Castro, le prélat et le dissident

Les grèves de la faim en série de prisonniers d’opinion embarrassent le régime. La Havane veut régler le problème en douceur… en négociant avec l’Eglise.

Toutes proportions gardées, la visite qu’effectue à Cuba depuis jeudi Mgr Dominique François Mamberti, secrétaire du Vatican pour les relations avec les Etats, rappelle celle, mémorable, de Jean-Paul II dans la grande île en 1998. Pour la première fois depuis longtemps, en tout cas, ce voyage signifie que le régime cubain accepte de dialoguer avec l’Eglise au sujet des conditions de détention inhumaines des dissidents emprisonnés (190 à l’heure actuelle), dont certains se trouvent dans un état de santé critique.

Un effet dévastateur sur son image internationale

La première étape de ce dialogue remonte au 19 mai dernier. Ce jour-là, quatre heures durant, Raul Castro avait négocié autour d’une table avec le cardinal Jaime Ortega, archevêque de La Havaneà qui fut lui-même détenu dans un des camps de travaux forcés du castrisme en 1966. Le chef de l’Etat s’était alors engagé à transférer quelques prisonniers d’opinion dans des pénitenciers plus proches de leurs familles et un certain nombre d’autres, malades, dans des hôpitaux. Un début encourageant. Dimanche 13 juin, il a été conforté par un autre geste, la libération pour des raisons de santé d’Ariel Sigler, condamné en 2003 à vingt ans de prison pour avoir créé une bibliothèque publique chez lui.

Journaliste et psychologue, Guillermo Fariñas poursuit, lui, une grève de la faim depuis plus de cent jours. Entamée dès le lendemain de la mort d’un autre dissident (Orlando Zapata Tamayo, décédé en prison le 23 février dernier, à l’âge de 42 ans, après 85 jours de jeûne), cette grève vise à dénoncer l’inhumanité et l’arbitraire de la répression castriste.  » Si le gouvernement ne libère pas les 26 prisonniers dont l’état de santé est critique, alors je continuerai « , a prévenu cet homme de 48 ans hospitalisé à Santa Clara, alimenté par intraveineuse et qui a déjà perdu 32 kilos. Très déterminé, ce vétéran de la guerre d’Angola (dans les années 1980) a également fait savoir qu’un troisième gréviste de la faim était prêt à le remplacer au pied levé, au cas où lui-même viendrait à trépasser.

Même s’il s’en défend, le régime cubain est embarrassé par ces grèves de la faim à répétition, dévastatrices pour son image internationale, à laquelle il tient tant. En février dernier, la mort d’Orlando Zapata Tamayo avait déclenché une vague d’indignation mondiale. Si, à Paris, c’est le silence, le jeûne de Guillermo Fariñas a, quant à lui, suscité en Espagne une mobilisation inédite du monde des intellectuels et des artistes. Une  » Plate-forme pour la démocratisation de Cuba  » a été lancée le mois dernier à Madrid. Parmi la soixantaine de signataires : les écrivains Jorge Semprun et Mario Vargas Llosa, mais également le cinéaste Pedro Almodovar et la comédienne Victoria Abril. Dans ce contexte, le régime cubain a choisi de négocier avec l’Egliseà afin de n’avoir pas à le faire avec les dissidents.

 » Ce n’est pas la première fois que le régime recourt à cette tactique, analyse l’historienne du castrisme Elisabeth Burgos. Les prisonniers – qui, en réalité, sont des otages – constituent une monnaie d’échange utilisée par les Castro afin de s’accorder un peu d’oxygène lorsque c’est nécessaire. En 1998, avant la visite de Jean-Paul II, Fidel Castro avait libéré 300 prisonniers. Ainsi le pape pouvait-il justifier son voyage à Cuba et le régime continuer à bénéficier de la « compréhension » du Vatican.  » L’idée d’inviter le pape à Cuba était venue à Fidel Castro après l’éclatement de l’Union soviétique et l’isolement du régime cubain qui en était résulté. Aujourd’hui, à nouveau, Raul Castro se tourne vers l’Eglise. Avec une arrière-pensée : mettre fin au cycle de protestations qui, parti des côtes cubaines, a atteint l’opinion publique internationale. Le castrisme est un éternel recommencement.

AXEL GYLDÉN

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