir. Un auteur, une œuvre, une étude, de ce que les Anglo-Saxons appellent « non-fiction»: tout ce qui ressort des essais et de la vie intellectuelle et académique, présente et passée, et que l’invité considère comme décisif.

On parlera ensuite d’une scène. Le moment d’une œuvre de fiction, ou l’œuvre elle-même, de fiction, qui l’aura bouleversé.

On parlera, après ça, un peu de soi. Un moment précis, une rencontre, un lieu ou un milieu qui a forgé ses convictions.

On parlera encore d’un son. Une chanson, un musicien, un compositeur, un air, un refrain ou même un bruit qui le ramène à ce qu’il pense comme à ce qu’il fait.

On parlera enfin de la suite. La personnalité politique que l’invité du jour voudrait entendre dans le même exercice.

C’est avec Paul Magnette, président du Parti socialiste et bourgmestre de Charleroi, que Le Vif inaugure «Le sens de sa vue».

SAVOIR: CLAUDE LÉVI-STRAUSS Race et histoire, Folio Essais, 1952.

Race et histoire, c’est le texte d’une conférence donnée par le célèbre anthropologue à l’invitation de l’Unesco en 1952. Claude Lévi-Strauss y démontre, du point de vue scientifique, l’inanité de hiérarchiser les sociétés humaines sous un angle biologique ou génétique. Mais aussi, et surtout, le père de l’anthropologie structurale se confronte magistralement à une époque dominée par le culte du progrès et la certitude de la supériorité de l’Occident: non, dit-il, les sociétés que nous considérons comme «primitives» ou «moins évoluées» ne sont ni sans histoire ni imperméables à toute «évolution». «C’est le premier essai que j’ai lu, à l’adolescence: un professeur me l’avait conseillé, alors que le racisme revenait au cœur de l’actualité, rappelle Paul Magnette. Lévi-Strauss nous fait également nous demander, à nous progressistes, si le progrès est nécessairement soluble dans le développement.» Une question brûlante pour celui qui porte une transformation écosocialiste de la société… et de son parti.

CHRISTIE MORREALE
CHRISTIE MORREALE © BELGA IMAGE

SCENE: PIER PAOLO PASOLINI Une vie violente, Points, 2020 (nouvelle traduction).

Paul Magnette a consacré son mémoire de licence en science politique à l’ULB au poète, romancier et cinéaste italien. « Une vie violente est le premier roman que j’ai lu de lui, à l’adolescence, se rappelle-t-il. On me l’a recommandé, en me disant que si je voulais comprendre l’Italie, c’est chez Pasolini que je devais me renseigner. Alors je suis allé chercher Une vie violente à la librairie Molière.» Un roman âpre, dans lequel l’auteur décrit l’existence amorale d’un petit voyou ordinaire des «borgate» romaines, ces bidonvilles habités par une population délaissée. Pasolini, qui se disait marxiste et compagnon de route du Parti communiste, n’était jamais avare de provocations adressées à son camp, notamment lorsqu’il critiqua l’agitation étudiante de mai 68, ou la légalisation du divorce et de l’avortement. «Mais on a besoin de provocateurs comme lui pour avancer!», reprendra Paul Magnette, auteur d’un court opuscule, Pasolini ou la raison poétique, parue en 2015. (éd. L’Arbre à paroles).

PAUL MAGNETTE
PAUL MAGNETTE © PHOTONEWS

SOI: SALVATONICA Village d’Emilie-Romagne, plaine du Pô.

C’est dans cette «troisième Italie», en Emilie-Romagne, que Paul Magnette, adolescent, fut envoyé en vacances avec son frère, peu après le décès de leur père, «un peu parce que notre mère avait d’autres choses à régler que de s’occuper de nous». Il en reviendra illuminé. «Un curé nous avait accueillis, dans une toute petite gare, et nous avait emmenés sur le chantier où nous avons aidé à construire, avec d’autres jeunes venus de partout, des structures d’hébergement pour des réfugiés arrivés des Balkans.» Il passera là plusieurs étés, sous l’égide d’une association catholique dans une des régions les plus rouges du monde, que dominait le PCI. «C’était Don Camillo, vraiment! Mais avec cette différence que le curé nous amenait à la festa dell’Unita, et que nous fréquentions en permanence les militants communistes, qui passaient de longues soirées à nous raconter leurs histoires», se souvient Paul Magnette, ému.

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SON: SERGE GAINSBOURG Histoire de Melody Nelson, 1971.

Pas vraiment de gauche, pas du tout même, il était vigoureusement antisocialiste, Serge Gainsbourg a pourtant bercé l’enfance et l’adolescence du président du PS. «Je revois mon père écouter ses vinyles», se souvient-il. Il lui trouve néanmoins des vertus de progrès, sans doute pas au sens lévi-straussien. «Mélanger ainsi différents styles, comme il l’a fait avec le reggae, et notamment sur la Marseillaise, c’était quand même un symbole extrêmement puissant dans la France des années 1970. C’était un dynamiteur d’aqueducs, et en culture on a besoin de ça», conclut-il.

SUITE: CHRISTIE MORREALE Ministre wallonne de la Santé.

Il voudrait entendre sa camarade Christie se soumettre au même questionnaire, et c’est l’occasion de demander au socialiste voulant connaître le sens de la vue d’une socialiste dans quelle mesure la Wallonie, dominée politiquement par le PS depuis des décennies, est plus ou moins avancée que d’autres dans la construction d’une société socialiste. «Je sais que ce n’est pas un discours facile à porter dans le politiquement correct actuel: vous savez, on dit souvent qu’il y a proportionnellement plus d’emplois publics en Wallonie qu’ailleurs. Eh bien moi, j’en suis très fier. Les emplois qu’on crée dans le secteur public, le non-marchand, l’économie sociale et solidaire, qui méritent une beaucoup plus grande visibilité, même politique, c’est formidable, ça veut dire qu’on est dans une société qui, au moins pour moitié, ne dépend pas du capitalisme, et donc pas du marché.» Même si ce demi-socialisme a été au moins autant subi que choisi. «Oui et non, j’ai le souvenir des fermetures de charbonnages et des crises de la sidérurgie. Eh bien, à chaque fois, il y a eu des rebonds, autant de réponses apportées par notre société, par une population solidaire, après que les capitalistes l’ont abandonnée. C’est ça, le socialisme!»

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